La Chronique Agora

Les marchés feront ce qu'ils sont censés faire

** "Les arbres ne grimpent pas jusqu’au ciel", dit le proverbe [que rappelle d’ailleurs Raphaël Garaud ci-dessous, ndlr.]. C’est vrai. Ils grimpent à peu près aussi haut qu’ils sont censés le faire, après quoi ils pourrissent et s’effondrent.

* Les marchés, eux aussi, doivent faire ce qu’ils sont "censés" faire. Lorsque les choses sont déséquilibrées, elles doivent se rééquilibrer d’une manière ou d’une autre. Lorsqu’elles sont loin de la moyenne, elles doivent y retourner. Sinon, il n’y aurait pas de moyenne vers laquelle revenir. Il n’y aurait pas de "normal", pas d’usuel, pas d’ordinaire, pas de commun, pas de standard. C’est-à-dire qu’il n’y aurait pas de schémas familiers, dans la vie. Chaque jour serait une surprise.

* Or il y a des schémas.

* Lorsque les marchés atteignent un sommet extraordinaire, d’une manière ou d’une autre, ils doivent retomber dans une vallée extraordinaire. C’est exactement ce qu’ils font. Mais ils n’ont pas à le faire d’une manière qui nous convienne. Ni même d’une manière que nous pouvons anticiper. Si nous pouvions l’anticiper, nous pourrions en profiter. Et si nous pouvions en profiter, nous pourrions y mettre fin.

* Revenons par exemple après le sommet historique des marchés à la fin du 20ème siècle : nous pouvions raisonnablement nous attendre à ce que le chapitre suivant nous explique comment atteindre un plancher historique. Prenant un peu d’avance, les investisseurs les plus rapides auraient pu en déduire qu’ils devraient vendre leurs actions. Ensuite, lisant entre les lignes de leur Manuel de l’Histoire Boursière, ils auraient réalisé que tout le monde vendrait également, en anticipation de la prochaine grande évolution, et qu’ils devraient donc essayer de vendre avant ! Mais le livre étant ouvert à tous, tout le monde essaierait de vendre, toujours plus tôt que les autres, afin d’éviter la bousculade — jusqu’à ce que tout le monde ait vendu avant même que le grand marché haussier ne commence. En fait, il n’y aurait pas eu de marché haussier. Si tout le monde savait ce que le futur nous réserve, personne ne se donnerait la peine de le vivre. L’Histoire s’arrêterait.

* Heureusement, nous vivons dans un monde de ténèbres perpétuelles — du moins en ce qui concerne le lendemain. Tout ce que nous savons, c’est que les schémas fondamentaux du passé se répéteront probablement ; nous ne savons simplement pas quand ou comment.

** De nombreux haussiers de l’or, par exemple, s’attendent à une redite immédiate de la fin des années 70, lorsque la hausse des taux d’inflation a mené à une hausse des prix de l’or. De cela, comme de tant d’autres choses, nous ne sommes pas certain.

* Nous sommes un haussier de l’or, bien entendu. Mais nous avons le sentiment que ce marché haussier de l’or pourrait ne pas prendre le chemin anticipé. Le véritable danger pour l’économie américaine reste la déflation, non l’inflation. Ce ne serait pas trop d’argent courant après trop peu de biens et de services, mais trop peu d’argent pour supporter le fardeau de la dette.

* "Des craintes assaillent le marché immobilier de Phoenix", lisions-nous ce week-end dans la presse américaine. A Phoenix, Arizona, on commence à s’inquiéter de la même chose que beaucoup de gens ailleurs : comment vont-ils payer leurs dettes ? Près de 1 000 milliards de prêts immobiliers à taux variable seront revus dans les 12 prochains mois. Comment les gens vont-ils gérer les versements plus élevés ? Pendant ce temps, le plus grand débiteur de tous les temps — le gouvernement américain — a son propre prêt à taux variable. Si nous lisons correctement le calendrier, un tiers de toute la dette américaine — près de trois milliards de dollars — doit être refinancé dans les 12 prochains mois. D’où va provenir l’argent ?

* Ce n’est pas vraiment la taille de la dette US qui compte — c’est la capacité des débiteurs à la rembourser. A mesure que les versements augmentent, les taux d’intérêt grimpent partout dans le monde. Et à mesure qu’ils grimpent, il en va de même pour le besoin de liquidités nécessaires pour effectuer les paiements. Voilà pourquoi le dollar ne sera probablement pas sans valeur. Ou pas prochainement, en tout cas. Ce sera pour une prochaine étape, lorsque Bernanke sera le dos au mur. Pour l’instant, ce que nous voyons, c’est un besoin accru de liquidités, et une demande de dollars afin de maintenir le système en marche.

* Oui, le dollar n’a aucune valeur inhérente. Et oui, lui aussi finira par faire ce qu’il est "censé" faire. Il s’effondrera. Mais rien n’arrive de manière aussi simple qu’on l’attendait.

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