▪ Dans un Billet du Trader publié en début de semaine, on pouvait lire que le luxe, apparemment le secteur le plus futile et le plus décorrélé des cycles économiques menait les indices boursiers par le bout du logo. Le parallèle entre Apple, LVMH ou Hermès (ventes record, marges stratosphériques) est saisissant, leur impact sur la tendance des indices boursiers est sans précédent historique connu.
Après un petit pullback du CAC 40 vers 3 450 points, il n’a pas fallu attendre longtemps pour voir PPR manquer d’inscrire un nouveau record historique dans la zone des 136 euros. Notre article n’y est pour rien, vous le concevez aisément… C’est juste que dès que le CAC 40 reprend de l’altitude (il tutoyait les 3 535 points mardi matin), les mêmes programmes d’achats automatisés sont réactivés, avec comme priorité le ramassage des titres qui surperforment le benchmark du CAC 40 et qui font la démonstration de leur capacité à préserver leur pricing power.
Mais là n’est pas le sujet du jour : disserter sur les multiples astronomiques d’Hermès n’a plus aucun sens avec un flottant inférieur à 2%. Hermès ne devrait plus coter depuis longtemps : ceux qui prétendent que payer le titre 10 fois le chiffre d’affaires s’explique par la qualité et le succès commercial des produits en Asie achèvent de discréditer totalement les marchés.
En ce qui concerne Apple, les mêmes illuminés estiment que sur la base des multiples de LVMH, partant d’un taux de profitabilité assez comparable, l’entreprise, avec ses 62 000 salariés (0,1% de la population française), devrait valoir entre 900 et 1 000 $ — soit le tiers du PIB français. A 615 $, c’est cadeau !
A 950 $, sa capitalisation boursière, aujourd’hui équivalente au PIB de l’Arabie Saoudite ou de la Suède, dépasserait celui de la Turquie et de ses 100 millions d’habitants.
Les marchés et les fous ont partagent ce point commun : ils ont toujours raison ! Et pendant que les spécialistes du luxe valident des projections bénéficiaires qui tendent « vers l’infini et au-delà », la plupart des analystes négligent la montée en puissance d’un phénomène qui tire toute l’économie occidentale vers le bas, avec des conséquences qui touchent un public infiniment plus nombreux : le low cost.
▪ Les nombreux méfaits du low cost
Vous savez à quel point le low cost dans le monde de la presse et de l’édition a déjà causé une hécatombe de publications « papier » depuis l’automne 2008.
Dans le secteur du transport aérien, le low cost maintient la quasi-totalité des compagnies aériennes américaines dans un climat de faillite et de restructurations permanentes depuis 15 ans.
Dans la distribution, le low cost anéantit les marges des enseignes dont le coeur de clientèle correspond aux classes moyennes. Marks & Spencers, Sears,… voient leurs ventes s’effondrer ; même Wal-Mart a du mal à suivre, et Carrefour s’est fourvoyé en essayant de copier Monoprix en créant des espaces commerciaux plus conviviaux.
Dans le monde de la finance, le low cost, c’est la possibilité de multiplier les allers-retours pratiquement sans frais et donc de raccourcir l’horizon de placement de la semaine (le temps d’amortir les frais de transactions) aux cinq prochaines minutes : si ça ne paye pas immédiatement, je sors !
Avec ce genre d’échelle de temps, ce n’est plus la valeur qui compte, mais le prix — qui devient complètement auto-référent. Le low cost, c’est le culte de l’immédiateté en matière d’information. Pas de recul, pas de mise en perspective, aucun contenu analytique.
Tout se joue au niveau de l’émotion (devant un journal « gratuit » ou un article archi-soldé) ou de la réaction — par opposition à la conviction — en matière de placements financiers. Il n’est plus question que de suivre aveuglément la tendance, surtout pas de l’anticiper, et encore moins de la remettre en question.
Des prix toujours plus bas, c’est toujours plus de chômage dans les pays développés… et des marges qui se retrouvent finalement sous pression pour les entreprises du CAC ou du S&P qui font produire en Chine, en Inde ou en Indonésie.
Et puis un jour, les prix cessent de baisser, parce que le pétrole flambe, parce que les salaires — même de misère — augmentent, malgré un ultra-libéralisme forcené.
La paix sociale est à ce prix… Et en l’occurrence, pour Pékin, Dehli ou Djakarta, cela n’a pas de prix !
La culture du low cost, c’est une dérive de l’optimisation des ressource sans frontières éthiques ni sociales. C’est une exacerbation jusqu’aux limites de l’absurde du « en faire plus avec moins ». C’est une fois encore le triomphe de la culture du prix (référent objectif) et non de la valeur (référent subjectif non modélisable) qui s’impose jusqu’aux plus hautes sphères de l’économie politique.
▪ Des conséquences qui dépassent le monde de la finance
Notre monde productiviste doit se plier aux process et aux metrics ; les coûts « superflus » doivent être inlassablement traqués puis éliminés sans état d’âme. Comme par hasard, ce sont d’abord les coûts humains qui passent au laminoir, et les salariés passent directement de la chaîne de production à la queue devant Pôle Emploi.
Face à la perte de leur statut social et de leur pouvoir d’achat, les exclus temporaires ou définitifs du jeu économique n’ont plus que le low cost et le hard discount comme alternative… et la boucle qui tire tout (sauf le luxe) vers le bas est bouclée.
Les flux de liquidités créés par les banques centrales au profit des banques commerciales (le temps d’un prêt à trois mois ou trois ans) vont s’investir dans les actions — le plus volontiers vers des entreprises qui n’embauchent pas (à part Hermès ou LVMH) et qui ne prennent surtout pas le risque d’un pari sur une hypothétique embellie conjoncturelle.
Notre conclusion est assez sinistre : pour un maximum de profits boursiers, misez d’abord sur ceux qui parient au jour le jour sur le futile et qui conjuguent l’avenir au No Future.