La Chronique Agora

Les marchés au bord du trou noir… tout comme le pétrole

** L’ambiance sur les marchés financiers en cette fin de mois de juin 2008 est probablement la plus sombre observée depuis l’automne 2002 ; le coup de blues du mois de mars 2003 était lié à l’invasion de l’Irak et n’a rien de comparable. Les investisseurs sont submergés par une avalanche de rumeurs, de statistiques, d’études macroéconomiques et d’annonces d’augmentation de capital dans l’urgence qui sont perçues comme extrêmement négatives.

Nous avons assisté à une fin de journée catastrophe sur les places européennes (qui plongent de 2,5% en moyenne), avec des écarts allant jusqu’à -3% ou -3,1% à Madrid et Amsterdam. Si les indices ont clôturé au plus bas du jour, de la semaine et du mois de juin, c’est parce que Wall Street semblait complètement perdre pied, avec un Dow Jones affichant à mi-séance -2,3% — sous 11 640 points, le plancher annuel des 22 et 23 janvier est largement enfoncé –, le S&P 500 -2,4% et le Nasdaq -3%, sous 2 330 points.

Quand la spirale baissière s’emballe, quand un vent de panique souffle sur les indices, il ne sert à rien de ressortir les vieux dictons boursiers et de se retrancher derrière le « pas vendu, pas perdu ». L’expérience démontre que c’est dans ce genre de situation qu’il convient de choisir son camp… et l’analyse technique constitue un précieux auxiliaire de prise de décision, sinon le seul auxquels se réfèrent les opérateurs sur les marchés dérivés.

Le concept de cours massacré n’a plus guère de pertinence aujourd’hui : un titre, un secteur, un indice survendu peuvent hélas se désintégrer dans des proportions qui apparaissaient impensables, même après 20% de repli en quelques semaines.

A la mi-janvier, le CAC 40 perdait 10% mais il n’en était encore qu’à mi-parcours. Revenu sous les 4 500 points le 17 mars, une majorité d’analystes le virent dévisser inexorablement vers les 4 000 points… mais un mois plus tard, plus personne ne doutait de le voir refranchir les 5 000 points.

A certains moments charnières — et ce 27 juin en constitue bien un fameux exemple — les thèses les plus antinomiques pourront être soutenues avec la même conviction par des opérateurs disposant d’outils comparables : c’est ce que l’on peut décrire comme le moment psychologique… et il se présente lorsque le potentiel du scénario initial le plus extrême (nous parlons d’un scénario de rupture sous les 4 500 points)  vient de se matérialiser.

** Voici en quelque sorte l’état des lieux dressé par les chartistes à 48 heures de la fin du premier semestre : le  graphique du CAC 40 a très mauvaise allure, le marché semble techniquement au bord de la capitulation, l’indice a perdu 110 points et plus de 600 points par rapport au zénith du 30 mai (5 028 points).

Le CAC 40 avait rebondi de 1,4% le 25 juin dans des volumes modestes ; il en reperd 2,4% dans des échanges nourris, témoignant de dégagements agressifs qui ne sont pas sans rappeler ceux observés à partir de la mi-janvier 2008, lors de l’ouverture du gap sous les 5 080 points.

Le plancher de clôture des 4 430 points du 17 mars est retracé et les 4 415 points semblent soudain redevenus très proches : cela pourrait constituer une opportunité de rebond vers 4 700/4 730 points puis 4 790 points (effacement classique de 50% des pertes du dernier segment baissier) — mais l’enfoncement des 4 530 points (support oblique long terme) qui n’était que « partiel » (ou de « l’épaisseur du trait » les 23 et 24 juin) semble désormais incontestable et signe l’invalidation de la tendance haussière en vigueur depuis le 13 mars 2003.

Cet accroc majeur conforte le scénario d’une poursuite de la correction en direction des 4 073 points (gap du 13 juin 2005) puis 3 825 points, le gap des 4 436 points du 28 octobre 2005 ayant été refermé le 17 mars dernier.

Beaucoup de chartistes s’attendaient au retracement des 4 000 depuis la cassure des 4 760 points… mais le mouvement ne devrait pas se dérouler en ligne droite, compte tenu des niveaux de survente actuels et les 21% perdus en six mois. La règle du balancier entre 5 140 et 4 760 points induit un possible sursaut technique à partir de la zone des 4 380 points.

Il ne faudrait pas que le rebond s’essouffle dès l’approche des 4 600/4 615 points (ex-support moyen terme remontant à juin 2006) car les vendeurs auraient de bonnes raisons de se penser en mesure de ramener « sans forcer » les cours jusque vers 4 000 points.

** Mais en adoptant un point de vue relativiste, la situation n’est peut-être pas aussi désespérée qu’il y paraît : si deux indices américains sur trois affichent des replis supérieurs à 12% depuis le 1er janvier, ces pertes apparaissent relativement modestes en regard des -20% recensés en moyenne sur les places du Vieux Continent (le CAC 40 accuse -21%, l’Eurofirst 80 s’effondre de 23%).

A ce stade, Wall Street ne semble certes pas à l’abri d’une amplification de son repli… mais il n’est pas illogique d’estimer que le CAC 40 ou l’EuroStoxx 50 pourraient amorcer le comblement d’une partie de leur lourd handicap.

Les plus pessimistes jeudi soir étaient les partisans d’une approche fondamentale. Les  gérants d’OPCVM ont notamment capitulé ce jeudi devant la rechute du dollar (-1%) sous les 1,5760/euro et le rebond symétrique du pétrole au-delà des 140 $ le baril, nouveau record historique absolu.

Ajoutez à ce couple infernal la dégradation de recommandation de Goldman Sachs sur Citigroup (-5,85%) et d’autres banques d’affaires, puis sur General Motors (-11%), et les derniers acheteurs courent se mettre à l’abri tandis que les vendeurs à découvert — maîtres absolus de la tendance depuis le 19 mai — achèvent de faire de juin l’un des pires mois boursiers de la décennie… sur fond de nouvelles turbulences monétaires.

** Les commentateurs évoquent depuis mercredi soir le flou concernant la stratégie de la Fed au sujet de l’inflation. Elle est jugée préoccupante, mais Ben Bernanke n’indique pas s’il compte réagir dans le même esprit que la BCE, ce qui entretient le sentiment que la priorité demeure la sauvegarde de la croissance, au prix du sacrifice du dollar.

Cette incertitude se traduit par de violents mouvements sur les changes et une volatilité des T-Bonds qui rend l’ambiance encore plus « insécure ».

Dans ce climat d’une pesanteur extrême, la révision en hausse (à +1% contre +0,9%) du PIB américain et le rebond de 2% des logements anciens au mois de mai sont passés totalement inaperçus. Les rumeurs d’une nouvelle vague de dépréciations de créances immobilières, pas uniquement adossées aux prêts subprime, gèlent toute initiative à l’achat.

En Europe, le taux d’inflation anticipé en Allemagne (le meilleur élève en la matière) devrait atteindre 3,3% en juin, d’après des estimations préliminaires presque jamais démenties, et 3,9% dans l’Euroland.

La barre des 4% pourrait être franchie dès juillet avec un baril à 135 $, ce qui rend peu probable le scénario d’un tour de vis unique de la BCE le 3 juillet prochain… Les marchés obligataires anticipent d’ores et déjà 4,50% ou 4,75% d’ici la fin de l’année.

C’est donc le risque de stagflation qui grimpe en flèche dans l’esprit des économistes et des gérants. Comme souvent, lorsque la confiance s’évapore soudainement sur les marchés, ce sont les titres les plus vulnérables qui sont passés au laminoir… à l’image de Dexia (-10,4% dans le sillage de Fortis qui doit lever huit milliards d’euros de toute urgence pour rétablir ses ratios) : comparaison n’est pas raison, mais s’abstenir vaut souvent mieux que de ne pouvoir tenir !

Philippe Béchade,
Paris

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