La Chronique Agora

La liberté d’expression, première victime du terrorisme

▪ Quasiment tous les jours, dans ces lignes, nous nous moquons des investisseurs, des démocrates, des républicains, de ceux qui boivent, de ceux qui ne boivent pas, des terroristes, de ceux qui luttent contre le terrorisme, des économistes et de quasiment tout le reste du monde. Nous sommes pour l’égalité des chances dans la moquerie, sans discrimination de race, de couleur, de religion ou de masse graisseuse.

Ceux dont nous nous sommes moqués ne nous ont menacé qu’à deux reprises. Une fois, un journaliste a perdu les pédales et a envoyé une lettre menaçant d’assassiner l’un de nos enfants. Nous connaissions l’expéditeur personnellement ; nous l’avons jugé incapable d’un tel acte et avons recommandé des traitements médicaux. La deuxième fois, c’était en 2003. Lorsque nous nous sommes moqué de l’attaque de George W. Bush en Irak, l’un de nos lecteurs a organisé son propre tribunal et nous a jugé coupable de trahison… un crime, dit-il, qui devrait être puni de mort. A nouveau, nous l’avons ignoré et avons continué à rire des va-t’en guerre.

Nous nous moquons des gens — mais nous ne nous moquons pas de leurs dieux. Qui sait ? Pourquoi prendre le risque ?

Nous avons le coeur — aussi endurci, satirique, cynique et ironique soit-il — serré par la sympathie et la solidarité

Se moquer des dieux s’est révélé fatal au personnel de Charlie Hebdo ce mercredi. En France règnent un deuil indigné et un outrage solennel. En ce qui nous concerne, nous avons le coeur — aussi endurci, satirique, cynique et ironique soit-il — serré par la sympathie et la solidarité. Nous prions pour les victimes à Paris… et pour tous les innocents dans des écoles, des lieux de culte, des journaux, des banques — des espaces publics et privés… des riches et des pauvres… abattus par des drones, des bombes et des fusils maniés par des moralisateurs bien-pensants partout dans le monde.

▪ Qui sont les vrais ennemis ?
Mais le monde tourne — au rythme des rotatives des médias, qui y impriment leur propre point de vue. Ils ont repris le discours de George W. Bush lui-même… et flattent les coupables. Ils doivent être poursuivis non comme les clowns meurtriers qu’ils sont… mais comme des soldats.

La menace qui pèse sur notre liberté, disent les dirigeants et la presse, vient de cette minuscule armée de fanatiques délirants, non des armées bien réelles — du FBI à la NSA en passant par tout l’alphabet des acronymes — qui prétendent les supprimer.

Nous nous levons donc à nouveau… pour nous moquer de nos confrères des médias… de leurs maîtres… et de leurs clients.

"La Guerre contre la Liberté", braillait un gros titre du Daily Mail. Et partout sur internet, à la télévision, dans les journaux, le besoin de mener cette "guerre".

En France, Jacques Myard a déclaré : "la France est en guerre".

Les gens en viennent à penser ce qu’ils doivent penser quand ils doivent le penser. Les Etats-Unis sont à la tête d’un empire mondial nourri par le crédit… un successeur aux empires britannique, français, hollandais, espagnol, romain catholique, romain, mongol, arabe, perse — et tous les autres. Ses meneurs d’opinion doivent donc mener les opinions dans une direction qui confirme et justifie la narration impériale. C’est un empire de coalition en guerre contre les barbares.

Le président François Hollande a décrit l’attentat comme "un acte d’une exceptionnelle barbarie".

Sauf que tuer des gens n’est pas vraiment exceptionnel… ni pour l’empire ni pour ses ennemis. C’est la routine. Les grands empires suivent des chemins maintes fois foulés… quand bien on se moque d’eux. Ces chemins mènent dans une direction familière — où la liberté d’expression se fige. Cependant, il n’existe à notre connaissance aucun cas où ce sont les ennemis étrangers qui la mettent sur la glace : ce sont généralement les bureaucrates de l’empire lui-même, les espions et les "protecteurs" qui s’en chargent.

Ce refroidissement est déjà en cours — c’est en tout cas ce que dit un rapport publié ce lundi par l’association littéraire internationale PEN American :

"Les écrivains hésitent à écrire, parler ou mener des recherches au sujet d’affaires pouvant attirer l’attention du gouvernement. Cela a un effet dévastateur sur la liberté d’information également : si les auteurs évitent d’explorer certains sujets par crainte de possibles représailles, la matière disponible pour les lecteurs — en particulier ceux qui cherchent à comprendre les sujets les plus controversés et les plus difficiles auxquels le monde se trouve confronté de nos jours — pourrait s’en trouver grandement appauvrie".

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