La Chronique Agora

L'heure est à la prudence

A notre époque, où les attentes de profits sont gonflées et sur-gonflées, un rendement annuel de 13% serait dédaigné par la plupart des investisseurs novices. Mais pour un professionnel expérimenté, c’est une réussite digne de louanges.

Depuis le 24 juillet 2000, le S&P 500 a obtenu en moyenne un rendement annuel composé négatif de 0,75%, le Nasdaq a abandonné 11% par an, tandis que le Russell 2000 obtenait un gain moyen de 7,32%. Hussman a battu tous ces indices haut la main. Il a également administré une raclée en règle à ses concurrents sur la même période.

Selon Morningstar, le Strategic Growth Fund d’Hussman a été le meilleur de sa catégorie au cours des cinq dernières années. N°1, sur 99 fonds en concurrence.

La clé du succès d’Hussman tient en trois parties. Il investit dans des entreprises ayant un très bon cash flow et des valorisations attractives. Il prend un risque acceptable en se basant sur le climat du marché dans son ensemble. Et il insiste sur les perspectives de long terme. Comme il l’a dit dans son dernier rapport annuel (qui a été rendu public le mois dernier) :
"Les objectifs d’investissement du fonds Hussman sont distinctement de nature long terme et ‘plein cycle’, n’accordant que peu d’importance au fait de suivre le marché sur de courtes périodes de temps".

Hussman admet que même à court terme, tout peut arriver. Il ne cherche pas à faire mieux que le marché sur un trimestre donné, ou même une année entière. En fait, son principal fonds Strategic Growth a sous-performé le S&P 500 de 50% en 2004. Et alors que les investisseurs ont vite fait de prendre les armes à la suite d’une telle tragédie, Hussman était tout à fait satisfait des résultats.

Le bon docteur juge en effet sa performance sur un cycle de marché dans son entier — c’est-à-dire de la hausse à la baisse. Après tout, il est facile de gagner de l’argent dans un marché haussier. Tout grimpe (façon 2003). Mais il est bien plus difficile de survivre à un horrible marché baissier et de s’en tirer avec à la fois votre dignité et votre portefeuille intacts. C’est là qu’Hussman — et ses actionnaires — prospèrent.
Lorsque les valorisations sont élevées, Hussman se couvre contre la possibilité d’une baisse des marchés. Il achète des options put à longue échéance contre les principaux indices boursiers, tout en se positionnant sur d’excellentes entreprises peu chères. Résultat de cette efficace combinaison, la plus grande baisse jamais subie par son fonds s’est montée à 6,98% durant le marché baissier de 2000-2002.
Parallèlement, le S&P 500 chutait de 47,41% sur la même période, tandis que le Russell 2000 baissait de 37,94%.

Mais revenons en 2000 quelques instants. Combien d’argent avez-vous perdu durant ce marché baissier ? Moins de 7% ? Ou bien était-ce plus proche des -47% constatés sur le S&P 500 ?

En commençant avec 10 000 $ en juillet 2000 et en investissant avec Hussman, vous auriez aujourd’hui 21 074 $. Vous auriez plus que doublé votre argent. Ces mêmes 10 000 $ investis dans le S&P 500 ne vaudraient que 9 564 $. En d’autres termes, même après quatre années de hausse des cours, vous subiriez encore les revers du dernier marché baissier.

Voilà, cher lecteur, la différence entre perdre seulement 7%… ou perdre 47%. Et qu’est-ce qu’Hussman pense de l’environnement boursier actuel ?

Dans son dernier rapport annuel, il explique très clairement que le marché n’est pas attirant en ce moment — en dépit d’une croissance solide des bénéfices et de marges bénéficiaires considérables ces quatre dernières années.

Selon Hussman : "au cours de l’année fiscale qui vient de s’écouler, l’intérêt des spéculateurs s’est concentré de plus en plus sur les petites valeurs de mauvaise qualité en termes de stabilité de fondamentaux tels que les bénéfices, les revenus et autres caractéristiques financières. Même si de telles sociétés subissent en général une grande volatilité tout au long du cycle boursier, elles sont devenues attirantes aux yeux des investisseurs spéculant sur une progression continue du secteur des petites capitalisations. Résultat : les actions plus petites, de basse qualité, peuvent être particulièrement vulnérables, en particulier si les marges de profit se contractent. J’ai intentionnellement évité de telles valeurs, en dépit de leur élan périodique de court terme".

En fait, Hussman continue en déclarant que si l’on regarde les ratios prix/valeur comptable, prix/dividende et prix/revenus, "les valorisations sont à des niveaux comme on en a rarement vus au cours de l’histoire, sinon à la fin de la bulle boursière des années 90". Lorsque de telles conditions se sont matérialisées par le passé, les rendements moyens se sont tout juste traînés au niveau des bons du Trésor US, qui rapportent peu.

Bien entendu, les médias grand public s’empressent de souligner que les revenus des entreprises (pour les sociétés du S&P 500) ont connu une croissance à deux chiffres au cours des 16 derniers trimestres consécutifs. Et tant que les profits continuent de croître, nous ne risquons pas une baisse — quelles que soient les valorisations.

Peut-être que les médias ont raison. Peut-être que nous devrions être tous haussiers sur l’avenir. Ou peut-être pas…

Le dernier sondage du Conference Board sur la confiance des entrepreneurs — un sondage trimestriel demandant aux chefs d’entreprises s’ils sont haussiers ou baissiers sur les perspectives économiques — a chuté à son plus bas depuis 2000. En d’autres termes, en dépit des incroyables profits déclarés par les entreprises ces quatre dernières années, les hommes et les femmes gérant ces mêmes entreprises ne sont pas si certains que le futur sera rose.

William Hester, spécialiste travaillant avec John Hussman, a créé un graphique montrant les attentes des PDG concernant l’avenir de l’économie, ainsi que les changements que subiront les profits des entreprises. Lorsque ces attentes sont solides, les profits des entreprises tendent à suivre le mouvement. Cela s’est produit en 1980, en 1990 et en 2002.

A l’inverse, lorsque les cadres s’inquiètent pour l’économie et leurs secteurs respectifs, les profits tendent à plonger durant les années qui suivent. Cela s’est vu en 1977, 1987 et 2000.

Si l’on regarde les données de ce graphique pour 2006, on aperçoit une divergence considérable entre les profits et les attentes. Les profits des entreprises sont à des sommets historiques, mais parallèlement, les dirigeants de ces sociétés sont baissiers. Comment est-ce possible ?

C’est possible parce que les profits ne peuvent connaître éternellement des taux de croissance à deux chiffres. Et avec quatre ans de croissance ridicule der
rière nous, associés à une hausse des taux d’intérêt et un dollar faiblissant, les chefs d’entreprises ne sont pas certains de pouvoir maintenir cette tendance haussière. Ils sont nerveux.

Comme le souligne Hester, "depuis 1976, lorsque l’optimisme des PDG a dépassé les 55, la croissance des profits sur douze mois qui s’est ensuivi a atteint en moyenne 12%. Lorsque l’indice était sous les 45, indiquant le pessimisme, les profits n’ont grimpé que de 1,1%".

A quoi ressemblerait votre portefeuille si toutes vos actions ne grimpaient que de 1,1% sur les 12 prochains mois ? Voudriez-vous toujours détenir ces actions ? Voilà qui mérite réflexion…

Evidemment, ce n’est qu’un seul sondage — il ne prédit peut-être pas entièrement ce qui va arriver à l’ensemble des marchés… mais il vaudrait mieux le prendre en considération.

Comme je le déclare à mes lecteurs depuis des mois, l’heure est à la prudence. Il est temps d’éliminer de votre portefeuille les actions trop spéculatives qui grimpent uniquement à cause du mouvement de court terme. Et le moment est venu d’acheter des sociétés fondamentalement saines, riches de liquidités et bon marché par rapport à leurs pairs.

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