La Chronique Agora

Logiques calamiteuses et printemps meurtrier

** Nous n’avions pas rédigé noir sur blanc le scénario heure par heure de la correction/panique boursière qui s’est matérialisée hier… Mais nous l’avions par avance décrite dans ses grandes lignes, et avec un luxe de précisions sur les seuils techniques à ne pas enfoncer, tout au long des chroniques depuis lundi 5 juin — jour de la Pentecôte où les indices se sont effectivement engagés sur la mauvaise… pente !

Nous avons commis une petite imprécision dans le timing en situant le grand tournant baissier ce mercredi 7 juin. Il n’est survenu que le 8… mais ce ne fut que reculer pour mieux sauter dans le vide, puisque le CAC 40 a dévissé de 2,91%, dans un volume de 8,12 milliards d’euros (9,65 milliards sur l’ensemble des valeurs du SRD, tandis que 95% des valeurs du SBF 250 terminaient dans le rouge).

La purge est planétaire. Tokyo avait donné le coup d’envoi hier matin avec un plongeon de 3,08%, Paris, Francfort et Amsterdam suivent de près avec -2,9%. Londres a chuté de 2,4%, et cela ne va guère mieux de l’autre côté de l’Atlantique, puisque le Nasdaq dévissait hier à mi-séance de 2,4%… tutoyant les seuil des 2 100 points ; nous l’attendons tout prochainement entre 2 030 et 2 050 points. Le Nasdaq 100 cumule désormais une perte annuelle de 4%, et le "composite" accuse un repli de 6,5% relativement comparable à celui de l’indice Nikkei, qui s’effondre de 9%.

A l’exception de Madrid, toutes les places européennes affichent maintenant un score négatif (de -1% à -3%) et Paris limite la casse avec -0,66% depuis le 1er janvier.

Tous les gains annuels accumulés en quatre mois et dix jours ont donc été effacés en une vingtaine de séances seulement. Tout est allé très vite — trop vite ? — puisque la correction du CAC 40 atteint -12% par rapport au zénith du 11 mai… et -5,5% depuis lundi.

Le plus inquiétant, c’est la cassure brutale du plancher des 4 800 points alors que le gap des 4 906 points n’a pu être comblé. Le CAC 40 en a ensuite ouvert un second sous 4 770 points, pour une réouverture à 4 706 points. Une timide contre-attaque des amateurs de bargain hunting (chasse aux bonnes affaires) a été sévèrement repoussée en milieu d’après-midi, et Paris clôturait sous les 4 685 points, un score qui n’avait plus été approché depuis le 20 décembre 2005.

Pour ne rien arranger, toutes les places européennes se sont donné rendez-vous à 17h30 au plus bas du jour, du mois et de l’année. La fin de séance a été de nouveau marquée par le déclenchement de programmes de liquidation automatisée des positions dès l’enfoncement des planchers de la matinée (qui se situaient à -2,5% en moyenne).

** La journée d’hier s’est achevée sur un mélange d’effroi et de perplexité. En effet, au-delà de la lourdeur des scores, les opérateurs peuvent s’interroger sur les causes "tangibles" de ce vent de panique qui avait commencé à souffler dès le matin sur les places asiatiques, à Tokyo en particulier.

Cette journée constitue un véritable paradoxe car il n’y avait que des motifs de satisfaction dans l’actualité géopolitique du jour : Abou Moussab al Zarqaoui, chef d’Al-Qaïda en Irak, a été éliminé hier matin, et l’Iran accepte d’étudier les propositions occidentales sur son programme nucléaire…

Les nouvelles étaient également aussi rassurantes que possible sur le front macroéconomique. La BCE, qui a relevé comme prévu son taux directeur de 25 points, à 2,75%, se montrait moins intraitable que prévu au sujet de l’inflation — même si son rythme avoisine 2,2% et excède de 10% l’objectif fixé par les critères de Maastricht.

Jean-Claude Trichet a peut-être tenu compte du climat de nervosité actuel des marchés et s’est attaché à calmer les esprits. Le terme "vigilance", à propos de l’inflation, a été remplacé par "surveillance" (étroite, naturellement) de l’évolution des prix — ce qui présage d’un répit en matière de hausse des taux jusqu’au 31 août prochain, sauf été catastrophique en termes de dérive des pressions inflationnistes liées à une flambée du pétrole.

Pas de mauvaise surprise non plus avec les statistiques américaines — recul de 35 000 du nombre des demandeurs d’emplois fin mai/début juin… Nette détente sur les marchés de matières premières — le baril de pétrole rechute sous 69,5 $, contre 73,5 $ lundi, après l’annonce de l’élimination d’Al Zarqaoui.

Mais d’où provient donc l’accès de déprime des détenteurs de valeurs mobilières ? Le métal précieux, principal baromètre d’une défiance des investisseurs face au dollar, à l’excès de dette américain et aux incertitudes géopolitiques, a plongé de 2,5% à 609 $/once ; il accuse ainsi 110 $ de baisse en un mois, soit environ -15%.

Enfin, le dollar reprenait 1,4% face à l’euro (à 1,2625) après le communiqué "apaisant" de la BCE, ce qui conférait aux investisseurs américains un surcroît de pouvoir d’achat inversement proportionnel pour se positionner sur les "valeurs euro".

** Mais le CAC 40 ne progressait-il pas depuis six mois en contradiction avec la hausse de l’or et du pétrole, malgré la rechute du dollar sous les 1,18 (et jusque vers 1,28/euro), puis la tension des taux longs (5,1% aux USA, 4% en Europe) ?

Il ne faut donc pas s’étonner qu’une conjonction de facteurs fondamentaux aussi favorables ait débouché sur une séance boursière calamiteuse. Aussi calamiteuse que la logique tordue qui préside à l’évolution des bourses mondiales depuis 1998 ?

Alors nous n’avons pas encore tout vu… Le meilleur reste sans doute à venir, et le printemps s’annonce meurtrier. Nous vous en dirons plus dès que le CAC 40 flirtera avec les 4 550 points et l’Euro Stoxx avec les 3 300 points. Autrement dit, vous n’allez pas devoir patienter bien longtemps !

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