▪ Bien qu’aucune dépêche d’agence n’explique la volatilisation des 1,3% de gain du CAC 40 entre 13h40 et 16h20, il semble évident que les opérateurs ont fait leur deuil des rumeurs de soi-disant avancées en Grèce. Rappelons que ces dernières avaient fait remonter miraculeusement Wall Street de -0,75% (à 21h30) vers +0,02% en clôture mardi soir.
Comme nous l’avions démontré, ces « bruits bidon » (comme tant d’autres depuis mi-janvier) faisaient partie d’une manipulation des cours savamment orchestrée — et à laquelle les cambistes n’ont jamais cru, alors que Wall Street feignait de s’enthousiasmer sans réserve. Cette triche visait à ramener le VIX sous le seuil technique crucial des 20, l’échéance février de l’indice du stress associé au S&P 500 expirant ce mercredi.
Nous vous avions promis mercredi matin de vous en dire un peu plus au sujet de ces stratégies invisibles qui font la fortune de quelques gros (et même très gros) acteurs ayant la haute main sur Wall Street ; ils bénéficient également de la pleine coopération de la Fed en matière d’apport de liquidités.
▪ Valeur temps et volatilité sont les nerfs de la guerre
C’est un élément essentiel dans la mise en oeuvre de stratégies basées justement sur l’anticipation des flux de liquidités et de taux de rotation de l’argent. Si la captation de valeur temps n’est en rien une nouveauté, ni une séquelle technique de l’après-Lehman, c’est en revanche devenu le « nerf de la guerre » pour s’assurer un contrôle quasi hégémonique des marchés.
Celui qui maîtrise la volatilité, à la hausse comme à la baisse, devient aussi maître du destin.
Il est fondamental que la teneur favorable (ou non) de l’actualité quotidienne ne vienne pas contrecarrer les stratégies qui s’alimentent tantôt de la peur (jusqu’à la paranoïa), tantôt de la confiance (jusqu’à l’optimisme béat).
▪ Noyer le poisson et rafler la mise, c’est la technique des initiés
Lorsque le flux des informations devient par trop perturbant, une des clés consiste à noyer quelques vérités qui dérangent sous un flot de pieux mensonges, d’interprétations biaisées. Et si cela ne suffit toujours pas, de rumeurs parfaitement fallacieuses distillées au bon moment, comme mardi soir.
Le temps que la vérité éclate, que des démentis soient apportés, les marchés ont fermé leurs portes et les profits de la tromperie sont soigneusement sécurisés.
La victime de cette forme de scandale permanent reste naturellement le non-initié qui n’a pas le mental de tenir ses positions (ni le libre accès aux liquidités de la Fed).
La maîtrise du VIX permet d’optimiser de très juteuses stratégies de réplication indicielles (sur le S&P et de nombreux ETF qui lui sont associés) et de maximiser les gains sur des instruments et des produits dérivés complexes qui découlent du niveau de volatilité.
L’évolution des marchés est devenue tellement dépendante de considérations techniques que la dé-corrélation avec le réel s’accroît jusqu’à en devenir surréaliste. Le balancement permanent entre info et intox a fini par décourager des dizaines de millions d’actionnaires et convertir nombre de gérants à la réplication quantitative passive — à force d’incapacité à démêler le vrai du faux.
Et même lorsque la vérité crève les yeux, il semble suicidaire de ne pas suivre le marché.
▪ La réunion pour un éventuel sauvetage de la Grèce est reportée
L’annonce du report de la réunion de l’Eurogroupe mardi aurait dû retentir comme une alerte rouge. Mais les investisseurs semblent n’avoir réalisé qu’avec plus de 24 heures de retard la signification du report de cinq jours de la réunion. Cette dernière devait entériner le déblocage du plan de secours de 130 milliards d’euros qui, nous explique-t-on, serait le seul moyen d’éviter une banqueroute immédiate (d’ici le 23 février et au plus tard le 14 mars) de la Grèce.
Ils ont également fait l’impasse sur toutes ces petites phrases (parfois assassines) qui reflètent le désir d’un nombre grandissant de sherpas de l’Eurozone de voir la Grèce faire défaut une bonne fois pour toutes et revenir à la drachme.
La plupart des banques ont déjà tiré un trait sur 75% de leurs encours de crédit à la Grèce. Elles oeuvrent en coulisse pour que les Etats et la BCE soient soumis au même régime.
Les détenteurs de CDS contestent avec détermination la légalité des bidouilles de la BCE et de Bruxelles destinées à éviter le prononcé officiel du défaut de paiement qui ferait jouer leurs assurances — cela représenterait un montant estimé à 55 milliards d’euros.
La Grèce est bien incapable de garantir la mise en application des dernières mesures d’austérité votées dimanche soir à Athènes sur fond de climat insurrectionnel. En ce qui concerne le processus de privatisation, les recettes que la Grèce en espère ne seront bientôt plus que le dixième de ce qui avait été promis à Bruxelles et au FMI fin juillet dernier.
▪ Un référendum pour l’austérité
Mais ce qui nous paraît constituer le risque majeur de dérapage de la situation, c’est l’annonce, très peu commentée par les médias, de la tenue de législatives anticipées en Grèce. Elles équivaudront à un référendum sur l’adoption du plan adopté par un Parlement qui ne représente plus que lui-même, d’après 80% des Grecs sondés en début de semaine.
Ce serait une folie que de débloquer 130 milliards d’euros (ou même 14 milliards d’euros) pour faire face à la prochaine échéance de la mi-mars. En effet, il apparaît à peu près certain que le futur Parlement reniera dès le 15 avril les engagements du précédent, lequel ne possède plus comme seule légitimité que celle conférée par l’Allemagne, la France et le FMI… et les créanciers privés.
Même si nous n’avons pu identifier de rumeur évoquant le report du déblocage des fonds destinés à la Grèce à mi-avril, c’est une hypothèse de travail qui nous semble incontournable et qui serait à l’origine d’un gros coup de blues subi par les places européennes vers 13h45.
▪ Coup de blues sur les places européennes
Le CAC 40 repassait en quelques minutes de 3 419 points à 3 393 (vers 14h15) puis 3 378 points (au plus bas du jour) vers 16h20 — soit 0,1% pour l’indice parisien.
Les investisseurs avaient salué initialement les déclarations du président de la Banque centrale chinoise qui a annoncé que la Chine participerait au financement du FESF et du MESF — sans s’engager sur un montant précis. Pendant ce temps, la Corée du Sud venait d’annoncer un peu plus tôt une chute de 7% de ses exportations à destination de l’Europe au mois de janvier. La Chine a d’ailleurs subi la même mésaventure le mois dernier.
Ne pas prétendre vouloir prêter main forte à son principal client serait économiquement suicidaire. Ce serait acter le fait que Pékin n’espère plus être remboursé ou n’accepte plus de l’être en monnaie de singe !
▪ Les statistiques bidouillent de bonnes surprises
En dehors de déclarations amicales de la part du premier banquier chinois qui ne s’engage à rien, les opérateurs en étaient réduits mercredi matin à tenter de justifier la hausse du CAC 40 vers 3 410 points par la divine surprise d’une croissance de +0,2% en France au quatrième trimestre. Etonnant, lorsque l’on sait que la consommation recule et que l’économie détruit des emplois.
Cette performance liée à de véritables prouesses de la part des statisticiens permet juste de ne pas voir s’afficher mot récession à la une des quotidiens ou du JT de 20h pour qualifier ce que chacun peut percevoir clairement avec son seul bon sens de citoyen.
L’Europe, dans son ensemble, n’échappe pas à une contraction de 0,3% du PIB au dernier trimestre 2011, selon une estimation rapide d’Eurostat. L’Allemagne affiche un score négatif de -0,2% et les permabulls oublient volontiers que c’est le principal client de la France.