La Chronique Agora

L'immobilier chinois… aux Etats-Unis

▪ "Je veux une grosse voiture et une grande maison", nous a dit le client d’un restaurant de sushi où nous avons récemment dîné, dans le fameux complexe Bellavita à Taipei. "Et les logements sont si bon marché ici, je suis sûr qu’il me restera suffisamment pour m’acheter un de ces énormes 4×4 que les Américains aiment tant".

Ce monsieur était assis non loin de nous au comptoir du restaurant. Lui et sa fille étaient de passage à "Formose" pour rendre visite à la grand-mère de la fillette. Chef renommé, notre nouvel ami possède des restaurants à Los Angeles et autour de la ville où il réside actuellement, tout près de Shanghai. Né ici, à Taiwan, il parle couramment mandarin, anglais, et "l’espagnol de cuisine". Sa fille, qui n’a que cinq ans, se débrouille étonnamment bien dans les trois langues.

 "¿Necesitas ir al baño?" a fièrement demandé le papa. La demoiselle a regardé les nouveaux amis de son père d’un air timide. "Si".

En revenant des toilettes quelques minutes plus tard, il s’est remis à nous exposer ses projets d’avenir.

"J’ai jeté un oeil à plusieurs endroits la dernière fois que je suis passé par là, plus tôt cette année. Nous voyageons beaucoup et je cherche toujours la bonne affaire".

Ce monsieur ne parlait pas d’acheter une maison à Taiwan, où les prix n’ont fait qu’augmenter sur 21 mois consécutifs jusqu’au mois de mai. Il ne cherchait pas non plus de bonnes affaires en Chine, où la crainte de la bulle de l’immobilier a poussé les gouvernements à mettre en place une série de mesures destinées à enrayer la spéculation galopante. Il a plutôt l’oeil sur "un quartier ou deux" à la lisière de Houston, au Texas.

"Il y a tellement d’espace disponible là-bas… de grandes routes… de nombreux parcs. Les prix ont subi une sacrée baisse ces dernières années. Je peux acheter plus avec mes yuans, et le quartier que je convoite abrite une communauté chinoise en pleine expansion, comme ça elle [il montre sa fille] pourra continuer à pratiquer son mandarin".

▪ L’histoire de notre copain du restaurant de sushi n’est pas unique. Pour un nombre grandissant de citoyens chinois géographiquement mobiles et particulièrement doués, l’investissement dans l’immobilier à l’étranger devient une nouvelle façon de placer son argent, et une couverture contre un marché de plus en plus précaire chez eux. La classe moyenne émergente de l’empire du Milieu n’a que très peu d’options quand il s’agit de protéger son épargne. Beaucoup se montrent prudent sur les investissements dans les actions, après les récentes baisses brutales dans les marchés (l’indice composite de Shanghai est "officiellement" entré dans un marché baissier le mois dernier après avoir baissé de plus de 20% depuis son record de 2009). Et une fois encore, les craintes concernant les efforts des gouvernements pour calmer les marchés immobiliers dans les principales villes les encouragent d’autant plus à se tourner vers l’étranger.

Vus par certains comme les "nouveaux Russes", les femmes et hommes d’affaires chinois fortunés s’emparent des propriétés haut de gamme de Londres à Sydney, en passant par Vancouver et New York. Selon un rapport mondial sur les fortunes publié l’année dernière par Merrill Lynch et Cap Gemini, le nombre de millionnaires en dollars en Chine a dépassé celui du Royaume-Uni pour la première fois en 2008. Seuls les Etats-Unis, l’Allemagne et le Japon comptent plus de millionnaires… même si la vitesse à laquelle la Chine accumule des nouveaux super riches dépasse de loin l’Occident (le nombre de millionnaires aux Etats-Unis, par exemple, recule en ce moment à un rythme ahurissant).

Il n’est pas surprenant que ces individus travailleurs et très instruits se jettent sur les marchés immobiliers étrangers sur le déclin. L’année dernière, Soufun Holdings, l’une des plus grandes entreprises immobilières chinoises, a mis en place plusieurs circuits "investissement dans l’immobilier" à travers les Etats-Unis. Pour 3 600 $, les acheteurs chinois étaient promenés de Boston à San Francisco, puis Los Angeles, et enfin New York. Les acheteurs cherchaient des maisons allant de 500 000 $ à un million de dollars. Ces circuits se sont révélés tellement populaires que l’entreprise a dû mettre 400 personnes sur liste d’attente.

"Nous n’aurions jamais pensé que ces circuits auraient un tel succès, mais nous avons reçu une réponse très enthousiaste", a déclaré à l’époque Richard Dai, le PDG de Soufun, à l’Associated Press. "Nous avions entendu parler des stars chinoises ou hong-kongaises qui achètent des maisons aux Etats-Unis, mais aujourd’hui, de plus en plus de Chinois peuvent se le permettre aussi".

Il n’y a pas que les ventes à bas prix aux Etats-Unis qui ont attiré l’intérêt des Chinois fortunés. Plus tôt cette année, le milliardaire basé à Hong-Kong, Joseph Lau, s’est offert un manoir de six étages à 33 millions de livres, à Londres, dans le quartier d’Eaton Square, à Belgravia [il est important de souligner également que Lau possède l’une des collections de vin les plus magnifiques du monde, avec plus de 10 000 bouteilles]. Les acheteurs chinois richissimes se jettent aussi sur les appartements de luxe en Australie. Ewan Morton, directeur de Morton & Morton à Sydney, affirme que les investissements chinois sur le marché de l’immobilier à Sydney ont plus que triplé au cours de l’année dernière, et qu’ils représentent 16% du chiffre d’affaires de 21 millions de dollars de l’agence.

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