La Chronique Agora

Luxembourg et fraude fiscale : mieux vaut éviter le train !

▪ Transporter à l’étranger une grosse somme d’argent liquide n’est pas une bonne idée. Une épargnante en a fait la cruelle expérience…

Ce n’est pas de pickpocket ou de quelque aigrefin qui subtilise agilement votre portefeuille dans le train dont je vais vous parler aujourd’hui, mais de l’article 1649 quater A du Code général des impôts.

Ce texte impose à toute personne, quelle que soit sa nationalité ou résidence fiscale, de procéder à une déclaration préalable des sommes d’argent ou titres au porteur qu’elle transporte lorsqu’elle passe la frontière française à destination ou en provenance d’un autre Etat-membre de l’Union européenne. A défaut de déclaration préalable, ces sommes sont présumées constituer des revenus et donc réintégrées dans l’assiette imposable à l’impôt sur le revenu. Ni plus, ni moins.

Le décor est donc posé. A présent voyez cette affaire examinée en Conseil d’Etat le 9 avril 2014 (n°355866). Ce n’est pas dans le fameux "train pour Pau" du duo comique Chevalier et Laspalès que je vous propose d’embarque mais dans un train pour Luxembourg.

Luxembourg, place financière mythique, gage de discrétion et de secret bancaire (une réputation sans doute un peu trop enjolivés selon moi)…

▪ La douane "volante" ou la rencontre fatale
Le voyage d’un petit groupe de trois personnes se déroulait tranquillement à bord du train Paris-Luxembourg, mais avec près de 50 000 euros en espèces dans le sac à main de Madame. Las, à Metz les gabelous de la "volante" montent à bord du train et commencent à contrôler tous les voyageurs. Arrivant à hauteur de Madame, les douaniers l’interrogent en lui demandant si elle transporte des espèces dépassant le seuil alors en vigueur de 7 622 euros.

Une réponse négative ne dissuade pas nos douaniers d’entreprendre la fouille des bagages ; bien évidemment ils découvrent le pot aux roses. Madame a menti. Sa situation semble parfaitement coller aux prévisions de l’article 1649 quater A du CGI ouvrant la voie à une solution juridique simple, en apparence.

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Le contrôle du sac est intervenu tandis que le train roulait encore sur le territoire français

Car à partir d’ici, tout se complique singulièrement. Le contrôle du sac est intervenu tandis que le train roulait encore sur le territoire français et alors qu’il restait une gare (Thionville) où notre voyageuse pouvait encore descendre, et de là renoncer à son projet de franchir la frontière ou bien aller se présenter spontanément au bureau des douanes de cette gare pour y procéder — mieux vaut tard que jamais ! — à cette fameuse déclaration. Se pose alors la question suivante : l’article 1649 quater A du CGI est-il applicable à l’espèce ?

▪ L’intention de faire ou la commission des faits ?
La réponse ne va pas de soi puisque le litige est remonté jusqu’au Conseil d’Etat. La première phase désagréable concerne le redressement opéré par la Direction des services fiscaux d’Ile-de-France pour un montant de 20 107 euros intérêts de retard inclus. Redressement contre lequel notre infortunée passagère forme une réclamation rejetée par l’administration. Les parties se transportent alors devant le Tribunal administratif de Paris (1er décembre 2009) qui rend un premier jugement mi-figue mi-raisin en ce qu’il décharge Madame seulement des intérêts de retard. L’affaire se poursuit devant la cour d’appel administrative de Paris qui statue le 17 novembre 2011 (n°10PA00526).

Cette seconde juridiction va entendre avec bienveillance l’argumentation de Madame qui rappelle qu’elle était dans un train sur le sol français et qu’il restait encore un arrêt dans notre pays où elle pouvait tout à fait procéder à la déclaration spontanée. Et donc les magistrats en appel concluent "qu’en l’absence d’intervention du fait générateur de l’imposition de la somme en cause sur le fondement des dispositions de l’article 1649 quater A, qui n’intervient que lorsque l’intéressé ne fait pas usage de la dernière possibilité de déclaration avant le franchissement de la frontière, l’administration n’était pas, dans les circonstances de l’espèce, en droit de mettre le complément d’impôt sur le revenu en litige à la charge de M. et Mme A". Dès lors, l’assujettie voit le redressement fiscal annulé.

A quel moment devient-on fautif de non-déclaration d’emport d’espèces ?

Hélas, les ennuis ne sont pas finis pour autant. Car la Direction générale des finances publiques (DGFiP) saisit le Conseil d’Etat afin d’obtenir un son de cloche plus favorable à son tiroir-caisse. La délicate réponse à donner se résume à cette question : à quel moment devient-on fautif de non-déclaration d’emport d’espèces ? Est-ce sur un plan matériel et constatable objectivement, quand le train franchit le point de non-retour — en l’espèce la dernière gare d’arrêt en sol français avant franchissement de la frontière ? Ou bien doit-on considérer comme facteur déclenchant du fait générateur de l’impôt ce moment précis où l’on ment à la douane volante ?

▪ Pour le Conseil d’Etat, la fraude se déduit d’un faisceau d’indices
Hélas pour Madame, la solution dégagée par le Conseil d’Etat se révèle finalement un mix des deux, puisque la Haute juridiction confirme la validité du redressement fiscal formulé à l’encontre de Madame en ce que :

– sur un plan subjectif, le mensonge est avéré. A la question posée par les douaniers, l’assujettie a sciemment répondu qu’elle ne transportait aucune valeur sur elle.
– sur un plan matériel, certes elle se situait avant la gare de Thionville. Cependant le Procès-verbal d’infraction établi par les agents des douanes mentionnait que l’interpelée était bien en possession d’un billet de train dont la destination finale était la gare de Luxembourg. Et non Thionville.

Le Conseil d’Etat adopte donc un raisonnement reposant sur un faisceau d’indices permettant d’établir avec certitude l’action frauduleuse ; même si pris isolément, chacun des faits n’ouvre pas la voie à une conclusion aussi catégorique.

89 euros du kilomètre, sans doute le billet de train le plus cher de l’Histoire ferroviaire

Au total, sur les 41 923 euros transportés, Madame aura versé 20 107 euros au fisc ainsi que 6 097 euros que la douane a retenus en échange de la non-confiscation de la totalité de la somme ! Bref, 26 204 euros soit une ponction de 62,5%. Compte tenu de la distance entre Paris-Gare de l’Est et Luxembourg, cela représente 89 euros du kilomètre, sans doute le billet de train le plus cher de l’Histoire ferroviaire.

▪ Ne fraudez pas… émigrez plutôt !
Emmener et cacher de l’argent à l’étranger n’est pas une bonne idée. Si vous estimez être écrasé d’impôt — ce qui est une réalité objective en France avec le record des prélèvements obligatoires — la solution la plus simple et totalement légale consiste (hélas) à quitter le pays.

C’est sans doute encore plus vrai à la retraite, au moment où l’imposition sur la fortune ne considère plus une partie de vos biens comme étant professionnels, et que cesse donc l’exonération qui allait avec.

Des solutions existent ; nous les avons détaillées dans un guide facile à lire, Retraite partir vivre à l’étranger. Ce livre vous procurera un "banc d’essai" d’une quinzaine de pays, et vous révèlera tous les aspects à prendre en compte en termes de droit fiscal international et droit international privé.

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