La Chronique Agora

LTCM, Lehman — même combat

** A présent, c’est au tour de Lehman.

* Il y a dix ans, la Réserve fédérale de New York faisait appel à Lehman Bros. et à une poignée d’autres grands acteurs de la finance américaine pour sauver un hedge fund prestigieux. Les sociétés ont râlé et gémi… mais elles ont avancé l’argent — 3,7 milliards de dollars. Le sauvetage fut couronné de succès. Les positions de LTCM ont été dénouées progressivement ; il n’y a pas eu de panique, et le secteur de la finance a pu revenir à son occupation habituelle : séparer les clients de leur argent.

* Long Term Capital Management était géré par quelques Prix Nobel d’économie qui pensaient pouvoir utiliser les schémas financiers passés pour modéliser l’avenir — comme si les mouvements des cours ressemblaient à ceux de la météo. Si un cyclone avait atteint Houston à deux reprises au cours du siècle passé, ils en déduisaient que les chances de voir un autre ouragan frapper la ville était de une sur 50. De même, si le prix de l’action Lehman avait oscillé entre 10 $ et 30 $ durant  ses 158 années d’histoire, ils en concluaient — grosso modo — qu’il resterait entre 10 $ et 30 $.

* LTCM a fait faillite lorsque l’avenir s’est révélé différent du passé. Quiconque avait les yeux ouverts à l’époque aurait pu dire pourquoi aux lauréats du Nobel : les schémas météorologiques n’ont rien à voir avec les décisions humaines – contrairement aux schémas boursiers.

* Selon l’une des grandes révélations des années 90 — ou des années 80 ? –, les actions étaient traditionnellement, historiquement, sous-évaluées. Si on les compare aux obligations, disait un auteur financier célèbre, les actions sont meilleur marché. Les acheteurs d’actions gagnent une prime par rapport aux obligations pour compenser le risque qu’ils prennent, affirmait-il. Mais si l’on détenait les actions "pour le long terme", le risque disparaissait. Acheter des actions semblait évident.

** C’est ainsi que le lumpen-investoriat a commencé à injecter de l’argent dans les actions… prudemment, au début des années 90… puis imprudemment, à la fin de la décennie. Et en 2000, le marché boursier ne reflétait plus le mouvement "aléatoire" des cours tels qu’il était prédit par les cent précédentes années d’histoire boursière ; au lieu de cela, il reflétait la croyance récente et remarquable que les actions grimpent toujours… et que si un investisseur les détenait pendant assez longtemps, le risque disparaissait.

* Du sommet de 2000 jusqu’à aujourd’hui, les investisseurs boursiers n’ont rien reçu en dédommagement de leur peine. En termes nominaux, les actions sont à peu près au même niveau qu’il y a 10 ans. Si on les ajuste à l’inflation, elles ont baissé de 25% à 80%, selon la mesure utilisée.

* L’industrie financière a gagné des fortunes en vendant des actions à des investisseurs naïfs. Lorsque la Bourse a atteint son sommet, la finance aurait pu se rendormir. Au lieu de cela, elle a pris une double dose de caféine. La Fed de Greenspan a réduit ses taux en 2001-2002, tandis que l’administration Bush stimulait les dépenses et baissait les impôts. Tout à coup, tout le monde à Wall Street produisait du crédit à tour de bras — des produits dérivés, des SIV, des CDO, des MBS. Il n’y avait même pas besoin d’inventer de nouvelles théories ; on a simplement recyclé les crétineries qui ont coulé LTCM — qui affirmaient, en gros, qu’on pouvait éliminer le risque en modélisant les mouvements de prix historiques. Par exemple : si Lehman Bros. n’avait pas fait faillite en un siècle et demi, les chances de le voir faire faillite cette année étaient si proches de zéro qu’il ne valait pas la peine d’en discuter.

* Pourtant…

* "Lehman se traîne vers la liquidation", titrait hier le International Herald Tribune.

*A présent, c’est Lehman qui coule. Et aucun consortium de banques ne veut, ou ne peut, le secourir. Lehman possède environ 80 milliards de dollars de crédits douteux. Il s’agit là du produit de ses propres prodiges de l’ingénierie financière — et de bien d’autres. Lehman a embauché certains des plus grands talents de Wall Street. Certains des plus grands mathématiciens financiers de la planète figurent parmi ses employés. Ils pouvaient calculer les risques de perte jusqu’à trois… quatre… et autant de chiffres après la virgule qu’on le souhaitait. Mais ils ne pouvaient le faire que de la même manière que LTCM — en se basant sur le passé.

* Comme nous l’expliquions, lorsque les investisseurs se sont mis à considérer les actions comme un moyen sans risque de devenir riche, ils ont fait grimper les prix jusqu’au point où ces derniers ne représentaient plus que du risque… sans récompense. Et lorsque leurs modèles leur ont dit qu’ils pouvaient faire des profits en prêtant de l’argent à des gens qui ne pouvaient pas le rembourser, quasiment tous les prêts qu’ils ont accordés les ont rapprochés de la faillite.

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