La Chronique Agora

Les BRIC, d'accord… mais connaissez-vous la MENA ?

** Le changement, c’est comme une aiguille que l’on plante dans le ballon de la sagesse conventionnelle. Au moment précis où les gens commencent à se fixer sur un point de vue, quelqu’un y plante une aiguille.

Par exemple, il est devenu courant, quand on parle d’économies émergentes, de se concentrer sur les pays appelés BRIC — Brésil, Russie, Inde et Chine. Mais on oublie souvent de parler d’une autre région très importante.

– En réalité, cette région a même une économie plus importante que le Brésil, la Russie ou l’Inde. Et en termes de croissance, elle se développe plus vite que n’importe lequel de ces pays. En termes de population, elle compte plus d’habitants qu’aux Etats-Unis et presque autant qu’en Europe. Elle détient 60% des réserves de pétrole du monde et presque la moitié du gaz naturel mondial.

– Cet indice vous a certainement permis de deviner de quelle région il s’agit : le Moyen-Orient et l’Afrique du Nord, également appelés MENA [Middle East and North Africa] en anglais.

– Parmi ses économies les plus importantes on retrouve l’Arabie Saoudite et les Emirats Arabes Unis.

– Durant l’une de mes conférences à Vancouver, je me suis concentré sur la croissance de ces économies parce qu’elle touche à presque tout ce dont on a parlé récemment dans nos chroniques — les problèmes de pénurie d’eau et de nourriture, les besoins en infrastructures, l’énergie et la croissance du commerce hors Etats-Unis. Pour commencer, jetons un oeil à quelques faits fondamentaux qui illustrent cette idée.

– Le premier, c’est l’explosion de la croissance démographique. La MENA est l’une des régions du monde où la croissance démographique est la plus rapide. Au cours des 50 dernières années, la population de la MENA a été multipliée par quatre. Et la population est encore jeune, constituée majoritairement de personnes de moins de 25 ans. Pendant les 30 prochaines années, la population de la MENA va augmenter de plus de 60% pour atteindre près de 700 millions d’habitants.

– Le second, c’est que le commerce se développe bien dans cette région du monde. Pour illustrer ce point en prenant un angle différent, concentrons-nous sur la Syrie.

** Oui, la Syrie. Cet état a longtemps été considéré comme un pays paria avec lequel les Etats-Unis avaient des relations glaciales, mais tout ça est sur le point de changer. En juillet, les Etats-Unis ont fait une série de déclarations qui sont selon moi signes d’un changement important. Tout d’abord, les Etats-Unis vont envoyer un ambassadeur à Damas après une absence de quatre ans. Ensuite, les Etats-Unis vont réduire les interdictions d’export vers la Syrie.

– Mais plus que ce dégel politique, c’est l’histoire économique qui importe. La Syrie est un carrefour commercial entre l’Est et l’Ouest depuis que la Route de la Soie existe.

– L’ancienne cité d’Alep, par exemple, était une étape-clé le long de la Route de la Soie. Aujourd’hui encore, elle possède toujours le plus long marché couvert du Moyen-Orient — un souk de plus de 11 kilomètres de long. Vous pouvez y trouver des produits qui vous ramènent loin dans le passé — des savons fabriqués à partir d’huile d’olive ou des foulards et des keffiehs de toutes les couleurs. Prenez une allée et vous découvrirez des bijoux en or, des stands de pistaches fraîches, d’épices et de bien d’autres choses encore. Il y a aussi les ruelles adjacentes pleines de marchands ambulants et de moutons — des quantités incroyables de moutons — qui embaument le citron, l’ail et la menthe.

– Mais beaucoup de choses ont changé, comme l’écrit Ben Simpfendorfer dans son livre The New Silk Road ["La nouvelle Route de la Soie", ndlr.]. Aujourd’hui, pour la première fois en 22 ans, les banques syriennes peuvent fixer leurs propres taux d’intérêt sur les prêts et les dépôts. Aujourd’hui, vous pouvez changer des devises dans la rue sans que plane sur vous la menace d’une arrestation. Une Bourse a même été ouverte au mois de mars.

– Le plus gros investisseur du pays est une entreprise chinoise, Haier. Elle produit 50 000 machines à laver et 50 000 fours à micro-ondes chaque année en Syrie. Une autre entreprise chinoise, Sichuan Machinery Import & Export, a récemment terminé une centrale hydroélectrique de 180 millions de dollars. Il y a également d’énormes projets immobiliers en cours, dont une station balnéaire de 300 millions de dollars sur la partie syrienne de la côte méditerranéenne. Près de 40 000 nouveaux lits d’hôtel seront disponibles dans les trois prochaines années — en plus des 48 000 disponibles aujourd’hui. Le tourisme représente déjà 13% de l’économie.

– La Syrie suit le modèle chinois qui consiste à maintenir un ordre politique clos et à aménager des zones libres et autoriser le commerce.

– Bien évidemment, il ne s’agit pas d’un pays merveilleux où le soleil brille tous les jours pour tout le monde. Il y a aussi des problèmes en Syrie, et ailleurs, mais je trouve que les changements qui se sont produits jusqu’à maintenant sont absolument remarquables.

** D’une certaine façon, c’est un peu comme si l’histoire se répétait. Roger Owen a écrit un ouvrage de référence sur le Moyen-Orient et sa place dans l’économie. Dans son livre, il couvre la période allant de 1800 à 1914. Il s’agissait d’une période de croissance et de transformation. Au moins quelques-uns de ses aspects sont similaires à ce qu’on peut voir aujourd’hui. A l’époque, comme aujourd’hui, la région vivait une grande croissance démographique. La population du Moyen-Orient avait alors augmenté de 300%. Et le commerce se développait encore plus vite sous un régime économique plus libéral.

– Le Moyen-Orient bénéficiait en ce temps-là d’une demande en produits agricoles plus importante de la part des marchés européens (ce qui est quelque peu ironique quand on voit la situation actuelle). Aujourd’hui, la région bénéficie d’un commerce de son pétrole plus développé avec la Chine et le reste de l’Asie.

– Le plus intéressant concernant cette croissance, c’est qu’elle se produit dans une région du monde où il est très difficile de produire de la nourriture. L’eau est rare. La MENA consomme beaucoup plus d’eau qu’il n’en tombe sur ces terres. A certains endroits, la disparité est dramatique. Au Koweït, par exemple, la consommation d’eau annuelle représente 22 fois la quantité de pluie annuelle. Il n’est donc pas étonnant que toute la région importe de la nourriture.

– Le Moyen-Orient est la région du monde qui importe le plus de nourriture. L’Egypte, par exemple, importe plus de blé que la Chine. Les pays du CCG — ou Conseil de Coopération du Golfe — importeront 60% de leur nourriture d’ici 2010. Et cela risque d’augmenter encore. L’Arabie Saoudite envisage d’interrompre sa production de blé d’ici 2016 pour économiser de l’eau.

– Pour cette raison, les pays de la MENA prévoient d’investir dans des terres cultivables à l’étranger. Les Saoudiens ont mis la main sur des terres cultivables en Indonésie. Les Emirats Arabes Unis ont récupéré des terres cultivables au Soudan et au Pakistan. Comme l’a dit Eckart Woertz du Centre de Recherche du Golfe à Dubaï : "dans une crise mondiale de la nourriture, se procurer de quoi nourrir son pays peut devenir difficile, quel qu’en soit le prix, et quels que soient vos bénéfices sur le pétrole".

– L’essentiel à retenir de tout ça ? Il faut prendre en compte cet autre grand moteur de croissance — qui ne fait pas partie des BRIC –, et les opportunités d’investissement qu’il peut créer.

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