La Chronique Agora

Les affaires marchent à Wall Street

** Les affaires n’ont jamais été aussi bonnes à Wall Street ! Oh, bien sûr, les revenus ont chuté, des divisions entières se sont volatilisées et des dizaines de milliards de dollars de fortunes d’actionnaires ont disparu des bilans des principaux établissements de crédits. Malgré cela, les primes versées dans cinq des plus grandes sociétés de Wall Street ont bondi de 9% par rapport à l’an dernier — où un record avait déjà été établi.

– "Jamais, de toute l’histoire de Wall Street, tant de personnes ont pu gagner autant en si peu de temps", remarquait, il y a un an, un chroniqueur de Newsday. Ce journaliste faisait référence à la somme record de 36 milliards de dollars accordée en prime de fin d’année par Goldman Sachs, Morgan Stanley, Merrill Lynch, Lehman Brothers et Bear Stearns à leurs employés fin 2006.

– Ce chiffre record de l’année dernière semblait audacieux, mais pas si scandaleux. Par contraste, le millésime 2007 des primes made in Wall Street est à la fois audacieux ET scandaleux, mais également révoltant, répréhensible, au-delà de l’acceptable et littéralement avide.

– Cette année, les cinq plus grandes compagnies de courtage vont se partager une nouvelle somme record de 38 milliards de dollars de primes de fin d’année. Cette jolie somme serait simplement qualifiée d’audacieuse si les actionnaires pouvaient toucher leur part. Mais ils ne touchent rien. "Les actionnaires du secteur boursier vivent leur pire année depuis 2002", observe Bloomberg News. "Ils sont en train de perdre près de 74 milliards de dollars de capitaux".

– Imaginez le montant des primes si toutes les compagnies de Wall Street avaient tout perdu… ou du moins autant que l’éthique de Wall Street.

** En 2006, le marché des valeurs grimpait et Wall Street avait la grande forme. Les primes records de l’époque étaient donc — d’une certaine façon — légitimes. Mais en 2007, qu’est ce qui pourrait rationnellement justifier une telle distribution d’argent ?

– Une seule chose peut-être : parce qu’on peut le faire. Nous pourrions remarquer, par exemple, que le nombre de sanctions imposées par la SEC (Commission américaine des opérations de bourse) sur l’année fiscale 2007 est tombé au plus bas depuis 2002. La Commission n’a récolté que 1,6 milliards de dollars en amendes cette année, comparé à plus de trois milliards de dollars pour chacune des trois dernières années. Il n’existe peut-être pas de lien direct entre l’explosion des bonus de Wall Street et la diminution du nombre de sanctions données par la Commission, mais le lien symbolique est en revanche bien présent.

– Les professionnels de la finance sont déjà convaincus du principe selon lequel "ce qui est à vous est à eux" ; c’est inscrit dans leur ADN professionnel. Si la Commission prétend ne rien voir des procédés qui encouragent l’avarice institutionnalisée, qui d’autre pourra faire barrage, sinon quelques journalistes bougons et mal-léchés ? Les grosses primes ne nous énerveraient pas tant si elles fluctuaient. Mais ce n’est pas le cas. Le lien qui existait autrefois entre le mérite et le salaire a disparu depuis longtemps. Il y a seulement dix ans, la réserve pour la prime des employés de la finance à New York atteignait 90% du revenu net des compagnies de courtage du NYSE. Aujourd’hui le montant relatif de la prime a doublé, jusqu’à 180% du revenu net.

– Les primes de Wall Street sont sur la voie montante — c’est le moins qu’on puisse dire. Bloomberg remarque que "la dernière fois que les primes ont baissé, c’était en 2002, lorsque l’indice Standard & Poor 500 a chuté de 23% et qu’Enron Corp. et WorldCom Inc. ont fait faillite". Mais les hoquets financiers auxquels ont a assisté en 2002 semblent bien sage, en comparaison avec les dégâts spectaculaires qu’on observe aujourd’hui sur le marché du crédit. Des dizaines de milliards de dollars disparaissent des bilans des plus grandes institutions de crédit d’Amérique. Des dizaines de milliards de dollars de plus risquent de disparaître avant que le fiasco ne touche à sa fin. Dans un tel contexte, distribuer des dizaines de milliards de dollars à des employés déjà millionnaires semble imprudent, pour ne pas dire complètement insensé. Mais il ne faut pas perdre de vue que Wall Street, c’est encore et toujours de l’argent : en gagner… et en prendre.

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile