▪ Alors que la plupart des valeurs moyennes ont publié leurs résultats pour le premier semestre, le sentiment qui me taraude est celui d’un « déjà-vu ». Il y a trois ans à peine, en pleine débâcle boursière, les managements des sociétés me tenaient à peu près le même discours : nous ne percevons pas pour le moment de ralentissement dans l’économie, nos carnets de commandes sont bons et la crise reste financière. Mais face à l’incertitude grandissante, les dirigeants veulent anticiper ou en tout cas ne pas se laisser surprendre comme ils l’ont été en 2008.
Conséquence : les programmes d’investissement commencent à être remis en cause (notamment en matière d’acquisitions en attendant d’y voir plus clair), alors que ceux de réductions de coûts recommencent à fleurir rendant la perspective d’une récession en Europe quasi inéluctable en 2012. Car la croissance anémique que nos vieilles économies ont connue ces deux dernières années était surtout liée à la reprise des investissements des entreprises, la consommation des ménages restant en berne. Autant dire que, si le seul moteur encore allumé de la fusée devait se couper, on voit mal comment elle pourrait ne pas piquer du nez et atterrir — ou se crasher plutôt…
L’atterrissage ne se fera peut-être pas en douceur
Ces mauvaises perspectives commencent d’ailleurs à se traduire dans les prévisions du consensus des analystes pour 2012. Dans une dépêche publiée récemment, Reuters indiquait que selon les données de sa filiale Datastream spécialisée dans la compilation de consensus, « les estimations de croissance des BPA [NDLR. : bénéfices par action] en France ont été ramenées en moyenne de 11,1% en début d’année à 7,5% aujourd’hui pour les valeurs du CAC 40 en 2011 et de 12% à 9,9% pour 2012 ». Tel est actuellement le tableau, hors crise systémique évidemment.
Car dans ce cas, les multiples de valorisation aussi faibles soient-ils en apparence ne prémunissent évidemment contre rien. C’est un peu comme affronter un tsunami équipé de palmes, masque et tuba ! Pour mémoire, au pire de la crise de 2009, certaines sociétés (rentables !) que nous suivions avec mon équipe étaient valorisées sous leurs niveaux de trésorerie nette : Parrot, Lacie ou encore Modelabs pour ne citer qu’elles…
Donc hors crise systémique, la question que je me suis posée est de savoir ce que les marchés anticipent après cet été meurtrier. C’est assez simple : une récession comparable à celle de 2009 qui s’était traduite par une baisse de l’activité sur le CAC Mid & Small (hors financières) de 10% avec une marge opérationnelle en baisse de deux points et une chute des cash-flows de 20%.
Autrement dit, si nous arrivons à éviter le pire (mais compte tenu de l’histoire récente adopter un biais optimiste ne me semble pas trop de mise…) et que la récession anticipée par les marchés est moins forte que celle actuellement dans les cours, il existe un potentiel d’appréciation réel à terme sur les marchés actions. Mais il faudra probablement attendre la fin de cette nouvelle année terrible pour les marchés pour s’en convaincre.
▪ Le système risque s’effondrer devant l’incapacité des politiques à avancer
Au vu des développements de l’actualité autour de la Grèce — qui cachent surtout les deux autres « éléphants dans le magasin de porcelaine » que sont l’Italie et l’Espagne –, toute prévision sur la dynamique de l’économie mondiale me paraît totalement hors de propos aujourd’hui. Il semblerait toutefois que le projet sur lequel semblent travailler les gouvernements — avec une lenteur qui a de quoi laisser songeur face au risque d’explosion pure et simple de la Zone euro — puisse apporter une réponse au défi actuel.
En gros, le FESF (Fonds européen de stabilité financière qui n’en a pour l’instant que le nom) serait transformé en banque dotée de quelque 780 milliards d’euros de fonds propres constitués par les garanties données par les pays membres dont 25% par l’Allemagne et 20% par la France. Cet organisme en sa qualité de banque pourrait ensuite utiliser l’effet de levier pour démultiplier sa capacité d’intervention et donner du temps au temps. Avec un effet de levier de trois, les montants disponibles dépasseraient les fameux 2 000 milliards d’euros, somme que tous les experts (y compris américains dont Nouriel Roubini, alias le docteur Doom) estiment nécessaire pour stopper l’incendie qui ravage l’Europe.
En sa qualité d’organisme public (puisque financé par les Etats), cette banque européenne pourrait recevoir des financements de la part de la BCE tout en se refinançant sur les marchés internationaux grâce à son AAA. Au final, cela équivaut peu ou prou à créer des Euro Bonds mais sans le dire et tout en respectant la volonté allemande (qui me paraît totalement justifiée au vu des montants en jeu) de ne pas augmenter la taille du FESF.
C’est très schématiquement ce que les parlements sont en train de ratifier en catimini actuellement en espérant que sa mise en oeuvre soit effective rapidement… et pas d’ici trois mois.
▪ Nous avançons à l’aveugle
Dans cette crise de confiance politique doublée d’une crise de gouvernance européenne, il est évident que les entreprises sont face à une conjoncture qui donne des signes multiples de détérioration ; mais on voit mal comment il pourrait en être autrement. Objectivement je suis bien incapable de vous dire à quel niveau pourrait se situer le CAC 40 d’ici la fin de l’année.
Mais encore une fois il faut se rappeler que s’il est impossible de savoir où se situe le niveau plancher d’un titre : les sociétés qui ont su montrer, il y a 36 mois, une résilience de leur modèle économique sont celles qui traverseront encore le mieux possible cette nouvelle phase difficile.