La Chronique Agora

Les taureaux de Wall Street lorgnent du côté de l’Espagne avec inquiétude

▪ Je m’étais trompé début 2010 au sujet d’un risque d’exaspération sociale pouvant affecter le tableau économique au cours des mois à venir… mais cette réalité est devenue d’une actualité brûlante en ce début d’année 2011.

Les émeutes violentes pour cause d’envolée du prix des denrées de base et d’explosion du chômage se multiplient dans des pays géographiquement très proches de nous (pourtour Méditerranéen). Cela devrait nous alerter.

Idem s’agissant des hausses de salaires consenties par les entreprises chinoises pour éviter un embrasement social. Grèves, manifestations et occupations d’usines se multiplient sous le regard inquiet des autorités de Pékin, pour qui la lutte contre l’inflation n’est pas une vue de l’esprit mais une priorité hautement stratégique.

La problématique de l’emploi reste intimement liée à la globalisation. Aucun progrès n’a été accompli ces 12 derniers mois ; le même aveuglement ultra-libéral continue de s’imposer dans la plupart des pays développés.

▪ Voilà de qui j’écrivais à ce sujet il y a deux ans environ, le 16 janvier 2009 :

« Un célèbre dicton affirme que c’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures soupes… Dans le domaine économique, toutefois, il vaut mieux faire usage des derniers ustensiles à base de téflon si l’on ne veut éviter que la crise ne colle au fond de la casserole et y reste agrippée de manière si tenace que personne ne parviendra à s’en débarrasser avant 2012.

« Ce qui me rend parfois très pessimiste — et je met le traditionnel ‘nous’ entre guillemets car je n’aurais pas la prétention de croire que toute la rédaction de La Chronique Agora partage l’ensemble de mes analyses et de mes convictions –, ce n’est pas la crise, car ‘nous’ avons tout fait pour vous éviter d’être pris par surprise… mais bien les discours de ceux qui n’ont rien vu venir, rien su ou rien voulu prévenir (ce qui est pire). Bien que totalement discrédités à nos yeux, ils continuent pourtant de monopoliser la parole dans les médias, de sévir à la tête des plus grands groupes financiers, de conseiller les gouvernements et de prôner des solutions identiques à celles mises en oeuvre de 2002 à 2005 avec les brillants résultats que vous connaissez ».

« […] Je bondis littéralement de mon siège lorsque j’entends ou lis que, pour s’en sortir, il faut plus de mobilité de la part des employés et moins de contraintes au niveau du marché du travail. Tout ceci se traduit depuis des années soit par l’éclatement des familles concernées, soit par des plans dits ‘sociaux’ dès que les règles autorisant les licenciements sont assouplies. Je tombe des nues face au mot d’ordre ‘travailler plus’, alors que nos emplois ont été depuis longtemps délocalisés vers la Roumanie, l’Inde ou la Chine, et ‘plus longtemps’, alors qu’un jeunisme forcené règne dans les entreprises et que le chômage touche plus de 50% des seniors de 55 ans et plus ».

▪ Pas une ligne à changer 12 mois plus tard : n’y manquait qu’une petite évocation du marché du travail aux Etats-Unis… où le « travailler plus pour gagner moins » est la règle pour 90% de la population depuis le début des années 2000.

Ceux qui s’enrichissent (notamment les 2% les plus aisés qui ont capté 50% de la richesse créée aux Etats-Unis ces cinq dernières années, un ratio confiscatoire sans précédent), ce ne sont pas leurs muscles qui travaillent mais leur capital… investi le plus souvent hors des frontières des Etats-Unis.

La rentabilité de ce capital est démesurément accrue par une fiscalité ultra-avantageuse depuis 2003. Elle vient d’être prolongée fin 2010 par Barack Obama et sa majorité démocrate, à l’issue d’un odieux marchandage mené par les républicains. Ces derniers menaçaient, en cas de hausse de l’impôt sur les valeurs mobilières, de priver de ressources (indemnités diverses et allocations chômages) les victimes de la crise de 2008, devenus des chômeurs de longue durée sans perspectives de retour à l’emploi dans les conditions actuelles.

▪ Pendant ce temps-là, les bonus distribués à Wall Street renouent avec les niveaux record de 2006 et 2007. Cela toujours pour cause de surliquidité orchestrée par la Fed et de prises de risques insensées — non plus sur les CDS adossés aux subprime… mais directement aux dettes d’Etat (ce qui englobe les PIGS, la Belgique et les états de l’Union européenne en faillite).

Les positions couvertes représenteraient un encours notionnel délirant de 210 000 milliards de dollars, selon les derniers chiffres publiés par la Fed le 1er décembre dernier. Ce marché des CDS est littéralement « trusté » par les quatre géants de la finance américains que sont dans l’ordre alphabétique Bank of America, Citibank, Goldman Sachs et JP Morgan Chase (cette dernière détient en outre 80% des stocks physiques de cuivre du LME).

Ces quatre banques « systémiques » sont en train de nous rejouer la même partition qu’AIG en 2008. Elles y ajoutent de surcroît ce pari cynique que, contrairement à Lehman Brothers, aucun Etat acculé à servir des rendements prohibitifs par la spéculation ne fera réellement défaut.

Et pour cause : le contribuable, non content d’être au chômage dans 20% des cas aux Etats-Unis ou en Europe, devra supporter le coût du renflouage des caisses des états. Comment ? Par le biais d’une combinaison de hausse des taxes, de baisse des salaires et de suppression des prestations sociales comme cela a déjà été mis en place en Grèce, Irlande, Portugal et Espagne mais aussi dans certaines Républiques baltes… et en Argentine 10 ans auparavant.

Le risque d’exaspération (c’est un euphémisme employé à dessein) de la population est le seul qui ne figure dans aucune des études prospectives concernant les pays du G7 en 2011. Nous lisons partout quelque chose qui ressemble à : « ce sera tout pareil qu’en 2010 mais le CAC 40 devrait rattraper son retard sur Francfort et Wall Street ».

▪ Il le fera peut-être… en baissant moins que le Dax ou le Dow Jones — mais c’est plutôt mal parti : la Bourse de Paris clôturait lundi en queue de peloton dans la Zone euro, sur une chute de 1,64%. Cependant, le CAC 40 — qui perd 100 points en 48 heures — est parvenu à préserver le seuil des 3 800 points, c’est-à-dire le plancher annuel ainsi que le niveau de clôture du 31 décembre 2010.

Les valeurs bancaires étaient laminées (-3,5% en moyenne). Normal, l’anxiété concernant les difficultés du Portugal — qui va réaliser ce mercredi une émission de dette à 10 ans à haut risque — ne cesse de s’accroître. Les marchés savent qu’après la corrida à cheval portugaise (sans bain de sang), le grand frisson proviendra de la faena classique espagnole, avec picador, banderilles et — sauf bravoure exceptionnelle du taureau — l’incontournable mise à mort.

▪ Les cambistes ont mis l’euro sous pression en matinée (il repassait sous les 1,29 $), avant de se raviser : le dollar rechutait lundi soir sous 1,2950. Ils jugent que rien de décisif n’a été mis en place lors du dernier sommet européen (réunion de crise à Bruxelles mi-décembre) pour dissuader la spéculation de s’en prendre aux états européens les plus vulnérables.

Les mauvaises langues prétendent que la France suit immédiatement sur la liste des candidats à une flambée des CDS. L’Allemagne sera alors la seule épargnée… et elle ne manquera pas d’arguer de ce statut privilégié pour s’exonérer du devoir de creuser elle-même ses déficits pour tenter en vain d’éponger ceux des autres.

C’est ce même calcul qui justifie potentiellement les 20% de surperformance du DAX par rapport au CAC 40 en 18 mois et les +50% par rapport à la bourse de Madrid.

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