La Chronique Agora

Les risques systémiques dans une forme olympique

** Spéculer sur les marchés s’apparente depuis une semaine à une gigantesque partie de pile ou face — et peut-être même de roulette russe : plus on fait tourner le barillet, plus le risque du « coup de trop » augmente.

La volatilité des indices boursiers, des bons du Trésor et des devises s’accroît au fil des heures. La multiplication des initiatives conjointes de la Fed et de la Maison-Blanche entretient le sentiment qu’il s’agit maintenant d’éviter que ne survienne l’irréparable.

Nous écrivions la veille — alors que Wall Street baignait dans l’euphorie la plus complète — qu' »il suffit désormais de se fourrer dans un pétrin monstrueux et de perdre suffisamment d’argent — au risque de faire faillite — pour se présenter aux guichets de la Fed avec un document prouvant l’étendue du passif lié à l’effondrement des marchés dérivés de crédit pour un montant de liquidités permettant le respect des ratios de sécurité (fonds propres) exigés par les autorités de tutelle : SEC, Trésor, commission bancaire ».

Et d’ajouter : « il faut vraiment appartenir à la vieille école pour estimer que la mise en place de mesures aussi extraordinaires, au lendemain d’un troisième abaissement des taux directeurs (escompte et prises en pension) et d’un gel des prêts à géométrie variable de type subprime, obéit à la nécessité d’éviter une catastrophe systémique comparable à 1929, mais à la dimension d’une économie globalisée ».

Si notre propre banque centrale accepte aujourd’hui de participer à l’injection de liquidités à bas prix, c’est pour apporter sa pierre à la construction du sarcophage devant confiner le Tchernobyl financier de la crise des dérivés de crédit.

** Ce questionnement au sujet de la gravité réelle de la situation vient de briser net l’envol de Wall Street, qui se retrouve confronté à un autre péril occulté depuis le 21 novembre dernier : l’inexorable remontée des pressions inflationnistes qui menace plus que jamais le pouvoir d’achat des ménages américains.

Et les économistes se remettent à redouter un statu quo de la Fed en janvier après la publication jeudi après-midi des prix à la production US, qui ont explosé de +3,2% en novembre — il s’agit de la plus forte hausse mensuelle depuis 35 ans !

Hors énergie et alimentation, l’indice grimpe également de 0,4% alors que la moyenne des estimations tournait autour de 0,2%.

La France n’est pas épargnée par la menace inflationniste : les prix à la consommation ont progressé de 0,5% en novembre, soit une hausse de 2,4% en rythme annuel, la plus forte enregistrée depuis trois ans et demi. La BCE n’est pas près de pouvoir donner un coup de pouce à la croissance, si jamais l’activité devait fléchir plus que prévu au quatrième trimestre en Europe.

** Ralentissement économique plus inflation, voilà enfin posés — sans faux-semblant — les termes de la pire équation envisageable pour les marchés : la stagflation. Et voilà que commence enfin à partir en lambeaux cette ridicule légende moderne de l’instauration d’un Goldilocks éternel.

Cela fait des mois que nous pourfendons le mythe de l’équilibre des risques, estimant que les deux avaient une probabilité d’occurrence équivalente. Les stratèges de Wall Street commencent à entrouvrir les yeux, et le tableau qu’ils contemplent est aussi sain et rassurant que la toile protéiforme et torturée de Francis Bacon vendue aux enchères jeudi matin pour 14,5 millions d’euros chez Sotheby’s à Paris (un record pour une vente d’artistes contemporains organisée dans la capitale françaises).

Les acheteurs étaient par contre moins enthousiastes au sujet des actions, puisque les indices européens reperdaient d’entrée de jeu 1% avant d’aggraver leurs pertes au fil des heures précédant les premières statistiques américaines. Au final, le CAC 40 basculait jeudi soir sous les 5 600 points, à 5 591 points. Il reperd ainsi plus de 200 points en moins de 24 heures (il culminait la veille à 5 795 points vers 16h).

** L’indice phare parisien s’est en définitive avéré incapable d’inscrire une clôture au-dessus du seuil des 5 750 points, malgré deux incursions vers 5 770 (le 11/12) puis 5 795 points (le 12/12).

Ces débordements — avortés in extremis — invalidaient potentiellement le scénario d’une « tête/épaules » en cours de constitution depuis le 16 août dernier, les trois sommets constituant cette figure classique étant très aisément identifiables à 5 680, 5 880 puis 5 750 points.

Le pic observé mercredi vers 15h15 est assimilable à une aberration, mais il est fort probable que beaucoup de traders se soient fait piéger par le franchissement des 5 750.

Le CAC 40 replonge sous le support technique des 5 630 points et invalide le canal ascendant court terme inauguré le 21/11 vers 5 400 points. Le marché parisien s’inscrit plus que jamais au sein d’une vaste tête/épaules annuelle de séquence 5 770/6 170/5 870 points dont la « ligne de cou » transite vers 5 250 points (plancher du 1er décembre 2006, 14 mars 2007, 16 août 2007).

Le potentiel de baisse induit par cette formation fait froid dans le dos : elle annonce un objectif de 4 850 points puis 4 650/4 560 points (plancher de juin 2006).

Nous ne serions pas inquiet outre mesure des menaces pesant sur le seul CAC 40 si dans le même temps le Dow Jones ou le S&P 500 ne dessinaient pas également une « tête/épaules » tandis que la bourse de Francfort — via le DAX — matérialise de son côté un splendide double sommet historique (12 mars 2000/15 juillet puis 12 décembre 2007).

Cela fait beaucoup de coïncidences, et les risques de correction à moyen ou long terme sont si évidents, les pertes potentielles si effrayantes, qu’il n’est guère étonnant que la Fed et tout ce que Wall Street compte d’institutions financières vulnérables à un tel scénario s’efforcent de tordre le bras à l’évolution naturelle des cours de bourse.

Le mot d’ordre en ce vendredi ne va pas vous surprendre : il faut tenir jusqu’au 21 décembre, éviter coûte que coûte un accident avant la séance des « Quatre sorcières », tant il est vrai que préserver la tendance haussière jusqu’aux jeux de Pékin relève désormais de l’impossible exploit.

Les ferments d’une correction baissière majeure sont dans une forme olympique !

Philippe Béchade,
Paris

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