La Chronique Agora

Les préfets Medvedev et Poutine échappent à toute sanction !

** Le cyclone Gustav — c’est maintenant officiel — s’est contenté de rincer abondamment les superstructures des plateformes de forage offshore. Les fureurs de l’océan — un important raz-de-marée était redouté le week-end dernier — ont même totalement épargné les raffineries implantées sur les côtes du Texas et de la Louisiane.

Le cyclone Hanna ravage en ce moment même Haïti, Ike pointe déjà au large des Antilles et Josephine se renforce au-dessus des îles du Cap Vert : le calme revenu sur le golfe du Mexique nous semble donc bien précaire, mais qu’importe. La spectaculaire chute du baril (-11%) mardi sur le Nymex est la plus importante en pourcentage depuis plus de 25 ans et semble balayer toutes les inquiétudes relatives aux caprices de la météo, toujours susceptibles de perturber les approvisionnements pétroliers des Etats-Unis.

Il ne suffit pourtant pas que les cours de l’or noir se corrigent, même brutalement, pour que tous les problèmes de production et d’exportation s’évanouissent comme par enchantement. Nous venons d’assister à un brusque réajustement technique, pas à un renversement de tendance historique. Nous ajouterons même que le genre de capitulation (des acheteurs) à laquelle nous avons assisté mardi matin (jusque vers 105,5 $) caractérise souvent la fin d’une vague spéculative — sur laquelle ont pu surfer les short, c’est-à-dire les vendeurs à découvert, depuis la mi-juillet.

Nous avions écrit lors de l’invalidation de la tendance haussière sur le Nymex (cassure du support des 135 $ le 16 juillet dernier) que les épisodes de contraction des cours duraient statistiquement de six à huit semaines — c’est la règle depuis l’amorce de la grande envolée historique des cours en 2004 — et qu’elles présentaient une amplitude moyenne de -15 à -20%. Nous en sommes cette fois-ci à -28%, c’est une réelle nouveauté. La consolidation est cependant susceptible de s’interrompre entre tout de suite et la mi-septembre.

La tendance pourrait se retourner en quelques heures, la psychologie du marché demeure extrêmement versatile. Les investisseurs se disaient encore très préoccupés, une semaine auparavant, par les attentats perpétrés par les mouvements séparatistes nigérians, par la vague de nationalisations des ressources énergétiques au Venezuela et par les vives tensions entre la Russie et la Géorgie. Autant de sujets toujours d’une brûlante actualité mais qui semblent susciter beaucoup moins d’émotion alors que le graphique du cours du WTI oscille entre 106 et 110 $.

** En ce qui concerne le Caucase, les deux plus hauts fonctionnaires de Russie échappent à toute sanction de la part de l’Union européenne — représentée par Nicolas Sarkozy — après l’occupation par la force, et avec violences et destructions, de l’Ossétie du sud, une partie du territoire géorgien.

La Géorgie est fort pauvre mais elle est dotée d’une large frange côtière, un point d’appui stratégique en mer Noire qui intéresse beaucoup l’OTAN. Sa principale ressource consiste dans les droits de passage générés par l’oléoduc Bakou-Tbilissi-Ceyhan, un lien pétrolier entre la mer Caspienne et la Méditerranée. D’un coût de 3,6 milliards de dollars et d’une capacité d’un million de barils par jour, il est vital pour l’Europe de l’ouest et Moscou lorgne dessus depuis 2005.

Dimitri Medvedev et Vladimir Poutine ont non seulement soutenu politiquement les indépendantistes ossètes depuis le début de la crise — qui remonte au début de l’année — mais ils leur ont offert le concours des forces militaires russes, toujours présentes dans la province. Comme à leur habitude, elles n’ont pas fait dans la dentelle et ne se laissent pas impressionner par un concert de protestations à l’ONU.

Le président Medvedev a été admonesté mais nullement sanctionné, comme le serait un simple préfet de Corse, au prétexte qu’il est plus constructif de discuter afin d’entretenir des rapports de bon voisinage. Medvedev s’est aussitôt empressé d’en rajouter dans le registre de la provocation en déclarant : "le régime actuel géorgien a fait faillite, le président Sakachvili n’existe plus pour nous… c’est un cadavre politique".

Et de glisser perfidement : "les appels [aux sanctions, NDLR] qui se font entendre, je les explique principalement par une stratégie électorale américaine destinée à faire monter une cote de popularité" du candidat républicain, sur fond de conflit aux relents de Guerre froide.

John McCain a en effet réaffirmé dimanche — c’est un leitmotiv depuis des mois — que la Russie était devenue une "autocratie" et qu’il fallait l’exclure du G8. Même pas chiche… a rétorqué Poutine.

** Mais les militants républicains se demandaient mardi si l’urgence ne consisterait pas plutôt à exclure sa colistière pro-évangéliste, Sarah Palin, adversaire déclarée de l’éducation sexuelle et des rapports intimes avant le mariage, mais dont la fille de 17 ans, encore étudiante et célibataire, est enceinte de cinq mois.

Cela s’ajoute aux mésaventures du sénateur républicain de l’Idaho, Larry Craig, ex-soutien du candidat ultraconservateur, Mitt Romney, qui s’est depuis rallié à McCain. Pourfendeur de la communauté gay et de "l’immoralité", Craig a été arrêté le 8 août 2007 pour avoir tenté de négocier des rapports homosexuels rétribués dans les toilettes de l’aéroport Minneapolis avec un policier… en civil.

Sans oublier l’éviction en octobre 2007 d’un autre cadre du parti républicain, Mark Foley, représentant de la Floride au Congrès pour "propositions indécentes", via internet, à l’encontre de mineurs de sexe masculin âgés de moins de 16 ans.

George Bush lui-même s’était déclaré "dégoûté" par cette affaire apparentée à de la pédophilie l’automne dernier.

Ajoutés à une situation économique que de nombreux Américains jugent catastrophique — et pas seulement ceux dont l’habitation a été saisie par la banque –, tous ces scandales de moeurs successifs font souffler comme un vent (cyclonique) de défaite sur la convention républicaine — comme l’indique Bill Bonner dans sa Chronique de mercredi dernier. Elle s’avère de surcroît un flop médiatique, à l’exception de "l’affaire Palin".

Un changement politique se profile avec la nette amplification de l’avance du candidat démocrate dans les sondages. Il se propose par exemple de taxer les profits des compagnies pétrolières, ce qui n’est peut-être pas du goût de Wall Street.

** Nous jugeons en effet le complet retournement à la baisse des indices américains mardi soir inexplicable par le seul impact de chiffres économiques mitigés concernant la consommation et les investissements immobiliers et alors que le reflux du pétrole provoquait simultanément l’euphorie sur l’ensemble des bourses du Vieux Continent. Le Nasdaq avait gagné 2% à l’ouverture, il en a perdu jusqu’à 1,5% en fin de séance.

L’Europe est pourtant bien mal en point. L’OCDE abaisse drastiquement ses prévisions concernant la croissance en 2008 et Jean-Claude Junker ne manque pas de s’en alarme. Il estime que les signes de ralentissements en Europe nécessitent une action "coordonnée", sous-entendu, la BCE et les gouvernements de l’UE doivent accorder leurs violons, sinon nos économies vont droit dans le mur.

Le plus alarmiste au sujet de la conjoncture demeure le ministre britannique des Finances, Alistair Darling, qui avertit que son pays était "confronté à ce qui s’apparente au pire déclin économique depuis 60 ans". Il a même ajouté que celui-ci serait "plus profond et plus long" que prévu. Nous ne saurions mieux dire.

** Selon les dernières statistiques officielles, l’économie britannique a enregistré une croissance nulle au cours du deuxième trimestre 2008. Un responsable de la Banque d’Angleterre avertissait la semaine dernière que le chômage pourrait toucher deux millions de personnes d’ici la fin de l’année.

En ce qui concerne, l’immobilier, mis à part "l’ultra haut de gamme" réservé à l’élite russe ou indienne et aux pétro-milliardaires du Proche-Orient, le nombre de transactions est en repli d’un tiers sur 12 mois. Le nombre de dossiers de crédit acceptés est quant à lui en chute libre de 70% et les agents immobiliers estiment qu’il existe actuellement 15 biens à vendre pour un acheteur potentiel. Les conditions actuelles sont tout simplement épouvantables !

Mais la pire des crises immobilières sévit en Espagne. L’activité dans le secteur de la construction d’habitats individuels ou de résidences de loisirs y est en chute de 70% en 2008, avec à la clé une montée fulgurante du chômage dans le secteur du bâtiment (50% en un an). La consommation s’effondre alors que les ménages espagnols, le plus souvent endettés à taux variable, ne peuvent faire face à des frais de remboursement qui explosent à cause d’un loyer de l’argent supérieur à 5% — et souvent très au-delà de 6% — contre 3% l’an passé pour les dossiers à risque.

** Mardi, les marchés européens semblaient déterminés à oublier la noirceur de l’horizon macroéconomique. Cependant, les mauvais fondamentaux ont effectué leur retour en force sur la scène boursière ce mercredi. Paris a plongé de 2% pour retrouver ses planchers de la veille (4 450 points) et a reperdu pas moins de 100 points par rapport à ses plus-hauts de la veille avec plus de 90% des titres en repli.

A Wall Street, les opérateurs s’alarmaient de la fermeture du fonds d’investissement Ospraie Management. Il s’est effondré de 27% de sa valeur d’actif au mois d’août, dans le sillage des cours de l’énergie et des matières premières. La clémence de Gustav lui aurait asséné le coup de grâce ce week-end.

Ospraie Management fait donc partie de ces fonds spéculatifs mal avisés et lessivés par Gustav que nous évoquions hier. Cependant, ce naufrage serait purement anecdotique si Lehman Brothers ne possédait 20% du capital.

Wall Street s’interroge désormais sur le nombre de ces fonds qui se sont récemment engouffrés en force sur le marché des commodities et qui pourraient devoir révéler d’importantes pertes consécutives au repli des cours du brut depuis la mi-juillet. Ces pertes impacteraient négativement leurs sponsors, c’est-à-dire la plupart des grandes banques d’affaires américaines.

Philippe Béchade,
Paris

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