La Chronique Agora

Les limites de la confiance

La Chine a annoncé fin juillet le décrochage du yuan par rapport au dollar. Une page d’histoire monétaire se tourne doucement : la fin du règne de l’étalon-dollar. L’improbable hausse simultanée de l’or et du dollar du mois de juin montre que la confiance des investisseurs dans le billet vert s’érode. La monnaie chinoise sera désormais évaluée à partir d’un panier de devises des principaux partenaires économiques de la Chine, a annoncé Pékin le 21 juillet. En attendant la composition précise du panier, le yuan est réévalué de 2,1% par rapport au dollar, son cours étant fixé à 8,11 / $ au lieu de 8,28 depuis 11 ans. Le chiffre est symbolique, mais la décision de la « Banque du Peuple » marque un tournant historique. Le dollar, dans lequel s’échangent toutes les matières premières, ne sera bientôt plus un monarque monétaire absolu. L’or n’a toutefois pas bronché à ce qui est en réalité le début d’une dévaluation du dollar ; même si la Chine a choisi, à l’instar de Greenspan pour ses taux d’intérêt, un « rythme mesuré » de réévaluation à 2,1%, c’est dix fois moins que ce que réclamaient les pays membres de l’OMC. Mais ce n’est que le début de l’ajustement. Même si l’or ne s’est pas réveillé de sa torpeur estivale, il résiste plutôt bien depuis le début de l’année. Après son sommet historique de 456,45 dollars l’once en décembre, il s’est ancré dans la bande 420/430 dollars. La mise en doute de la monnaie unique, qui a fait perdre du terrain à l’euro face au dollar en juin, n’a pas nui à l’or. Alors que le dollar se raffermissait par rapport aux autres monnaies, l’or tenait bon. Par le passé, toute hausse du dollar se traduisait par une baisse du cours de l’once. Ce découplage or-dollar montre que la confiance des investisseurs dans le dollar s’affaiblit. Certains analystes y voient un signe annonciateur d’un retour en grâce de l’or. Depuis juin, le dollar faiblit à nouveau et l’or a dépassé les 437 dollars l’once. Nous vivons une exception historique : le règne des monnaies fiduciaires sans crise monétaire majeure depuis plusieurs décennies. Les valeurs du dollar, de l’euro, du yen ou de la livre et bientôt du yuan sont sous-tendues par le dynamisme des économies de leurs pays émetteurs et par la confiance dans la poursuite de leur croissance. La majorité des gens qui s’intéressent à l’or ne voient en lui qu’un remède à une mollesse passagère du billet vert, passage obligé pour l’achat de matières premières. Même si une monnaie fiduciaire connaît une difficulté temporaire, le repli s’effectue majoritairement sur une autre monnaie fiduciaire. Les réserves des banques centrales sont essentiellement constituées de papier-monnaie, l’or tenant une place plus ou moins symbolique. Dans ces réserves, le dollar, étalon des monnaies fiduciaires, emblème de la plus puissante économie du monde, règne encore. La confiance vacille et l’or scintille « Lorsque le taux d’inflation dépasse les taux des marchés des changes dans toutes les principales devises, les investisseurs se tournent vers l’or en tant que réserve de valeur », énonçait fin juin Paul Kasriel, vice-président de la banque Northern Trust et ancien gouverneur de la banque fédérale de Chicago. Le découplage du dollar et de l’or, constaté depuis la fin du mois de mai, est probablement dû aux banques asiatiques et aux pays arabes. Les premières se débarrassent de trop de dollars. Les seconds se méfient d’un éventuel gel de leurs avoirs au nom de la traque anti-terroriste. Les banques centrales des pays riches et endettés, de leur côté, tenteront d’enrayer une trop brutale montée de l’or qui discréditerait leurs monnaies fiduciaires. Mais leur marge de manœuvre est étroite. Les ventes d’or sont limitées et doivent être annoncées longtemps à l’avance, conformément à l’accord de Washington. Depuis la nuit des temps, les bipèdes utilisaient pour leurs échanges commerciaux l’or et l’argent comme monnaie. Les deux métaux étaient reconnus partout et les problèmes de changes, inexistants : une balance et une double pesée faisaient l’affaire, sans que l’on se préoccupe trop de l’effigie des pièces – tsar, monarque européen ou pacha turc, tout était bon. Law à l’époque de la Régence, puis la France sous la Révolution ont tenté d’émettre de la monnaie-papier. Celle de Law était basée sur les territoires du Mississipi ; les assignats français, sur les Biens Nationaux de l’Etat. Mais que valaient pour un marchand quelques arpents du Mississipi ou des terres et châteaux confisqués au clergé et à la noblesse ? Rien, faute de transaction visible. Les deux cuisants échecs de ces monnaies-papier n’ont donc pas entamé l’étalon-or et son petit frère l’argent. Après, la monnaie-papier est devenue le papier-monnaie. Difficile de transporter aisément de l’or et de l’argent mais plus facile de transporter du papier indiquant une contrepartie en métal précieux. Le premier succès de la monnaie-papier est venu des Etats-Unis. Durant la guerre de Sécession, la monnaie-or est retirée de la circulation. A la fin de cette guerre civile, en 1865, la dette publique des USA se monte à 3 milliards de dollars (soient 15 milliards de francs-or). La monnaie-papier s’échange alors au cours de 160%, soit 160 $ papier pour 100 $ d’or. Les Américains disent « greenback ». Mais dès 1875 la parité est presque revenue, le greenback se montant à moins de 105. La dette publique est remboursée, le coton, cultivé sans esclaves, est revenu à son cours de 1860. La monnaie-papier est solidement garantie par l’extraction d’or (en Californie) et d’argent (au Nevada). Les Etats-Unis, sauvés par le métal jaune, produisent la moitié de l’or et de l’argent qui sous-tendent les autres monnaies-papier du monde. En 1877, la masse monétaire mondiale est adossée à 12 000 tonnes d’or et 170 000 tonnes d’argent. Le dollar, monnaie-papier du pays le plus dynamique qui est aussi le plus gros producteur de métaux monnaies, commence son règne. Il est reconnu et accepté partout, il vaut de l’or. En 2005, les autres monnaies-papier sont essentiellement garanties par les réserves en dollars des banques centrales et de moins en moins d’or. Elles reposent sur une confiance établie en presque 130 ans et sur la foi en l’avenir, prometteur de toujours plus de richesses, plutôt que sur la garantie de richesses réellement existantes. Aujourd’hui, l’étalon- dollar est toutefois alourdi par un déficit historique. La dette publique de 2005 est bien différente de celle de 1865. Elle ne sert pas cette fois à construire une dynamique fédération mais à doper une consommation qui alourdit le déficit commercial. La vraie croissance est ailleurs, en Chine et en Inde. La demande en métal précieux se trouve là aussi : 600 tonnes pour chacun de ces pays, auxquels il faut rajouter le Vietnam et l’Indonésie. Peut-être que la prochaine monnaie fiduciaire étalon sera le yuan.
Mais en attendant l’assainissement du système bancaire chinois et la totale convertibilité du yuan, l’or pourrait dépasser 500 dollars l’once d’ici six mois (…) Tous les mois dans Vos Finances- La Lettre du Patrimoine, retrouvez les conseils de Simone Wapler pour savoir comment profiter de la hausse de l’or.

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