La Chronique Agora

Lumières sur la manipulation du bitcoin

tether

Les cours du bitcoin auraient été manipulés à la hausse selon un récent article du Wall Street Journal. Mais le capital risque reste sur les cryptomonnaies.

Récemment, Bill a qualifié le Bitcoin « d’énigme, […] un puzzle, dont toutes les pièces sont répandues sur le plancher ». Aujourd’hui, Teeka Tiwari, un de nos experts en cryptomonnaies et ex-directeur de hedge fund, tente de rassembler toutes les pièces de ce puzzle.

Certains articles parus récemment dans la presse financière conventionnelle affirment que l’ascension fulgurante du bitcoin, en 2017, serait en partie due à de la manipulation. Mais il y a des éléments clés que la presse a omis de signaler…

A première vue, Andy Kessler, spécialiste des technologies au Wall Street Journal, use d’arguments convaincants pour expliquer que l’ascension fulgurante de 1 368% enregistrée par le bitcoin en 2017 n’aurait pas été « réelle ».

Dans un article paru le dimanche 1er juillet, Kessler cite une étude réalisée par l’Université du Texas, affirmant qu’une manipulation serait à l’origine de la moitié des mouvements à la hausse enregistrés par le bitcoin en 2017. Cette étude désigne un coupable : une cryptomonnaie appelée Tether (USDT).

Tether est une cryptomonnaie à valeur fixe, ou « stable ». Chaque unité est censée être adossée à un dollar américain. Pour être clair, je n’ai jamais été un adepte de Tether car cette cryptomonnaie exige d’être convaincu que chaque unité est bien adossée à 1 $.

En janvier 2018, j’ai écrit ceci :

« Tether affirme que pour chaque unité de Tether sur le marché, un véritable dollar américain est stocké dans une chambre forte, quelque part.

Soyons clair : JE N’AI JAMAIS CRU A CETTE AFFIRMATION. Voilà pourquoi je n’ai jamais recommandé cette cryptomonnaie. »

A ce jour, je n’ai toujours aucune preuve relative aux réserves de Tether.

Bon nombre de personnes partagent mes doutes à l’égard de Tether… Mais cela n’a pas empêché Tether d’émettre plus de 2,5 milliards de dollars de cette cryptomonnaie. Est-ce que Tether dispose de 2,5 milliards de dollars de liquidités en réserve, en contrepartie ? Ou bien Tether émet-il sa propre monnaie à volonté ?

Personne ne le sait.

Un système sans tiers de confiance dit « trustless »

Le but de la révolution du « décentralisé » est de se débarrasser des tiers dits « de confiance ». Au bout du compte, les cryptomonnaies telles que Tether seront un échec si elles ne trouvent pas un moyen de devenir « trustless« .

Avec les technologies dites « trustless« , il n’est pas nécessaire de connaître la personne à qui vous avez affaire, ni de lui faire confiance. Les registres de la blockchain enregistrent et valident chaque transaction de façon transparente. Donc, le système crée cette confiance par défaut.

Revenons à l’étude de l’Université du Texas… Elle suggère que l’on aurait émis plus de tethers que l’équivalent en dollars auquel ils étaient adossés. Les tethers auraient ensuite été utilisés pour soutenir – et au bout du compte, manipuler à la hausse – le cours du bitcoin.

L’article de Kessler tente d’utiliser l’étude du Texas pour appuyer ce qu’il argumente, à savoir que le bitcoin ne serait qu’une bulle de plus, comparable à toutes les autres, depuis la Bulle des Mers du Sud en 1720.

En transférant temporairement des actifs d’un bilan à un autre par un jeu d’écriture comptable, on « gonfle » une bulle. Lorsque l’on arrive à court d’argent, la bulle éclate.

C’est le type d’argument qui se lit bien, au départ… Mais il ne résiste pas l’examen.

Par exemple, Kessler tente d’imputer le krach des dot.com à la politique menée par American Online, à l’époque des dot.com, concernant les annonces publicitaires. J’ai lu son explication à trois reprises, et je ne comprends toujours pas comment la politique publicitaire d’AOL aurait pu provoquer ce krach.

Il n’y a pas une cause unique expliquant toutes les bulles

Le boom des dot.com a représenté une bulle de 5 000 milliards de dollars. C’est un peu exagéré d’imputer la destruction de 5 000 milliards de dollars à la politique publicitaire d’une seule entreprise.

Kessler impute également la fameuse Bulle des tulipes (ou Tulipomanie) de 1636-1637 à une manipulation de bilan. Mais cela ne marche pas non plus. S’il avait vraiment fait ses recherches, il aurait découvert que la Bulle des tulipes n’est qu’un mythe exagéré. Cela n’avait rien à voir avec de la manipulation comptable.

Le magazine Smithsonian a rédigé un excellent rapport sur la Tulipomanie, qu’il décrit plus comme une fiction fantaisiste qu’une grave crise financière (1).

Si nous creusons un peu plus, nous pouvons trouver d’autres failles dans la théorie de la bulle de Kessler.

Si Kessler a raison à propos des mouvements de marché des cryptomonnaies l’an dernier, comment explique-t-il les soi-disant bulles du bitcoin de 2011, 2013 et 2014 ?

Eh oui, c’est la quatrième fois que la « bulle » du bitcoin éclate…

Les actifs frauduleux retombent toujours à zéro

Si Kessler veut attaquer les mouvements de 2017 en les qualifiant de manipulation, pourquoi ne pas attaquer les « bulles » de 2011, 2013 et 2014, alors ?

Est-ce que tous ces mouvements sont, eux aussi, dus à une manipulation ?

Si c’est le cas, alors ce sont les manipulations les plus extraordinaires qu’il m’ait été donné de voir.

Je m’explique…

Si vous aviez acheté au sommet de chaque mouvement, vous auriez réalisé un gain moyen de 9,8 fois votre mise initiale, entre le précédent « pic » et le nouveau « pic ».

Vous connaissez beaucoup de bulles, vous, qui ont permis de gagner de l’argent en achetant sur les plus hauts de chaque mouvement ?

Moi, non.

Je crains que Kessler ne confonde volatilité de marché et bulles de marché. Ce n’est pas parce que quelque chose est volatil que c’est une bulle (ou que cela signifie qu’il y a manipulation). Le bitcoin est volatil… Mais il est également très précieux.

Les actifs frauduleux retombent à zéro. Les vraies bulles ne continuent pas à afficher des plus hauts toujours plus hauts et des plus bas toujours plus hauts, contrairement au bitcoin.

Le bitcoin est un actif volatil, mais pas un actif frauduleux.

Voilà pourquoi je recommande toujours à mes lecteurs de conserver de modestes positions.

Ainsi, vous pouvez garder la tête froide lors des périodes de volatilité, comme celle que nous vivons actuellement.

C’est la seule façon prudente d’investir dans des actifs tels que le bitcoin et les autres cryptomonnaies.

Mais revenons au thème central de Kessler, concernant la manipulation…

Est-ce que l’émission de tethers non adossés a manipulé le marché à la hausse ? C’est possible. Je ne sais pas si nous le saurons jamais avec certitude.

Mais à long terme, est-ce vraiment important ? Je ne le pense pas.

En vérité, parfois, des gens malintentionnés récupèrent de remarquables entreprises et de remarquables technologies.

Autrefois, certains spéculateurs ont systématiquement manipulé les premiers titres du chemin de fer. Aux tout débuts de General Motors, son fondateur, Billy Durant, manipulait quotidiennement les actions de l’entreprise.

Ces imperfections à court terme n’ont pas diminué la valeur à long terme que le chemin de fer et le secteur automobile ont créée, au bout du compte.

En attendant, au beau milieu de ces rumeurs de manipulation, nous continuons à observer les signes d’une adoption du bitcoin et autres cryptomonnaies par le grand public.

Et ce n’est pas tout…

En 2002, le krach des dot.com avait provoqué une chute de 80% du Nasdaq. Et en 2002 (toujours), les investissements de type capital-risque avaient chuté de 90%.

Le capital-risque mise encore sur les cryptomonnaies

Comparez cela aux cryptomonnaies.

En ce moment, le marché des cryptomonnaies a chuté de 70%. Il semblerait logique que les financements émanant du capital-risque se tarissent, alors. Mais ce n’est pas le cas.

Ces investissements ont déjà doublé par rapport à l’an dernier, et l’on estime qu’ils devraient quadrupler d’ici la fin de l’année.

Ce qu’il faut retenir, essentiellement, c’est que même avec ces informations concernant des manipulations, l’ingérence du gouvernement et une volatilité colossale… l’argent institutionnel continue d’affluer.

Ce que des investisseurs institutionnels décident de faire de leur argent a toujours plus de poids qu’un article du Wall Street Journal.

(1) Vous pouvez le lire ici.

Teeka Tiwari

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile