La Chronique Agora

La livre sterling face à l’euro : un parcours inattendu

▪ Alors que le Royaume-Uni se réjouit d’avoir la plus forte croissance économique de tous les pays industrialisés, la croissance du PIB dans la Zone euro est pratiquement à l’arrêt. Par rapport à l’année précédente, le PIB britannique a cru de 3,1% ; la Banque d’Angleterre prévoit même 3,5% pour 2014. Avec 1,6% en juillet, l’inflation reste en dessous de l’objectif fixé de 2%. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, ne craint pas une hausse plus forte du taux d’inflation, mais plutôt une surchauffe du marché immobilier. Cependant, le niveau des prix n’est pas aussi inquiétant que le montant de la dette hypothécaire.

Voilà un mois environ, le gouverneur Carney a présenté une analyse détaillée afin de préparer les marchés financiers à un changement dans la politique monétaire et à une prochaine hausse des taux d’intérêt ("guidance"). Compte tenu de la stagnation des taux d’intérêts directeurs du marché monétaire dans la Zone euro, l’écart entre livre sterling et euro est en train de s’agrandir, ce qui augmente la probabilité d’une sterling plus forte.

Toutefois, c’est exactement le contraire qui s’est passé sur le marché des devises : la livre sterling a baissé. Bien qu’il existe plusieurs raisons fondamentales en faveur d’une appréciation de la livre, c’est l’euro qui a augmenté. Les raisons du phénomène sont d’ordre technique. Les investisseurs axés sur la spéculation avaient ajusté leurs positions selon l’orientation induite par le discours du gouverneur, pariant sur une livre forte. Maintenant, ces positions sont supprimées, les bénéfices sont pris, et la livre chute. Sans cette guidance, les cambistes auraient probablement acheté la livre avec des montants beaucoup plus faibles.

▪ Restons prudents tout de même…
D’un point de vue long terme, il y a aussi des raisons fondamentales pour ne pas être trop optimisme en ce qui concerne une réévaluation de la GBP. Le dynamisme économique actuel ne sera pas durable car il a été principalement causé par la politique monétaire ultra-expansive. Pour 2015, la Banque d’Angleterre prévoit une croissance du PIB de 2,5%. Les consommateurs ont diminué de moitié leur taux d’épargne, ce qui ne peut pas durer trop longtemps sans mettre en danger l’investissement. Une hausse des taux d’intérêt apportera également des charges plus élevées pour les ménages privés.

De plus, l’économie britannique a toujours des handicaps chroniques tels que les déficits élevés du budget public (environ 6,5% du PIB) et des comptes courants (premier trimestre 2014 : -18,5 milliards de livres, soit 4,4% du PIB), qui s’opposent à la réévaluation de la livre sterling. Dans le commerce international, la Grande-Bretagne est handicapée en raison de la faiblesse de son outil industriel, pas assez développé. L’économie britannique est fortement concentrée sur le secteur des services financiers.

Dans les décennies qui ont suivies la Deuxième guerre mondiale, les banques centrales gardaient le secret sur l’évolution de leur politique monétaire jusqu’à la dernière minute, et leur annonce était une surprise pour les marchés financiers. Alan Greenspan fut un expert bien connu de cette méthode consistant à ne rien dire avec beaucoup de mots. De nos jours, les banques centrales expliquent leurs plans aux marchés longtemps à l’avance : la guidance.

Ainsi, elles donnent suffisamment de temps pour que le consensus se forme et s’adapte à la tendance à venir. Cette méthode convient très bien aux spéculateurs, leur permettant d’investir de plus grandes quantités avec plus de sécurité qu’auparavant. Ces montants étant très élevés, la volatilité sur les marchés financiers est également devenue élevée. Cependant, dans le cas où les décisions monétaires attendues d’une banque centrale ne se produisent pas ou sont reportées, le consensus se trouve piégé.

Conclusion : le retour à la normalité de l’économie autorise un changement de politique monétaire. Rien n’a changé à cet égard car ce retour à la normalité implique aussi un retour des problèmes chroniques de la Grande-Bretagne. Ainsi, la livre sterling pourrait, en 2015, continuer à baisser contre l’euro, en direction des 0,85 livres pour un euro.

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