La Chronique Agora

A quoi sert une maison de vacances ?

▪ Eh bien ! Passant d’un avion à un autre, nous n’avons guère eu le temps de suivre les marchés ces derniers jours. De toute façon, il ne s’est pas passé grand’chose. C’est l’été. Les investisseurs semblent avoir la tête ailleurs. Les analystes et les commentateurs ont continué de nous ennuyer et nous distraire avec leurs explications. Au final, personne ne sait rien. Le seul avantage des investisseurs est que, comme Socrate, ils savent qu’ils ne savent rien.

De gros orages ont balayé la France la semaine dernière. Des lignes électriques ont été interrompues. Les trains vers le sud-ouest ont tous été retardés. Ensuite, des problèmes humains ont pris le relais des causes naturelles. Nous sommes resté assis dans le train Paris-Poitiers pendant une heure en gare pendant que la SNCF essayait de trouver un conducteur. Lorsque nous sommes enfin arrivé chez nous, la journée avait été longue.

"Chez nous", c’est où ? C’est une grande et vieille demeure à la campagne, au sud-ouest de Poitiers. Il y a vingt ans, nous avons décidé de mondialiser notre entreprise et notre famille. Nous avons cherché une base en Europe. En grande partie par accident, nous avons trouvé cette ruine à près de quatre heures de route de Paris. Au sud de la Loire, mais dans une région où peu de touristes mettent les pieds, les prix étaient bas et la qualité de vie — pour autant que nous puissions en juger après seulement quelques visites — semblait bonne.

Rétrospectivement, c’était une décision peu pratique. Quelles qu’aient été les affaires que nous avions l’intention de conduire en Europe, elles ne se feraient pas dans la campagne française. Nous aurions mieux fait de rester plus près de la ville. D’un autre côté, plus proche de Paris semblait moins "authentique", moins "pittoresque" — et c’était plus cher.

Nous étions stupéfait par la quantité de surface qu’on pouvait acheter dans la région. L’endroit nous a coûté à peu près aussi cher qu’une maison en bord de plage à Ocean City, dans le Maryland… mais il comprenait 11 chambres et ce qui semblait être des hectares et des hectares de toiture — en tuiles d’ardoise ou de terre. En plus de la maison avec ses tourelles, ses pignons et ses fenêtres en oeil-de-boeuf, il y avait des granges, des étables, plusieurs corps de ferme, des ateliers, des caves à vin, des garages et d’autres bâtiments encore. Nous pensions que toutes ces choses étaient un avantage. Plus tard, nous avons appris qu’elles étaient en fait un gros inconvénient… parce que les toits devaient être réparés à grands frais. La maison elle-même était elle aussi une ruine — avec à peine une salle de bains en état de fonctionner et une cuisine qui aurait été tout à fait à sa place au Moyen-Age.

Il y avait également un grand étang et un gigantesque jardin clos — caché derrière un mur de pierre haut de plus de trois mètres — qui avait été abandonné.

▪ Vive les vacances
C’est dans ce décor qu’est arrivée notre famille américaine — deux parents naïfs et leurs cinq enfants perplexes — en 1995. Depuis, c’est notre foyer en Europe, qui nous sert de résidence secondaire depuis 12 ans environ. Nous avons à présent repris nos quartiers d’été.

Nous sommes revenu samedi soir. Le dimanche, Elizabeth est allée à vélo au village pour acheter du pain et des croissants ; nous avons pris le petit-déjeuner dehors. Ensuite, nous avons fait le tour du propriétaire. Des branches étaient tombées pendant la tempête. L’une d’entre elles avait renversé notre roulotte. A part ça, nous n’avons pas vu de dégâts.

Nous avons remis la barque à l’eau pour un petit tour sur l’étang, vers le verger dans le jardin clos. Une oie était suivie de cinq ou six oisons. Un ragondin glissa de son trou et s’enfuit sous le pont. Nous avons fait le tour de l’étang à la rame, vérifiant l’état des plantes et des arbres. Ensuite, nous avons rapproché la barque de la rive, à côté du jardin, près d’une petite bâtisse de pierre où nous rangeons les outils de jardin. En sortant du bateau, Elizabeth a perdu pied et est tombée dans l’eau.

"Je sais que tu trouves ça drôle", a-t-elle dit, trempée comme une soupe, "alors vas-y, ris".

"Non, je ne trouve pas ça drôle du tout. Je suis profondément blessé que tu aies de tels soupçons".

"Ne t’inquiète pas. Ce serait probablement bizarre de ne pas trouver drôle qu’une personne tombe dans l’eau. En plus, on est en vacances. On peut s’amuser".

"Alors… ha ha ha…"

Les Américains n’ont généralement pas de résidences d’été. Ils ont des maisons en banlieues qui sont confortables en toute saison et sont censées servir toute l’année. Les familles prospères ont même des piscines derrière la maison, ce qui donne une atmosphère de vacances pendant la saison chaude.

Mais une maison d’été est différente. L’idée n’est pas seulement de décamper dans un endroit plus frais durant les chauds mois d’été, mais de laisser votre vie normale et banale derrière vous. Une résidence d’été idéale n’a pas de télé. Ni internet. Voire pas de téléphone. C’est un endroit où échapper aux nouvelles et laisser votre esprit et votre corps se remettre.

Nous avons des amis en Ecosse qui possèdent une résidence secondaire dans les îles Shetland.

"C’est le paradis, là-bas, d’une certaine manière", disent-ils. "Nous sommes seuls. Nous pêchons. Les enfants jouent dans les mares d’eau de mer à marée basse et en ressortent violets parce qu’il fait si froid. Nous sortons le bateau et allons rendre visite aux moutons sur une île non loin. Nous avons une radio et un téléphone, mais c’est tout".

En France, les gens ont tendance à aller dans le sud :

"Pendant que tu étais parti, je suis allée voir des amis près de Nîmes", nous a raconté Elizabeth. "Ils ont une vieille maison de famille dans la campagne — un mas. Très simple, avec d’épais murs de pierre. Juste un bâtiment carré. Le soleil tape, là-bas, alors ils gardent les volets fermés la plupart du temps".

"Mais c’était très reposant. Ce n’est qu’une résidence secondaire : ils l’utilisent une fois par an. Le reste de l’année, les meubles sont recouverts de draps. Mais toute la famille y va en juillet et en août. Ils retirent les draps et ouvrent les volets pour aérer. Ils viennent avec une pile de livres à lire. Ils voient leurs vieux amis. Ils mangent bien. Et c’est tout".

Le charme d’une maison de vacances, c’est qu’on n’y va pas pour faire ce qu’on fait dans une maison "normale". On ne se précipite pas d’une chose à une autre. On ne va pas faire les boutiques — sauf pour acheter à manger. On n’essaie pas de "se tenir au courant". On n’essaie pas de rattraper le travail en retard qui s’est accumulé au bureau. On n’y mange pas de repas tout prêts. On ne conduit pas vite. Non, une résidence d’été sert à autre chose.

C’est pour ralentir… lire… penser… flâner… s’interroger… bavarder…

Il y a aussi du travail à faire, cependant. Chaque année, nous peignons des volets. Ou redécorons une pièce. Ou réparons un mur.

Cette année, nous devons remettre notre roulotte en état. Assez remarquablement, les vitres n’avaient pas été brisées par la chute. Mais une bonne partie de la garniture, sur un côté, était cassée. Nous avons remis la roulotte sur ses roues avec l’aide du tracteur de notre voisin. Maintenant, nous devons nous occuper de la garniture.

Mais pourquoi se presser ?

 

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