▪ Wall Street ne s’est guère ému de l’incident irako-iranien dont les échos ont couru à travers les salles de marché en milieu de matinée vendredi dernier. La présence d’une douzaine de soldats iraniens sur un champ pétrolier occupant un bout de désert que les deux pays se disputent peut sembler anecdotique, mais il s’agit d’une provocation de Téhéran… un épisode de plus dans la guerre des nerfs à laquelle les deux pays se livrent depuis 30 ans.
Ne sachant trop quelle importance accorder à l’incident, les cambistes ont obéi au réflexe sécuritaire consistant à racheter du dollar. Ce dernier en a profité pour grimper jusque vers 1,4270/euro ; parallèlement, le pétrole s’est redressé vers 74 $ sur le NYMEX. En l’absence d’accrochage militaire avéré, la tension est cependant vite retombée sur le marché des devises — le billet vert clôturait peu changé à 1,4340/euro.
Les investisseurs se sont rapidement re-concentrés sur l’ordre du jour, particulièrement chargé. Il y avait en effet le débouclage et la compensation mensuelle et trimestrielle de toutes les positions à terme sur les instruments dérivés. Il fallait également compter avec la repondération des indices américains : un ajustement du poids de chaque composante du S&P a lieu tous les trimestres pour tenir compte de l’évolution relative de tous les titres servant de sous-jacent.
▪ Si la journée des « Quatre sorcières » donne généralement lieu à un pic d’activité (ce qui fut bel et bien le cas), elle est également réputée confirmer la tendance du trimestre. Et la tendance, en vérité, c’est la grande absente des trois derniers mois écoulés. Le Standard & Poor’s 500 évolue par exemple dans une fourchette comprise entre 1 085 et 1 115 points depuis plus de sept semaines.
Comme un ultime résumé du quatrième trimestre, Wall Street était encore très indécis à un quart d’heure de la clôture. Le S&P 500 ne grappillait que 0,25% et le Dow Jones reculait d’autant, mais le dernier quart d’heure a fait toute la différence !
Les ultimes habillages de bilan ont eu lieu en fin de parcours. Le Dow s’adjugeait 0,2% sur le fil, le S&P en était à +0,58%… Des hausses très insuffisantes pour permettre à ces deux indices de clôturer la semaine dans le vert.
Le mois de décembre est plutôt mal parti pour Wall Street. La flambée de 5,5% du dollar depuis le 4 décembre n’a pas encore été imputée sur les valeurs exportatrices. Le seul compartiment qui recule de manière proportionnelle est celui des financières, souvent considérées comme précurseur de la tendance.
Le clan des haussiers place ses derniers espoirs dans une bonne surprise concernant les ultimes achats de fin d’année. Le pari reste très incertain même si la base de comparaison plaide pour une progression des ventes. En effet, fin 2008, les dépenses de Noël des consommateurs américains avaient baissé pour la première fois en 10 ans, selon les données recueillies par l’International Council of Shopping Centers.
Indice plutôt inquiétant, le secteur de la distribution américain a été le plus malmené vendredi avec des replis de 3,5% de Best Buy et Ross Stores… Le tout sur fond de nette baisse du pouvoir d’achat des classes moyennes et des salariés les moins favorisés (avec le développement d’une aversion grandissante au crédit.
Pour beaucoup de gérants, la stratégie pourrait maintenant consister à verrouiller les gains de 2010, au lieu de chercher à faire figurer systématiquement toutes les vedettes des neuf derniers mois en tête des portefeuilles.
▪ En Europe (et à Paris), les derniers habillages de bilan de fin d’année ont peut-être eu lieu dès mercredi dernier ; on se souvient de cette hausse de 1,1% qui n’était reliée à aucune actualité favorable, ni même à un rebond technique de Wall Street.
La fausse sortie haussière du CAC 40 au-dessus des 3 840 points a débouché sur une réaction baissière assez impulsive. L’indice parisien a ainsi effacé l’intégralité des gains accumulés au cours des séances de lundi, mardi et mercredi.
Le climat conjoncturel s’est de nouveau dégradé en France dans l’industrie en décembre. L’indicateur synthétique du climat des affaires est ressorti à 89, après un score de 90 au mois de novembre et 89 en octobre.
Beaucoup de chefs d’entreprises hexagonaux se montrent plus que prudents au sujet de l’année 2010. Les grands groupes multinationaux ont pratiquement gelé tous leurs investissements dans des pays développés d’Europe de l’Ouest et mettent le paquet sur les émergents.
Les PME/PMI constatent que si la mode dans les très grandes entreprises est à l’externalisation (ce qui serait du pain béni en période de croissance), celle-ci se solde surtout par une délocalisation au-delà de nos frontières, vers des pays où le salaire moyen à poste équivalent ne dépasse pas les 400 $ par mois (environ 250 euros).
Les recettes fiscales sur les salaires vont encore reculer en 2010. Il n’est pas certain que les gains de productivité des entreprises du SBF 120 rempliront les caisses de l’Etat. En effet, le taux d’imposition moyen du bénéfice des grands groupes du CAC 40 (grâce à leurs centaines de filiales implantées dans des paradis fiscaux) n’est que de 8% — contre plus de 30% pour nos PME-PMI.
▪ Autrement dit, ce sont les entreprises petites et moyennes — censées réemployer les salariés dont se débarrassent les multinationales — qui sont également les plus lourdement taxées (trois à quatre fois plus en moyenne) dès qu’elles parviennent à extraire quelques bénéfices.
Cela relève de l’exploit : la plupart d’entre elles sont contraintes de sacrifier leurs marges pour conserver leurs plus gros clients en cette période difficile… sauf que cela fait presque 20 ans que les temps sont difficiles.
La chute du Mur de Berlin s’est accompagnée de l’ouverture de la Muraille de Chine. Ce fut l’avènement du règne du « toujours moins » (en termes de coût et de normes sociales), symbolisé par le concept de « walmartisation » du monde. Il s’agit d’une spirale sans fin de salariés très pauvres produisant pour d’autres salariés qui ignorent qu’à force d’acheter moins cher aujourd’hui, ils deviendront eux-mêmes beaucoup plus pauvres demain… et exigeront des prix encore plus bas.
Un de mes amis, bon connaisseur de la Chine (où il réside et travaille plusieurs mois par an), m’assurait que nos extrapolations de hausse du niveau de vie local (qui serait calquée sur la hausse du PIB) repose sur notre méconnaissance de l’inégalité du partage de la richesse… et sur l’aspect bluffant des forêts de grues qui se dressent au coeur des grandes métropoles côtières.
Des groupes immobiliers locaux ont obtenu des centaines de milliards de yuans pour construire ces trois dernières années… Cependant, tout comme à Dubaï, les banques locales commencent à se demander qui seront les futurs occupants (propriétaires ou locataires) : curieux que si peu des stratèges fans de la Chine se posent la question…