La Chronique Agora

L’étrange non "non-anniversaire" du Chapelier Fou…

▪ Il ne s’est pour ainsi dire rien passé sur le Vieux Continent (+0,03% pour l’Eurotop 100, +0,05% sur l’Euro-Stoxx 50) mardi soir ; la surprise est venue des Etats-Unis.

Le Nasdaq 100 alignait en effet une dixième séance de gain consécutive — eh oui, un 10 sur 10 à la hausse et +7% en ligne droite, excusez du peu ! Tout cela avec un écart complètement inattendu de +1% à 1 911 points au bout de trois heures et demie de cotations, alors qu’un repli de 0,3% était anticipé en pré-ouverture sur la base des mêmes éléments d’actualité.

Le Nasdaq Composite engrangeait également 0,85% à la mi-séance alors que rien dans les nouvelles macro- ou micro-économiques du jour ne justifiait cette euphorie apparente… si ce n’est que les investisseurs célébraient ce mardi le premier anniversaire du rebond amorcé le lundi 9 mars 2009.

Avec ce coup de pouce indiciel qui semble sortir tout droit d’un haut-de-forme confectionné par le Chapelier Fou d’Alice au Pays des Merveilles, l’indice électronique affiche une progression de 85% en 52 semaines. Ce record n’est sans doute pas près d’être battu — et il apparaît surréaliste compte tenu de la lenteur de l’amélioration de la conjoncture et du niveau de progression des profits ces 12 derniers mois… mais aussi au cours des 12 prochains !

Les valeurs technologiques reviennent ainsi à seulement 15% de leurs sommets de fin octobre 2007, soit 2 240 points le 31/10/2007. C’est comme si la croissance occidentale avait simplement connu un petit passage à vide en 2008 et s’apprêtait à retrouver un rythme de croisière équivalent à ce qu’il était avant l’éclatement de la bulle du crédit.

Sur le même intervalle de mars 2003 à mars 2004, sur des bases de rebond économique autrement plus concrètes et spectaculaires de part et d’autre de l’Atlantique, le Nasdaq 100 n’avait repris que 60%… après avoir vu sa valeur divisée par plus de cinq en trois ans.

▪ Un tel comportement boursier ne saurait s’expliquer par des motifs rationnels, même si les stratèges essaient de nous faire croire que l’argent gratuit peut tout justifier. Rempliriez-vous votre frigo de dizaines de kilos de cabillaud à la fraîcheur douteuse au seul prétexte qu’il n’y a qu’à se servir puisque le poissonnier vient d’abandonner son stock d’invendus en plein soleil ?

En étant peu scrupuleux, il y a peut-être une bonne affaire à réaliser en ramassant le tout, en le couvrant de glace pilée (pour masquer les odeurs) et en allant le vendre à la sauvette sur le bord d’une nationale dans une région où personne ne vous connaît. En corrompant un inspecteur sanitaire, vous pourriez même apposer un certificat de fraîcheur daté de la veille !

La parabole vous paraît de mauvais goût ? Mais qu’est-ce que certains banquiers ont fait de si différent ces dernières années ? Ils ont placé auprès d’autres investisseurs institutionnels des stocks de dérivés de crédit avariés bénéficiant d’une notation « triple A » complètement usurpée, la complaisance des agences de rating flirtant avec la complicité active.

Et qu’est-ce que les analystes de grandes firmes de Wall Street font de si différent en ce moment ? Ils doublent d’un mois sur l’autre les objectifs de cours de sociétés cotées dont ils savent pertinemment qu’elles vont procéder à une augmentation de capital dans les six mois qui viennent (du fait de l’augmentation des sinistres et autres mésaventures auxquelles elles vont être confrontées).

En ce qui concerne la dernière série de hausses — et le fameux 10 sur 10 du Nasdaq 100 –, le message est clair : nous, les firmes les plus puissantes de Wall Street ou de la City, prenons la main quand bon nous semble, nous tirons — ou faisons chuter — les cours comme nous le désirons. Si vous êtes majoritairement acheteurs, nous vendons. Si vous couvrez vos positions, nous rachetons… même si cela n’a aucun sens par rapport à la conjoncture ou à l’actualité (plus les chiffres sont mauvais, plus l’immobilier s’enfonce dans la crise, plus il y a de chômage, plus la Bourse monte… puisque les taux vont demeurer bas !).

L’essentiel est que vous ne compreniez rien au fonctionnement du marché et que vous passiez votre temps à courir après les cours. L’alternative « raisonnable » consiste à suivre aveuglément la tendance, sans jamais au grand jamais émettre le moindre jugement de valeur sur l’évolution des actifs que vous possédez ou l’orientation des indices, fut-elle totalement absurde.

Et en un jour comme ce mardi 9 mars, comme il n’y a strictement aucune nouveauté à se mettre sous la dent (pas de statistiques, pas de trimestriels, pas d’intervention de la Fed) et que les indices avaient plafonné la veille, voilà que survient un mouvement que personne n’avait vu venir. Tous les suiveurs s’empressent de l’exploiter : payer d’abord, comprendre pourquoi ensuite… mais cela n’en vaut guère la peine, c’est le plus souvent une perte de temps ! En tout cas, cela engendre une rafale d’achats stop qui ne sont reliés à aucun fait concret. Nous ne savons pas qui a libéré le nuage d’azote à Wall Street ce mardi 9 mars mais les effets euphorisants en ont été spectaculaires.

▪ En Europe, la composition de l’air était demeurée standard — et l’actualité parfaitement insipide — durant toute la séance. Les actions ont donc clôturé sur une note faiblement positive à travers toute l’Europe, une manière plutôt discrète de célébrer le premier anniversaire du plus spectaculaire rebond boursier de l’histoire.

Le fléchissement de l’euro (-0,3% à 1,3575 $) aurait pu peser sur la tendance — ce qui avait semblé être le cas à la mi-journée lorsque Paris reculait de 0,5%, jusque vers 3 876 points. Il ne semble pas, cependant, qu’il y ait eu de réel lien de cause à effet : c’est Wall Street qui a permis d’effacer la consolidation initiale, sans rebond des volumes puisqu’il ne s’est échangé que trois milliards d’euros sur le CAC 40 (après un bien médiocre 2,5 milliards la veille).

Ce qu’une séance avait fait, la suivante l’a défait. Avec un repli de 0,18% suivi d’un rebond de 0,17%, Paris se retrouve à la case départ au bout de 48 heures.

Le rebond du pétrole sur le palier des 80 $ (après une chute de 2% à la mi-journée) a été interprété comme un signe positif. Le baril s’affichait mardi soir au-dessus des 81,5 $ sur le contrat avril… Pourtant, très curieusement, les valeurs pétrolières et parapétrolières restaient parfaitement stables et insensibles à cette série de fluctuations.

Il se pourrait que la hausse des deux premiers tiers de la séance à Wall Street ait un rapport avec des anticipations positives concernant le moral des ménages américains. Toutefois, il semblerait plutôt que certains gros investisseurs aient procédé à une sorte d’habillage des bilans en arrachant à la hausse certains des titres qui ont le plus progressé depuis un an.

Cela a été particulièrement évident sur AIG (+12,6%, au lendemain de l’annonce de la cession de sa filiale d’assurance-vie Alico à son concurrent Met-Life).
Un gros ramassage s’est également opéré sur Fannie Mae (+7,5% à 1,08 $ en « after hour« ), Freddie Mac (+7,5% au final à 1,28 $, après un gain de 18% en séance) et enfin Citigroup (+8% à 3,85 $).

Mais la manoeuvre a peut-être été jugée trop visible par quelques initiés. Les indices historiques américains sont retombés en territoire négatif à une demi-heure de la clôture.

Au final, le Dow Jones grappille symboliquement 0,11% à 10 564,5 points ; il avait débordé les 10 600 points à la mi-journée. Le S&P 500 grignote 0,17% à 1 140 points, après avoir culminé vers 1 146 points et retracé à 0,4% près son zénith annuel de la mi-janvier. Si le Nasdaq 100 alignait une onzième séance de hausse consécutive ce mercredi, ce serait une sorte de record… mais sur quel potentiel de hausse miser pour justifier une nouvelle prise de risque ?

Nous rappelons que la correction de la mi-janvier a débuté à Wall Street alors que le VIX (indice du stress) venait de tester un plancher de 18 mois à 16,5 points, avec des opérateurs unanimement haussiers. Le plus bas du jour a été inscrit ce mardi à 17,5 points : gare à une prise à contre-pied du consensus qui parie désormais sur une réédition du scénario économique et boursier 2004/2005 — comme s’il ne voyait aucune différence par rapport à 2003/2004.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile