La Chronique Agora

Les grosses mains nous la jouent petit bras ?

** Le marché parisien a enfin bénéficié d’une vague de rachats à bon compte, après quatre semaines consécutives de repli et plus de 550 points perdus d’une seule traite depuis le 27 février dernier.

Alors que le pessimisme semblait à son comble à la veille du week-end de Pâques, le souvenir de la débâcle de Bear Stearns étant encore tout frais dans les esprits, Wall Street s’est appliqué à prendre le consensus baissier à contre-pied les 20 et 24 mars, à l’occasion des deux séances inaugurant le deuxième trimestre 2008.

Il en a résulté une brusque inversion des positions short à Paris mardi matin dès la reprise des cotations : le CAC 40 a gagné d’entrée de jeu 3,5%, avec un test des 4 700 points à la clé… et n’a pas amélioré ses scores au cours des trois séances qui ont suivi.

A titre de comparaison, l’Euro-Stoxx 50 reculait vendredi de 0,35% mais engrangeait une hausse hebdomadaire de 3,85% : c’est la troisième plus forte depuis les 11/15 juin 2007 (+4%) et le rally de +5,2% du 19 au 23 mars de la même année.

** La bourse de Paris affichait ce vendredi un repli de 0,5%, ce qui effaçait la moitié des gains de jeudi ; les opérateurs ne sont pas parvenu à faire clôturer le CAC 40 au-dessus des 4 700 points.

Symboliquement, cela aurait pu constituer un signal positif… mais les ventes de précaution l’ont emporté en cette veille de week-end. Cette séance de vendredi a surtout été marquée par un gel des initiatives, comme en témoignait une activité en forte contraction : les volumes d’échanges ont chuté de 20% en 24 heures, à 4,1 milliards d’euros contre 5,3 la veille, et de près de 40% en trois jours (il s’était traité 7,05 milliards d’euros mardi sur les 40 vedettes de la cote).

L’indice-phare s’adjuge certes +3,55% sur l’ensemble de la semaine mais il s’est montré vulnérable à l’approche des 4 750 : les grosses mains joueraient-elles finalement petit bras ?

Si la consolidation observée vendredi ne fut guère appuyée, pas moins de 32 valeurs du CAC 40 terminaient en repli, contre deux inchangées et six hausses. Pas une seule progression ne dépassait les 1,1% puisque Arcelor-Mittal s’adjugeait 1,08% et Cap Gemini 1%.

Le marché parisien s’est peut-être un peu assoupi en fin de semaine, mais des rebonds spectaculaires se matérialisent néanmoins depuis le 20 mars dernier (journée des « Quatre sorcières »). Natixis s’envole ainsi de 17,8%, AXA de 12,1%, Cap Gemini de 11,3%, PPR et Sodhexo de 11%, Wendel et Alcatel-Lucent de 9,8%, Air France de 9,45%.

** Le climat conjoncturel se trouve relégué au second plan ; les investisseurs ont accueilli sans émotion la dégradation du moral des ménages français en mars, à -36 contre -35 en février.

Le produit intérieur brut (PIB) hexagonal a progressé de 0,4% au quatrième trimestre, selon les données définitives publiées vendredi par l’INSEE. Le montant du déficit français pour 2008 a été revu à la hausse (2,5% du PIB contre 2,3% annoncé précédemment) à cause de conditions économiques « difficiles » entraînant un tassement des recettes fiscales.

** Les premières statistiques américaines publiées à la veille du week-end ont, quant à elles, été plutôt bien accueillies par Wall Street. Les dépenses des ménages américains ont progressé de 0,1% en février (les économistes redoutaient une stagnation), leurs revenus ayant augmenté de 0,5% sur la même période au lieu de 0,3% anticipé.

L’inflation sous-jacente (indice PCE) se serait modérée le mois dernier à +3,4%, contre +3,5% en janvier. Elle se stabilise à +2% en rythme annuel hors alimentation et énergie.

Mais 90 minutes plus tard, le moral des marchés américains s’est assombri avec une nouvelle chute de la confiance des consommateurs en mars : l’indice de l’université du Michigan est ressorti à 69,5 (-1,3 points), soit son plus bas niveau depuis le mois de février 1992.

Le dollar poursuivait malgré tout son rebond, se hissant vers 1,5750 après avoir flirté jeudi — à 0,5% près — avec son plancher historique des 1,5905/euro de la mi-mars.

La publication des chiffres de l’emploi ce vendredi 4 avril pourrait s’avérer décisive pour le billet vert : s’il parvenait à déborder les 100 yens et à se rapprocher des 102,25/102,5 (et des 1,50 euros), cela donnerait un ballon d’oxygène aux valeurs exportatrices nippones et européennes.

** L’un des principaux obstacles techniques au retracement des 5 100 par le CAC 40 et des 3 900 points pour l’Euro-Stoxx 50 s’évanouirait… mais les marchés restent à la merci de la révélation de nouvelles faillites de « conduits » ou de SIV — ces fameuses structures, souvent immatriculées offshore, qui ont permis aux grandes banques d’affaires anglo-saxonnes d’évacuer le risque associé à leurs énormes positions spéculatives sur les dérivés de crédit dans le « hors bilan ».

Les marchés auraient beaucoup à redouter si tous les acteurs du secteur financier prenaient l’initiative insensée de révéler — comme le réclamaient jeudi dernier Nicolas Sarkozy et Gordon Brown — le nombre et le poids des cadavres qui gisent dans leurs placards.

Heureusement, ce genre de secret est beaucoup mieux défendu que la liste des contribuables allemands, italiens ou français qui avaient trouvé un asile fiscal dans des fondations anonymes (ou réputées comme telles) domiciliées au Liechtenstein…

Philippe Béchade,
Paris

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