La Chronique Agora

Les marchés à nouveau de mauvaise… Hummer

** Lorsque le cycle des rachats de ventes à découvert touche à sa fin, la dynamique haussière doit se trouver de nouveaux moteurs auxiliaires, sinon les cours de bourse retombent comme un soufflé.

L’actualité micro et macroéconomique de la séance d’hier a occasionné un brusque retour à la dure réalité. Ni les trimestriels — avec pas moins d’une centaine de résultats publiés aux Etats-Unis en l’espace de 24 heures –, ni les statistiques du jour n’ont entretenu l’ardeur des acheteurs. La bourse de Paris a donc entamé une consolidation (-1,4%) qui n’est guère surprenante après un rebond de presque 11% en six séances — soit un segment haussier qui constitue l’exacte symétrie de la capitulation indicielle survenue du 1er au 15 juillet.

Hier, la volatilité a été une nouvelle fois assez intense avec 110 points d’écart entre les extrêmes du jour. Le CAC a même testé au cours de la séance deux niveaux jugés stratégiques : le seuil des 4 438 points, qui correspond à la résistance testée le 30 juin, puis, quelques heures plus tard, le seuil des 4 333 points — soit le sommet du gap laissé béant le 22 juillet.

La séance a été relativement active à Paris avec six milliards d’euros échangés. Les trois plus gros volumes négociés à la vente l’ont été sur les valeurs du secteur énergie. Total a perdu 2,8%, EDF 3,2% — alors que le rachat de British Energy pour 15,5 milliards d’euros semble imminent — et GDF-Suez 2,35%. Vallourec, très lié à la thématique pétrolière, chutait quant à lui de 6,45% dans le sillage du baril, revenu sous les 124 $ à New York.

** Les titres industriels et ceux du compartiment automobile ont pesé sur l’ensemble des bourses européennes (-1,3% pour l’Eurotop 100). A Paris, le titre Peugeot (-7,2% dans le sillage de Daimler) signait la plus forte baisse du SBF 120 et Renault abandonnait 3,35% après l’annonce d’un plan de suppression de 5 000 à 6 000 postes à travers l’Europe.

Pas de quoi rassurer les salariés/consommateurs européens mais une confirmation éclatante du principe de gestion très apprécié des investisseurs anglo-saxons : il consiste à dégraisser en priorité les effectifs, puis à mettre encore plus la pression sur les sous-traitants (le fameux cost killing). Et tout cela afin d’éviter une éventuelle réduction des dividendes — un drame social insoutenable !

Si cela "fait sens" aux yeux des actionnaires, cela met aussi littéralement cul par-dessus tête le principe fordien — et fondateur de l’American way of life — qui postule qu’un producteur, quel qu’il soit, ne peut espérer vendre que ce que les employés dans leur ensemble sont en mesure d’acheter. Ce qui signifie que la vraie prospérité dépend aussi du niveau des revenus.

Etant donné qu’aux Etats-Unis, 5% des actionnaires possèdent 80% des titres en circulation, cela fait beaucoup d’exclus de la course au pouvoir d’achat si les dividendes devaient être maintenus coûte que coûte en sacrifiant systématiquement la masse salariale, au seul profit d’une catégorie de la population qui est loin d’être dans le besoin — en témoigne le nombre de Hummer vendus l’an passé, nous allons y revenir.

** En ce qui concerne le groupe Ford, les grands principes qui ont prévalu jusque dans les années 70 ne pèsent pas lourd face à la concurrence asiatique dans le secteur des véhicules d’entrée de gamme, ou européenne dans le haut de gamme. Le segment des gros 4×4 sur lequel les constructeurs américain régnaient en maîtres est littéralement sinistré depuis deux ans.

Ford accuse une perte trimestrielle de 8,5 milliards de dollars et se lance à son tour dans un sévère plan de restructuration. Il prévoit entre autres la reconversion complète de trois des quatre sites industriels produisant les fameux SUV, véhicules tout terrain passant en fait 99,9% de leur temps sur les routes goudronnées et en centre-ville.

Le symbole des "années fric" (2003/2006), le célèbre Hummer, pourrait voir sa production totalement arrêtée par General Motors… à moins de revendre la marque et les usines à un milliardaire saoudien ou un oligarque russe : les rues des beaux quartiers de Moscou en sont encore littéralement encombrées, et il s’agit souvent de la version blindée.

Avec son moteur turbo diesel V8 de six litres de cylindrée, le Hummer est le 4×4 le plus puissant du marché automobile, mais il faut bien cela pour propulser ses trois tonnes de fureur et de frime qui en font le véhicule préféré des rappeurs et des trafiquants de drogue aux Etats-Unis… mais n’ y voyez pas d’amalgame inopportun.

Le Hummer est également le 4×4 le plus polluant au monde, avec une consommation allant de 13 à 25 litres aux 100 kilomètres en consommation urbaine ou intensive. Il émet de sept à dix tonnes de gaz à effet de serre par an sur la base moyenne de 40 000 kilomètres parcourus.

Pour tous ces services rendus à la bonne santé atmosphérique de la planète, le Hummer bénéficiait aux États-Unis de l’abattement fiscal de 100 000 $ accordé aux dirigeants de PME ou aux travailleurs indépendants investissant dans leur "outil de travail" : une sorte d’anti-prime écologique en quelque sorte.

Grâce au fisc américain, les ventes de Hummer (à 60 000 $ l’unité) avaient explosé depuis 2002, avec un pic de 70 000 unités écoulées aux États-Unis en 2006.

Avec un gallon de gasoil à 4,50 $ en moyenne, la demande est en forte baisse : elle a été réduite de trois-quarts en quelques mois. Si le Hummer servait d’étalon à la bonne santé de l’économie américaine, le diagnostic serait des plus alarmants.

** Et s’il avait besoin d’être confirmé, les indicateurs économiques américains du jour y suffiraient largement. Les ventes de logements anciens ont reculé de 2,6% en juin à 4,86 millions d’unités, selon le dernier rapport mensuel de la NAR, l’association nationale des promoteurs immobiliers.

Par ailleurs, selon le département du Travail, les inscriptions hebdomadaires au chômage ont augmenté de 34 000 la semaine dernière, une progression bien plus forte que prévu.

Sur le Vieux Continent, l’indice IFO du climat des affaires en Allemagne a de nouveau baissé au mois de juillet pour s’établir à 97,5, un chiffre également très inférieur aux attentes des spécialistes. La composante "anticipation" recule dans des proportions inattendues à 90 contre 94,6 en juin. Le pessimisme gagne les dirigeants d’entreprises, qui n’ignorent pas qu’une récession entraîne généralement une baisse de 25% des bénéfices sur une période moyenne de 25 mois.

Mais à quelque chose malheur est bon puisque les sombres perspectives européennes dopent le billet vert. Voici le dollar revenu au-dessus des 1,5650 face à l’euro, ce qui devrait contribuer à soutenir la tendance sur les bourses européennes, pourvu que le baril de pétrole n’apparaisse pas comme une alternative bienvenue en cas de net fléchissement de Wall Street.

Philippe Béchade,
Paris

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