La Chronique Agora

Les plus hautes murailles de dettes ne peuvent arrêter les vents du désert

▪ Le vent du désert déplace les dunes, modifie leurs formes, laisse parfois émerger un buisson d’herbes sèches, vestige d’un temps où le sable n’avait pas encore tout englouti. Si par miracle une pluie suffisamment abondante parvenait jusqu’aux racines de quelques plantes ayant retrouvé l’air libre, à peine auraient-elles eu le temps de reverdir que la prochaine vague de sable viendrait les submerger à nouveau.

Rien ne peut stopper l’inexorable progression du désert vers l’est, sur aucun continent et sous aucune latitude. Personne ne peut songer à arrêter le vent, ni même à le détourner. Pékin a beau être la plus grande métropole du monde, les sables de Mongolie finiront par la recouvrir… car aucune muraille de Chine ne sera assez haute pour les contenir.

L’implantation d’une ou plusieurs ceintures de forêts ralentira l’avancée des dunes. L’homme gagnera peut-être un siècle… mais il passera de plus en plus de temps à déblayer les autoroutes et les avenues, un masque filtrant sur la bouche, avant de réaliser qu’il ne reste plus que quelques années pour démonter poutre par poutre et pierre par pierre la Cité interdite afin de la réimplanter quelques centaines de kilomètres plus au sud.

D’orgueilleuses cités égyptiennes — à l’égal de Thèbes ou d’Alexandrie — ont disparu sous les sables avant même que ne s’éteignent les plus grandes dynasties pharaoniques. La Route de la soie et des épices a souvent changé d’itinéraire pour composer avec les caprices du désert, qui faisaient disparaître certaines étapes tandis que de nouvelles oasis surgissaient là où aucun scorpion n’aurait pu survivre quelques années auparavant.

▪ La planète finance connaît déjà un sort pratiquement similaire : les dunes de mauvaises dettes étouffent peu à peu les zones économiques autrefois fertiles. Les dégradations de notation de bons du trésor s’enchaînent inexorablement — la dernière en date remonte au vendredi 28 mai : l’agence Fitch a privé les emprunts souverains espagnols de leur triple A, provoquant une brusque rechute de l’euro sous les 1,23 $ peu avant la clôture des marchés américains.

Ces abaissements d’opinion se succèdent comme autant de tempêtes de sable, de plus en plus virulentes. Elles plongent les marchés dans les ténèbres ; la Bourse suffoque, les monnaies papier sont emportées comme des fétus de paille.

Lorsque le vent s’apaise et que le soleil revient — pour des périodes de plus en plus courtes –, chacun s’empresse de balayer… mais où rejeter toute cette poussière ?

Aucune victoire sur les éléments n’est envisageable à moyen terme. On peut juste essayer de gagner du temps… mais les plus malins ont choisi depuis plus de quatre ans de redevenir nomades.

Pour cela, il faut partir léger, se délester de tout ce qui peut alourdir un portefeuille… et n’emporter que ce qui représente une valeur essentielle, inaltérable, universellement reconnue : vous avez deviné ce à quoi nous faisons allusion !

▪ Ce n’est pas un hasard si l’or a refranchi la barre des 1 200 $ l’once vendredi. Wall Street était victime d’une ultime douche froide en fin de séance alors que Fitch dégradait à « AA+ » la note de l’Espagne, quelques heures seulement après que cette dernière a revu à la baisse ses perspectives de croissance en 2012 et 2013.

Cette sanction, prise avec une célérité inhabituelle, a provoqué une brusque rechute de l’euro jusque vers 1,2265 $ (mais cela aurait pu être bien pire !), et le plongeon vertical des indices américains en quelques secondes.

Le Dow Jones a dévissé de 70 points. Il perd ainsi 1,2% au total, et 7,9% sur l’ensemble du mois de mai — soit sa pire performance depuis novembre 2008. Le Standard & Poor’s 500 recule dans les mêmes proportions (-1,25% à 1 089 points). Le Nasdaq n’abandonnait que 0,9% mais il chute de pratiquement 9% sur le mois écoulé… Heureusement que les indices américains avaient bondi de 3,5% la veille : le S&P grappille ainsi 0,15% sur la semaine, et le Nasdaq 1,25%.

Wall Street a également été plombé par le secteur parapétrolier. Ce dernier a coulé à pic (-4%, ce qui efface les gains de la veille) alors que Washington a confirmé la prolongation pour six mois du moratoire sur les forages pétroliers en mer au large des Etats-Unis. Rappelons que la dernière tentative de colmatage de la fuite par BP a échoué ce week-end… et personne ne sait si la compagnie parviendra à colmater la fuite : voilà qui risque de provoquer un coup d’arrêt définitif aux projets de forage à grande profondeur, comme au large du Brésil par exemple.

▪ La Bourse de Paris a de son côté terminé la semaine sur un score de -0,3%, mais la performance hebdomadaire s’établit à +2,5%. Cela reste de l’ordre du rebond technique et n’efface pas — loin s’en faut — les 3,5% perdus la semaine précédente… ou les 11% perdus du 30 avril au 7 mai.

Les gains initiaux qui avaient porté le CAC 40 jusque vers 3 550 points se sont définitivement évaporés en début d’après-midi vendredi. Les marchés ont appris que les dépenses des ménages américains avaient stagné (les économistes s’attendaient en moyenne à une progression de 0,3%), alors que leurs revenus ont progressé à un rythme de 0,4% en avril (et de 0,5% en termes réels). Il en résulte une nette remontée du taux d’épargne à 3,6%.

Wall Street est fermé ce lundi pour cause de Memorial Day. Les investisseurs en profiteront certainement pour se souvenir que le couple franco-allemand est de nouveau au bord de la rupture au sujet des rachats de dettes grecques par la BCE — ce dont nous nous vous reparlerons dès demain.

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