La Chronique Agora

Les prophéties auto-réalisatrices régissent-elles vraiment les marchés ? (2)

▪ Nous passons en revue cinq exemples de « prophéties auto-réalisatrices » sur les marchés. Après en avoir examinées deux hier, nous passons aux trois suivantes ci-dessous…

▪ Exemple 3 : la liquidité du marché financier
Lorsque les investisseurs pensent à tort ou à raison qu’il n’y aura pas d’acheteur pour tel actif financier, le réflexe normal est surtout de ne pas acheter cet actif. C’est un comportement rationnel qui ne peut être blâmable du point de vue de l’investisseur. Conséquence, le marché de l’actif en question devient totalement illiquide et les prix chutent, ce qu’anticipaient initialement les investisseurs.

Comment réagir ? On est ici en face d’une prophétie auto-réalisatrice rationnelle et financièrement optimale.

Les règles comptables et prudentielles devraient être capables de prendre en compte une telle situation. Sans entrer dans les détails des techniques comptables, les actifs faits pour être détenus à long terme doivent-ils être cotés en temps continu ? Existe-t-il de véritables investisseurs de long terme sorte d’acheteurs en dernier ressort pour des titres « injustement » décotés ?

Il a toujours existé, et plus encore en période de stress, des actifs terriblement sous-évalués pour des raisons qui n’ont rien à voir avec les fondamentaux : ventes forcées, mimétisme, illiquidité, aversion au risque, règles prudentielles, effets mémoire, corrélation historique à des actifs en réelle crise…

▪ Exemple 4 : les rapatriements de capitaux sur le marché des changes
Voici deux types de situations :
1. Les investisseurs japonais rapatrient leurs capitaux à la fin des semestres fiscaux en mars et septembre. Le marché anticipe à ces moments des hausses du yen contre toutes devises. Ceci a naturellement tendance à auto-réaliser l’appréciation de la devise nipponne : « puisque le yen va monter, j’achète du yen », ce qui fait monter le yen.

De même, l’anticipation de besoins de financement pour reconstruire un pays dévasté par le tsunami du 11 mars 2011 a laissé penser que l’on assisterait à de violents rapatriement de capitaux et donc à des rachats de yens par les institutionnels japonais.

2. De nombreux pays émergents et exportateurs de pétrole lient leur monnaie au dollar et d’autres pays émergents veulent éviter l’appréciation de leur devise face au dollar. Les banques centrales de ces pays sont condamnées à accumuler des réserves de changes en dollar.

Ceci les conduit à émettre leur propre monnaie pour la vendre et acheter la contre-valeur de titres libellés en dollar.

Lorsque vous suivez régulièrement la progression du bilan de certaines banques centrales d’Asie, vous finissez par avoir une meilleure vision des tendances sur certaines parités de change et sur l’évolution des taux gouvernementaux à 10 ans des Etats-Unis que si vous étiez focalisé sur l’économie.

Supposez que les banques centrales de nombreux pays émergents décident de changer de modèle de change. Elles rompraient leur lien avec le dollar, elles adopteraient un modèle économique basé sur la consommation domestique. Ainsi, elles ne seraient plus contraintes de lutter contre l’appréciation de leur devise. On assisterait sans doute à de violentes corrections à la baisse du dollar contre devises émergentes. Le rendement des obligations américaines s’envolerait.

On se trouve face à des prophéties auto-réalisatrices contre lesquelles on ne peut pas grand-chose. Elles correspondent à des mouvements de capitaux anticipés, justifiés par des choix de politique économique ou des évolutions de comportements (banques centrales, institutionnels…).

▪ Exemple 5 : l’actualité de la crise des dettes souveraines
C’est à l’occasion de ce que nous appelons la crise du crédit souverain subprime que resurgit le procès récent fait aux agences de notation.

Envisager la possibilité de défaut d’un emprunteur souverain de la Zone euro, même si les dispositifs Fonds européen de stabilité financière UE-FMI permettent d’évacuer ce risque à brève échéance, est forcément auto-réalisateur. La hausse des taux d’intérêt qu’entraîne cette hypothèse détériore la situation.

Rappelons, qu’aujourd’hui, grâce aux plans de soutien, Irlande, Grèce et Portugal — qui n’ont plus un accès normal aux marchés — se financent à des taux subventionnés rendant pour l’instant la dette soutenable.

Peut-être vous souvenez-vous des crises du Système monétaire européen (SME) de 1992-1993 ? A cette époque, les marchés croyaient en l’impossibilité de certains pays de maintenir un lien fixe entre leurs devises et le mark.

Cette anticipation est devenue auto-réalisatrice avec l’enchaînement suivant :
– baisse de la monnaie nationale contre mark ;
– hausse des taux pour la défendre ;
– situation économiquement insoutenable ;
– sortie de bon nombre de pays du SME en 1992-1993 : Grande-Bretagne, Italie, Espagne et Portugal ;
– réforme du SME en juillet 1993 avec une limite des fluctuations entre devises du système élargie de +/-2,25% à +/-15%.

Comment éviter l’auto-réalisation dans la crise de la dette souveraine que nous connaissons aujourd’hui ?

Il faudrait :
– un vrai dispositif de supervision des politiques budgétaires (Maastricht aurait dû servir à cela au lieu de se focaliser sur des critères exclusivement quantitatifs) ;
– consolider ce qui a été mis en place depuis mai 2010 avec la création du Fonds européen de stabilité financière et les dispositifs d’aide pour les pays et acteurs faisant face à une crise de liquidité, sans se leurrer sur le diagnostic.

En revanche, s’il s’agit d’une crise de solvabilité, alors qu’il y ait prophétie auto-réalisatrice ou pas, on ne peut rien prévenir.

Puisque le problème est structurel, il faut des solutions structurelles : défaut partiel ordonné, réformes institutionnelles de la Zone euro, sortie temporaire de la Zone euro afin de dévaluer fortement la nouvelle monnaie nationale…

Première parution dans La Quotidienne de MoneyWeek le 26/07/2011.

 

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