▪ Les places européennes ont conclu une morne séance mercredi par un repli insignifiant de 0,05%. Paris lâchait 0,25% avec moins de deux milliards d’euros échangés. Le CAC 40 a clôturé, tout comme la veille, à mi-chemin entre ses extrêmes du jour (3 390/3 420 points).
L’explication la plus souvent avancée était que l’attentisme prédomine avant la réunion de la BCE de ce jeudi — délocalisée en Slovénie à Ljubjana.
Les stratèges espèrent peu de surprises : ni baisse de taux, ni compte-rendu du déroulement du plan de rachat illimité de créances souveraines qui reste au point mort. Tout dépend de l’Espagne qui joue la montre depuis le 12 septembre, repoussant l’éventuel appel à l’aide au-delà de mi-octobre.
Mariano Rajoy s’est déjà mis à dos 80% de la population avec des mesures d’austérité censées devancer les exigences de la BCE en matière de rétablissement des finances publiques. Il tente de sauver la face en essayant d’échapper à une mise sous tutelle à l’allemande.
▪ 60 milliards d’euros pour l’Espagne pour tenir jusqu’à la fin de l’année
M. Rajoy continue d’agir comme si l’Espagne gardait la confiance des marchés. Le plan de recapitalisation des banques ibériques à juste un peu moins de 60 milliards d’euros ne trompe personne.
Si 60 milliards d’euros, c’est juste pour tenir jusqu’au 31 décembre 2012 !
En 2013, il faudra bien avouer que les créances douteuses représentent des montants trois ou quatre fois supérieurs à l’audit de vendredi dernier. Rappelons aussi que le taux de défaut de 10% concédé du bout de la règle à calcul est très inférieur à la réalité.
Ce sont pas moins de 50% des crédits immobiliers conclus en 2007 et 2008 qui sont sous l’eau. Avec une chute des prix de 30% en cinq ans et un taux de chômage réel plus proche de 33% que de 25%, la liste des emprunteurs solvables devient dangereusement courte.
Aux Etats-Unis, les emprunteurs de 2007 et 2008 ne sont pas en meilleure posture, mais leurs créanciers dorment plus tranquillement depuis des mois, lorsque les rumeurs de rachats de MBS par la Fed ont commencé à circuler — d’abord en novembre 2011 puis avec plus d’insistance à partir de fin-avril 2012.
▪ Pour Ben Bernanke, la crise actuelle est destinée à se poursuivre
Comme il s’agit de dérivés de prêts immobiliers affichant des maturités moyennes de 20 ans, Ben Bernanke ne sera plus là pour assumer les conséquences des rachats illimités initiés en 2012.
Le président de la Fed espère cependant rester en fonction pendant un temps considérable, c’est-à-dire au moins jusqu’à fin 2014 qui constitue son horizon pour le maintien des taux au niveau zéro.
Il n’envisage de resserrer la politique monétaire qu’après le renforcement de la reprise — ce qui suppose qu’elle doit d’abord poursuivre sa convalescence.
Il reconnaît donc implicitement que la crise actuelle est destinée à se poursuivre pendant un temps considérable !
Ben Bernanke tente de distraire l’attention des marchés des sombres perspectives conjoncturelles avec la fameuse « falaise fiscale ». Il exhorte démocrates et républicains à unir leurs efforts pour « mettre le budget de l’Etat fédéral sur une trajectoire viable »… mais en prenant grand soin que « cela ne compromette pas la croissance économique à court terme ».
C’est la quadrature du cercle : personne ne pense sérieusement qu’une administration démocrate et un Congrès majoritairement républicain pourraient trouver une solution consensuelle et équilibrée.
Même en supposant qu’une fée bleue les fasse soudain tomber dans les bras les uns des autres d’ici le 31 décembre, l’équation budgétaire est quasiment insoluble.
Les marchés savent déjà comment cela va se terminer : comme toujours depuis le début des années Bush, par un déplafonnement de la dette publique américaine.
▪ Un petit effort de 1,6 trilliard par an…
Cette fuite en avant est dénoncée de longue date par Bill Gross, le dirigeant de Pimco qui s’est rendu célèbre en annonçant que son fonds — le plus important sur le marché obligataire américain — avait liquidé tous les T-Bonds qu’il détenait. Il inscrit les Etats-Unis dans la même catégorie de pays que la Grèce, l’Espagne ou le Japon, avec des taux réels d’endettement (public + privé) supérieurs à 140%.
Bill Gross a calculé que pour remettre les finances américaines sur les rails, il serait nécessaire d’accroître les recettes fédérales — ou de diminuer symétriquement les dépenses — à concurrence de 11% du PIB pendant 5 à 10 ans, soit un effort de 1,6 trilliard par an.
La fameuse « falaise fiscale » représente en comparaison un enjeu de seulement 200 milliards d’euros (huit fois moindre) !
Alors non seulement, les Etats-Unis n’ont pas d’autre choix que de continuer à mettre leurs bailleurs de fonds devant le fait accompli d’un déplafonnement et d’un recours éternel à la planche à billets, mais en plus, il n’y a pas d’autre solution que dissoudre la dette dans un fleuve d’inflation.
Comment tout cela va-t-il finir ? Nul ne semble prêt à mettre beaucoup d’argent sur la table pour jouer un quelconque scénario depuis un mois. Les indices américains sont enfermés au sein du même corridor de 2% ou 3% d’épaisseur, et ce depuis le 2 septembre ( le S&P par exemple oscille sans désemparer entre 1 430 et 1 465 points). Tout cela tend à prouver que les annonces des banques centrales étaient déjà pricées avant de rentrer en vigueur.
C’est assez troublant… Nous avons la sensation que tout est sous contrôle, que les différentes phases boursières observées depuis octobre 2011 sont parfaitement scénarisées, que les décalages de cours surprise sont en fait soigneusement orchestrés.
Nous avons observé un nombre anormalement élevé d’écarts de 1% à la hausse en quelques secondes (ce n’est pas une image) et jamais à la baisse ces quatre derniers mois. Ces mouvements sont liés à des dépêches ou des « rumeurs » que personne n’a eu le temps de lire ou même songé à rechercher parmi les milliers de sources d’informations qui alimentent la toile.
Le parti pris haussier ne semble faire aucun doute, de même que le laminage obstiné de la volatilité. Mais chassez-la du compartiment actions ou du marché obligataire et elle ressurgit ailleurs.
▪ Le pétrole plonge et Téhéran aussi
La volatilité boursière s’est largement contractée ce mercredi par rapport aux deux premières séances du quatrième trimestre. Il n’y aurait pas grand-chose à retenir de cette journée — vu les scores évoqués en tout début de chronique — si le pétrole n’avait enregistré en fin de séance un plongeon abyssal de 4,5%.
Le baril a longuement flirté avec les 92 $ (au-delà de la mi-journée) avant de glisser insensiblement vers 91 $. Le repli s’est ensuite brusquement radicalisé sous 90 $, et le WTI a entamé une chute en piqué d’environ une heure qui l’a précipité sous les 88 $, jusque vers 87,8 $.
Un tel mouvement ne peut se comprendre et s’expliquer que par rapport à un contexte géopolitique qui évolue radicalement en Iran, avec un effondrement de 17% du rial lundi. Il s’agit là d’un véritable krach qui laisse la population locale et Téhéran désemparés.
Le rial subit en réalité une désintégration de -40% en une semaine… et la chute atteint 75% depuis un an, ce qui devient ingérable économiquement.
Pour les marchés, ce pourrait être le commencement de la fin pour le régime en place car l’inflation explose et le pays, étranglé par les sanctions commerciales, manque de tout.
A commencer par un stock de devises étrangères pour régler ses importations, y compris d’essence, un comble pour un pays producteur et membre historique de l’OPEP.
Des troubles pourraient éclater et déstabiliser le pouvoir. Ce dernier ne parvient d’ailleurs plus à mobiliser la population sur le thème de l’ennemi extérieur et des trois satans (Israël, les Etats-Unis, l’Europe).
C’est là que réside la grande inconnue pour les marchés. Le pouvoir iranien va-t-il imploser, se désagréger ? Ou au contraire réagir violemment, en représailles face au complot dont le pays ferait l’objet, c’est-à-dire une offensive économique coordonnée par les alliés des Etats-Unis, déclenchée à six semaines des présidentielles américaine ?
Cela alors qu’Israël accentuait depuis juillet la pression sur la Maison Blanche pour le recours à l’option militaire et des frappes ciblées sur les sites présumés d’enrichissement d’uranium iraniens.