La Chronique Agora

Les CM2, la chenille et l'avenir des Etats-Unis

** La semaine dernière, votre chroniqueur californien a vécu l’un des moments les plus gratifiants de sa vie de parent. Il a assisté à la cérémonie de fin d’année de CM2 de son fils, Ethan.

– L’événement en lui-même ne nous a pas tiré de larmes de joie ni inspiré un sentiment de fierté parentale immodérée. Après tout, Ethan est le dernier des trois enfants de votre chroniqueur californien. Nous avons déjà assisté à un grand nombre de cérémonies scolaires sans intérêt. C’est pourquoi nous ne faisions pas partie de la foule agitée des parents qui, armés de leur caméscopes et de leurs appareils photo, grouillaient comme des paparazzis autour des élèves de CM2.

– Votre éditeur a préféré rester tranquillement assis dans sa chaise, pour profiter de l’instant.

– Au milieu de la cérémonie, le principal a fait un petit discours. "Chaque année", a-t-il commencé, "j’essaie de trouver un mot pour décrire le groupe d’élèves qui nous quittent pour aller au collège. Je tente de trouver un seul mot, bien précis, qui pourra capturer la personnalité unique de ces CM2. Cette année, j’ai eu beaucoup de mal à trouver, car ils possèdent énormément de qualités différentes. Et un jour, j’en parlais avec un des professeurs, quand elle m’a dit : ‘vous savez, ces élèves sont simplement gentils’."

– "Je me suis donc dit, ‘oui, c’est bien ça, gentils’. C’est tout simplement un groupe agréable. Les élèves sont particulièrement gentils les uns avec les autres, ils s’amusent beaucoup, et ils ne mettent personne à l’écart. Laissez-moi vous donner quelques exemples"…

– Le principal s’est ensuite lancé dans le récit d’anecdotes diverses pour illustrer la gentillesse de ces élèves de CM2. Après avoir partagé ces histoires avec nous, il a conclu avec une dernière illustration de son propos…

– "Mais l’anecdote qui illustre le mieux l’esprit de cette classe s’est produit il y a quelques jours, lors d’une sortie des CM2 à la piscine. Les enfants ont formé une chenille, les uns derrière les autres, ils avançaient au bord de la piscine, descendaient le toboggan, traversaient la pataugeoire et remontaient sur le bord de la piscine. Tous les élèves de CM2 sans exception étaient dans cette chenille. Et la chenille était menée par Ethan Fry… Ethan, s’il te plaît, lève-toi… je vous demande de l’applaudir".

** Ethan s’est levé, a brandi son poing fermé et a accepté les applaudissements sans aucune modestie. Son père était très fier. Ethan n’est pas le premier de sa classe. Il n’est pas délégué des élèves. Il n’est pas capitaine de l’équipe de football. Mais il sait comment organiser et mener une chenille.

– Ethan est également un artiste talentueux et passionné. Chaque année, son école primaire organise une compétition. Les élèves qui le désirent peuvent proposer un dessin. Puis tous les élèves de CM2 votent pour leur dessin préféré. L’école fait ensuite imprimer le dessin gagnant sur des T-shirts qui sont distribués à tous les élèves de l’école. Cette année, le dessin d’Ethan a gagné.

– Tout en réfléchissant à ces accomplissements de CM2 — la chenille et le dessin — le père d’Ethan s’est demandé si son fils n’était pas mieux préparé à l’Amérique du futur que certains de ses camarades de classe plus doués pour l’apprentissage scolaire. Si le niveau économique des Etats-Unis continue de chuter, que leur base industrielle continue de disparaître, que la valeur de leur devise continuer de s’user, — pendant que les fardeaux de la régulation et de l’imposition continuent de s’alourdir — les Etats-Unis du futur pourraient commencer à ressembler au Paraguay d’il y a quelques temps.

– En d’autres termes, les Etats-Unis pourraient devenir une sorte de république bananière. Dans un tel endroit, un talentueux meneur de chenilles pourrait bien être plus heureux qu’un diplômé de Harvard.

– Ne vous méprenez pas sur mes propos ; obtenir un Master à Harvard est une grande réussite (obtenir un Master, où que ce soit, est une grande réussite). Mais la valeur économique de cette réussite dépend largement du contexte dans lequel elle est accomplie. Obtenir un Master dans une économie capitaliste qui s’effondre, c’est comme inventer l’iPod dans un village amish. Dans l’absolu, la réussite est louable, mais dans le contexte, la réussite est parfois stupide.

– Une économie qui réprime l’activité d’entreprise et qui entrave la formation de capital de toutes les façons possibles est une économie qui n’a que faire d’un Master. Une telle économie n’a également que faire des artistes talentueux et des meneurs de chenilles. Mais même dans les républiques bananières, la minorité riche crée la demande, aussi petite soit-elle, pour des oeuvres d’art et/ou des chenilles divertissantes.

– Je suis fier d’Ethan… et inquiet du chemin que prend l’économie américaine.

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