La Chronique Agora

Les marchés se prennent une grosse claque

** Nous avions inauguré la Chronique du 2 juillet par cette affirmation quasi prophétique : "Paris avait entamé le premier semestre sur une hausse de 4,1%, le second démarre de façon tout aussi encourageante mais cela ne préjuge en rien d’une continuation du mouvement ascensionnel au-delà du 6 ou 7 juillet"… dont acte puisque le CAC 40 a rechuté de 3,13% hier.

Il efface ainsi avec une déconcertante facilité les 2,5% de gains engrangés la veille pour en terminer très précisément au plus bas du jour, à 3 116 points. Il est peut-être encore trop tôt pour pronostiquer un enfoncement définitif et sans appel du support court terme des 3 120 points car les volumes ne traduisent pas plus que la veille des prises de positions massives — à la vente cette fois-ci.

Il ne s’est échangé que 2,7 milliards d’euros (contre 2,66 milliards mercredi). Si nous n’avons pas été convaincu par certains aspects techniques du rally haussier marquant l’entame du troisième trimestre 2009, nous ne serons pas davantage impressionné par l’ampleur des écarts à la baisse de jeudi compte tenu de la faible activité globale sur le marché parisien.

Mais la versatilité du marché n’a pas fini de susciter notre étonnement. 39 valeurs du CAC sur 40 avaient clôturé en hausse (sauf Alcatel-Lucent) le 1er juillet ; la totalité d’entre elles s’inscrivaient en territoire négatif ce 2 juillet — et le même titre Alcatel-Lucent finit lanterne rouge avec une perte de 5,75%. Pernod Ricard et Essilor ont reculé au minimum de 0,9%, Alstom et Carrefour chutaient de 1,15% malgré des nouvelles encourageantes et Crédit Agricole (cinquième du classement) lâchait pas moins de 1,4%.

Cette volte-face tendrait à prouver que le marché se fourvoie parfois dans ses anticipations… mais ce cas de figure est plutôt rare. Nous avons plutôt le sentiment que les 2% gagnés en moyenne par les places européennes mercredi, c’était du bonus, l’heureux effet de réinvestissements en début de semestre.

** Les achats initiaux n’ont d’ailleurs pas été poursuivis ce jeudi, alors même que beaucoup de cours devenaient très bas en fin de séance. Une façon de placer les liquidités à moindre frais pour ceux qui seraient demeurés acheteurs dans l’âme… mais la preuve est faite qu’ils ne sont plus très nombreux !

Nous ne sommes pas sûr qu’il faille compter sur eux pour éviter une rupture à la baisse que nous pressentons comme imminente. Le CAC 40 a échoué une nouvelle fois dans sa tentative de débordement des 3 200 points et rechute précisément sur les 3 116 points, c’est-à-dire au contact de son plancher de clôture du 23 juin dernier.

Il pourrait s’agir d’une belle opportunité de rebond en direction des 3 220 points. Cependant, les indicateurs de force relative du marché parisien invitent à faire preuve de la plus grande prudence.

Tous les éléments techniques à notre disposition plaident sans ambiguïté en faveur de la confirmation d’un mouvement de correction en direction des 3 000/3 025 points dans un premier temps, puis 2 840 points à un horizon plus éloigné — mettons fin juillet.

Il existe très peu de cas où le CAC 40 ait échappé à une rupture baissière alors qu’une "tête/épaules" était aussi parfaitement bien dessinée tandis que la "ligne de cou" (3 100 points en l’occurrence) se trouvait directement menacée.

Cela fait maintenant une bonne quinzaine de jours que le CAC 40 oscillait sans direction entre 3 120 et 3 220 points alors que la tendance sous-jacente moyen terme a cessé d’être haussière dès le 2 juin dernier, il y a très exactement un mois jour pour jour.

** Si le pétrole pouvait constituer un indicateur avancé de l’orientation de Wall Street durant la période estivale, il y a tout lieu de s’alarmer de la rechute de 4% du baril sous les 67 $ jeudi soir sur le NYMEX. Il n’y a pas de "tête/épaules" en vue comme sur le CAC 40 ou le S&P 500 (qui s’apprête à enfoncer les 9 020 points)… mais c’est en réalité bien pire puisque l’or noir vient de matérialiser un splendide triple sommet sous les 73 $.

La cassure du support oblique moyen terme, situé vers 70 $, pourrait préfigurer une rechute jusque sur le palier des 60 $. Cela représenterait une correction classique d’environ 20% qui nous apparaît transposable aux principaux indices de référence américains, asiatiques et européens.

** Le scénario idyllique d’un printemps économique symbolisé par un foisonnement de bourgeons de croissance va devoir être réécrit dans l’urgence si l’on se focalise sur le catalyseur du mouvement de correction qui a marqué la journée de jeudi, c’est-à-dire le rapport mensuel sur l’évolution du marché du travail aux Etats-Unis.

Cette fois-ci, il n’est pas nécessaire de lire entre les lignes comme nous aimons le faire lorsque les marchés s’enferment dans leur bulle pour mieux s’isoler d’une réalité qui a tout pour leur déplaire. L’économie américaine a en effet détruit 467 000 emplois en juin (contre 365 000 à 380 000 anticipés). L’embellie du mois de mai, qui avait dopé les places boursières le 5 juin dernier, tourne court.

Les suppressions de postes ont été beaucoup plus nombreuses que prévu dans le secteur des services : 244 000 contre 107 000 en mai. L’industrie manufacturière vu disparaître 136 000 postes contre 156 000 le mois précédent — c’est "moins pire" mais l’hémorragie demeure sévère. La construction est à -79 000, l’intérim -118 000… et le plus surprenant, c’est que même le secteur de la santé perd des emplois (-21 000 contre +40 000 en mai).

La seule relative "bonne surprise" provient du taux de taux de chômage : il augmente de seulement 0,1%, à 9,5% contre 9,6% attendus… mais cela reste le total le plus élevé observé depuis août 1983. Depuis le début de la récession en décembre 2007, les Etats-Unis ont perdu 6,5 millions d’emplois et le taux de chômage a plus que doublé.

L’orientation du marché du travail est très négative pour la consommation : le recul de l’emploi en volume (-0,4%) se double d’un recul de la durée moyenne du travail (-0,3%) et d’une stagnation du salaire horaire. La masse salariale versée aux ménages au mois de juin se contracte même de 0,7%… Heureusement que les prestations sociales et les baisses d’impôts ont contrebalancé ce phénomène, sinon les ventes de détail auraient pu dévisser.

Nous vous avions alerté il y a une bonne dizaine de jours sur le fait que les investisseurs n’entendaient plus les bonnes nouvelles : ils ont totalement occulté le rebond de 1,2% des commandes industrielles au mois de mai — il s’agit pourtant de leur plus forte hausse depuis juin 2008.

La hausse de l’ISM manufacturier n’induit pas encore des embauches d’intérimaires… Du coup, le redressement de l’activité industrielle aux Etats-Unis comme en Europe a toutes les chances de se poursuivre sans rebond de l’emploi à court terme, les multinationales poursuivant leur stratégie de délocalisation de la production et d’externalisation des "fonctions support".

Il se peut également que la prudence l’ait emporté de façon un peu trop brutale en cette veille de long pont de l’Independance Day aux Etats-Unis. Les opérateurs invoquent des perspectives de rebond économique plus chaotiques — sursaut technique à la mi-2009 avant une rechute en fin d’année — et plus éloignées dans le temps. Le consensus semble repousser l’échéance d’un an, ce qui confirme le scénario de la reprise en "W" qui nous évoquions lundi.

Philippe Béchade,
Paris

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