La Chronique Agora

Les tribulations d'un Américain en Chine

** Françoise Garteiser étant en séminaire une partie de cette semaine, nous vous proposons un essai de Bill Bonner, extrait du magazine MoneyWeek.

Il s’est passé une chose amusante, ces derniers jours. L’envoyé de Wall Street à Washington — et secrétaire au Trésor US, accessoirement — s’est rendu à Pékin. Sa mission : convaincre les rusés Chinois d’une chose dont tout le monde sait qu’elle fausse — que les obligations américaines sont sûres.

Il y a abondance de papier gouvernemental américain en Chine. Les détentions obligataires à elles seules atteignent 768 milliards de dollars. Les autres actifs libellés en dollars entre les mains chinoises rajoutent environ 700 milliards de dollars. En dépit de tous ces terrils qui encombrent les coffres, les Etats-Unis aimeraient que la Chine achète encore plus de charbon.

Sauf que ces derniers temps, les performances de ces détentions en dollars n’ont pas été franchement fabuleuses. Grâce au soi-disant rebond économique, le dollar a chuté par rapport à tout ou presque. Face à l’or, il a perdu 15% à ce jour en 2009. Par rapport au pétrole, on en est à -50%. Par rapport au cuivre, le dollar a perdu 65% de son pouvoir d’achat. Les bons du Trésor US à 30 ans ont chuté eux aussi — de près de 27% depuis janvier. A vue de nez, la Chine a perdu plus de 200 milliards de dollars à ce jour cette année suite à la chute du dollar et des T-Bonds.

Martin Wolf, dans le Financial Times, annonce que ces tendances sont des signes de progrès. "La hausse des taux des obligations gouvernementales prouve que la stratégie fonctionne", affirme-t-il. Les écarts entre les obligations d’entreprises et les bons du Trésor rétrécissent. Les rendements réels sur les obligations d’entreprise chutent tandis que les rendements des Treasuries grimpent. "Une normalisation", appelle-t-il cela ; les investisseurs prévoient désormais l’inflation plutôt que l’extinction.

La hausse des attentes d’inflation est clairement visible sur le marché obligataire américain, où les obligations indexées à l’inflation se vendent à nouveau à des prix substantiellement plus élevés que ceux de leurs cousines non-indexées. Vers la fin 2008, le marché obligataire anticipait une inflation zéro. A présent, les derniers chiffres impliquent un taux d’inflation positif de 1,6% sur les 10 prochaines années.

Si l’inflation ne se produit pas comme prévu, ce ne sera pas par manque d’efforts de la part de M. Geithner et ses amis. Le déficit américain pour cette année est de 1,84 millier de milliards de dollars. Tous les deux mois, les autorités doivent emprunter l’équivalent de l’intégralité du déficit de l’année dernière, qui battait déjà des records. Et si les prêteurs privés rechignent, la Fed se tient prête à lever la main lors de la prochaine enchère de dette gouvernementale américaine.

Les Chinois s’inquiètent. Ils ont mis pas mal d’oeufs dans le panier que portent désormais Geithner, Bernanke et al. Et si la Team America n’avait pas le pied aussi sûr qu’elle l’affirme ?

"Il serait utile que M. Geithner puisse nous montrer un peu d’arithmétique", a déclaré M. Yu Yongding, décrit comme ancien conseiller à la banque centrale chinoise.

M. Geithner est venu avec des chiffres, bien entendu. Alors que leur déficit est à 12% du PIB, les Etats-Unis ont l’intention de le faire revenir à 3%, a-t-il déclaré. Mais lorsqu’il a annoncé ce solennel bobard à l’université de Pékin, les étudiants lui ont ri au nez.

Les secrétaires au Trésor US n’ont pas l’habitude qu’on leur rie au nez. Il y a près de 40 ans, un secrétaire au Trésor US — John Connally — a exprimé le point de vue impérial : "c’est peut-être notre devise, mais c’est votre problème". Même après l’effondrement de l’automne 2008, les Etats-Unis ont continué à croire qu’ils pouvaient repasser aux étrangers autant de papier qu’ils le voulaient.

M. Yu Yongding, précédemment cité, a abordé le sujet sans détour :

"Je voudrais dire au gouvernement américain : ‘ne soyez pas complaisants en pensant qu’il n’y a aucune alternative pour la Chine à l’achat de vos obligations… L’euro est une alternative. Et il y a beaucoup de matières premières que nous pouvons encore acheter’."

La Chine couvre ses paris en achetant des actifs qui ne portent pas le sigle du dollar. Tout comme les spéculateurs avisés, elle s’inquiète d’un effondrement des prix nourri par le gouvernement. Ces inquiétudes — et non un retour à "la normale" — font remonter le prix de l’or vers les 1 000 $ et le dollar vers les 1,50/euro.

L’inflation, comme le cholestérol, prend deux formes — une bonne et une mauvaise. La bonne inflation fait grimper les prix des actifs. La mauvaise inflation fait grimper les prix à la consommation. Personne ne se plaint lorsque les prix des maisons et des actions grimpent. Mais lorsque le dentifrice et le pain commencent à prendre le même chemin, c’est le capharnaüm. Les banques centrales ne tardent pas à prendre des mesures pour y mettre fin — augmentant les taux d’intérêts et resserrant les critères de crédit. Cette fois-ci, c’est différent. Les deux sortes d’inflation sont les bienvenues. L’économiste de Harvard Ken Rogoff déclare qu’il est partisan d’une inflation à 6% "durant quelques années au moins". Cela faciliterait le remboursement des prêts pour les débiteurs. L’économiste John Taylor, de la "loi Taylor" éponyme, donne une autre raison pour laquelle l’inflation serait bienvenue. Il souligne que pour avoir un budget fédéral équilibré aux Etats-Unis — même d’ici 10 ans — il faudrait une augmentation permanente des impôts de 60%. "Une hausse de 60% des impôts n’aura pas lieu", écrit-il. "Le gouvernement tentera plutôt de faire jouer l’inflation jusqu’à ce que le problème disparaisse". Même Warren Buffett a annoncé à CNBC que la solution probable aux soucis de l’Amérique était l’inflation.

Yu a rétorqué : "vous ne devriez pas essayer de faire jouer l’inflation pour vous débarrasser de vos dettes"… Mais c’est exactement ce que les Etats-Unis essaient de faire. Jusqu’à présent, ce n’est pas la bonne foi qui protège les actifs en dollars de la Chine. C’est une dépression… et l’incompétence. L’équipe de Geithner tente de créer de l’inflation, mais ne maîtrise pas encore tout à fait le processus. Laissez-leur un peu de temps.

Meilleures salutations,

Bill Bonner
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