La Chronique Agora

Leçons de maternelle

La courbe des rendements est encore inversée, dans le sens où les investisseurs demandent mystérieusement qu’on leur verse des intérêts plus élevés pour leur détention de dette de court terme (où les risques sont plus faciles à prévoir), mais acceptent des taux d’intérêt plus bas pour détenir de la dette à long terme (où les risques sont impossibles à connaître avec une quelconque précision).

C’est extrêmement bizarre — et c’est la raison pour laquelle une inversion de la courbe des rendements est une Nouvelle Sacrément Importante (NSI). A cet égard, Bloomberg rapporte que les obligations gouvernementales européennes ont désormais une courbe de rendement inversée, pour la première fois depuis six ans. "On n’avait pas vu de ‘courbe de rendement inversée’ depuis août 2000, durant la précédente série d’augmentations de taux de la BCE", disent-ils.

Apparemment, ni le fait que la courbe des rendements ait une incroyable capacité de prédiction des récessions (et les très rares fois où elle se trompe, la performance de la bourse ne vaut pas la peine de s’énerver, dans la mesure où ce n’est généralement rien), ni le fait que la courbe se soit inversée pour la dernière fois juste avant le krach de 2000, n’ont eu un quelconque impact sur Martin Price, le directeur des portefeuilles à rendement fixe chez Sarasin Chiswell, qui déclare "certaines personnes parlent de récession, mais je n’en vois aucun signe". Hahahahaha ! Je ris !

Et il semblerait que Richard McGuire, de RBC Capital Markets adore lui aussi m’entendre rire — il ajoute donc obligeamment : "je ne pense pas que ce soit un signal récessionniste ; il est un peu simpliste de considérer les courbes de rendement comme un signe de récession". Hahahaha ! Merci pour le fou rire, Richard !

Pour ajouter à cette scène si conviviale, même Bloomberg semble fasciné par les qualités musicales de mon charmant rire ; ils citent — pour me distraire, de toute évidence — le plus grand gaffeur économiquement inepte de la planète, Alan Greenspan, qui déclare que l’inversion de la courbe de rendement en tant que signe avant-coureur de Quelque Chose de Très Très Moche (QCTTM) est une "idée fausse", et que "l’efficacité [de la courbe de rendement] en tant qu’outil de prévision a radicalement diminué".

Mais soyez attentif ! Ce qu’il admet, en fait, c’est que l’inversion de la courbe de rendement avait des tonnes et des tonnes d’efficacité. A l’époque, vous pouviez donc être parfaitement certain que lorsque la courbe de rendement s’inversait, des temps difficiles étaient à venir, parce que la Réserve fédérale avait encore raté, et l’inflation allait dévorer tout cru quelques personnes. Mais ces temps-ci, la courbe n’a pas autant, comme il le dit, "d’efficacité" dans la prévision des performances économiques.

J’étais agrippé au bord de mon siège — probablement comme vous — attendant avec anxiété d’entendre ce qu’Alan Greenspan pensait être la cause d’une courbe de rendement inversée ayant des effets si bénins. Et bla bla bla. Et lorsque j’ai enfin découvert ce qu’il voulait dire, mon mépris pour Alan Greenspan a grimpé de quelques degrés, dans la mesure où il déclare que c’est une "énigme", qui est le terme Greenspanien (lorsqu’on lit entre les lignes et qu’on interprète la manière dont ses lèvres se retroussent lorsqu’il déclare le mot "énigme") pour dire "je refuse de croire les tonnes de preuves déclarant que je suis le plus grand gaffeur économiquement inepte de la planète, comme cet Idiot d’Imbécile de Mogambo (IIM) le dit !"

Alan Greenspan continue son discours sur les rendements, les courbes et les énigmes : "me voilà désormais réduit à déclarer — ce qui est assez comique — que je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle la courbe des rendements est inversée, et pourquoi les courbes des rendements ne sont plus aussi significatives aujourd’hui. C’est probablement parce que les banques centrales, grâce à leurs propres devises fiduciaires, systèmes de réserve fractionnelles et autres fraudes déclarées, peuvent faire tout ce qu’elles veulent, y compris dire des choses absurdes et ridicules tout en gardant leur sérieux — par exemple qu’une inversion de la courbe des rendements est ‘une énigme’, alors que c’est de toute évidence bien plus que ça, et qu’en plus, c’est moche, moche, moche ! C’est même encore plus moche que l’envisage Cet Idiot de Mogambo (CIM). Et moi, Alan Greenspan, je ris avec cruauté et attends avec impatience le sublime plaisir d’entendre vos cris d’insupportable douleur et vos gémissements d’angoisse tandis que l’inflation vous dévore vivants, puisque je suis Belzébuth Réincarné (BR) !"

Bon, d’accord, je l’admets, je me suis laissé emporter sur la fin, et j’ai inventé toute la dernière partie et le reste aussi, mais je pense que vous voyez l’idée. Une énigme ! Ha !

Larry Edelson, de "Money & Markets", ne se soucie apparemment pas de moi ni de mes idées, et, avec une concision à couper le souffle, déclare : "[en une semaine], le prix du T-bond de référence à 30 ans a chuté de deux points". La conclusion, dit-il, est que nous pouvons "nous attendre à un désastre sur le marché obligataire des bons du Trésor US".

Troy Schwensen, de la lettre d’information "The Global Speculator", a examiné le prix de l’or en dollars australiens par rapport à l’inflation et aux taux d’intérêt au cours des 24 années entre 1982 et 2006. "Nous pouvons constater que durant cette période, où des taux d’intérêt élevés ont finalement apaisé l’inflation ‘centrale’, le prix réel de l’or a chuté sous sa valeur théorique, les gens reprenant confiance dans le système financier, et les taux d’intérêt ont fini par décliner. Cela a ensuite nourri des gains sans précédent dans les actifs financiers".

C’est la suite qui attire notre attention, lorsqu’il déclare : "nous pouvons voir maintenant, en 2006, qu’une déconnexion massive existe à nouveau entre les prix réels et les prix théoriques", et que la différence, cette fois-ci, c’est que "le Réel ne représente que 33% du Théorique".

Donc, en essayant de comprendre ce qui se passe, on dirait qu’à un moment ou à un autre, le prix élevé de l’or a chuté, pour rejoindre sa valeur théorique, avant de continuer à filer à la baisse. Et c’est là que nous en sommes aujourd’hui. Le prix réel est désormais 300% inférieur à la valeur théorique !

Mes Capteurs d’Opportunités d’Investissement Mogambo (COIM), ultra-sensibles, sont en mode alerte, et une voix intérieure me dit : "hmmm ! Ce truc de retour à la moyenne m’intrigue, pour une raison ou pour une autre ! Mais pourquoi ? Pourquoi ? Pourquoi ?"

Etant un mec plutôt idiot, j’ai complètement raté la conclusion évidente qui veut que l’or revienne à la moyenne en grimpant jusqu’à ce que son cours atteigne sa valeur théorique. Heureusement, une classe de maternelle était en classe verte dans le Quartier Général Galactique Mogambo (QGGM), et Larry, l’un de ces mioches qui se prennent pour de petits malins, m’a vu transpirer sur cette énigme, et m’a dit : "Hé ! Stupide Idiot Mogambo (SIM) ! Ca veut dire que l’or grimpera de 300% puis poursuivra sa hausse, crétin !"

Mon immense gratitude devant cette information si précieuse est aussitôt contrebalancée par mon irritation suprême d’avoir été ainsi interpellé si impoliment par un minus de cinq ans que j’aurais facilement pu battre si je l’avais voulu (alors fais gaffe, petit). Maîtrisant ma rage, j’ai fini par le laisser partir en essayant de lui accrocher un signe "bottez-moi le train" dans le dos, mais il m’a vu et est parti en courant.

Un grand sourire s’est peint sur mon visage, et j’allais me lancer à la poursuite du petit Larry, quand son institutrice a imploré du regard M. Schwensen, de la lettre d’information "The Global Speculator", lui demandant de l’aide pour contrôler ce qui menaçait de devenir un autre Malheureux Incident Mogambo (MIM). M. Schwensen a sauvé la situation grâce à une phrase lapidaire : "une hausse des taux d’intérêt et des niveaux de dette élevés ne sont de toute évidence pas une bonne combinaison".

Immédiatement aiguillonné par ses mots, j’ai changé de cap pour courir vers la porte afin d’aller chercher de l’argent — probablement en mendiant auprès de parfaits étrangers, puisque mes "amis" sont tous fauchés (c’est du moins ce qu’ils disent, les petits menteurs…) — une somme que j’utiliserais ensuite pour acheter plus d’or. Mais tandis que je quittais les lieux, je me suis arrêté net en l’entendant dire que je faisais peut-être une erreur en ne mendiant pas de sous avec lesquels acheter du platine !

"Hmm !", ai-je aussitôt pensé, "parlez-moi de ça plus en détails !" Et c’est bien ce qu’ils font. Il semblerait que John Ross Crooks, de "Money & Markets", ait écrit : "les secteurs de l’automobile et de la joaillerie représentent environ 80% de la demande annuelle de platine. Ces jours-ci, environ la moitié du platine mondial va à la joaillerie. Les mines d’Afrique du Sud et de Russie représentent 90% du platine mondial. Dans l’ensemble, on extrait environ cinq millions d’onces de ce métal annuellement. Au cas où vous vous poseriez la question, ce n’est rien comparé à la production annuelle d’or et d’argent, qui est de 82 millions et 547 millions d’onces respectivement".

Je lève le doigt, l’interrompant pour demander : "bon, tout ça est très intéressant, mon gars, mais à quoi ça sert pour quelqu’un qui veut juste gagner plein plein d’argent aussi rapidement que possible pour pouvoir décamper de cette ville stupide, loin de ces gens stupides ?"

Apparemment, ce M. Crooks mène une vie très retirée, et j’imagine qu’il n’a encore jamais vu de sociopathe dévoré par l’avidité pure et simple, mais — de toute évidence dégoûté — il répond néanmoins poliment : "cette année, les stocks de platine devraient être inférieurs à la demande pour la huitième fois d’affilée" — ce qui présuppose que je sache comment fonctionne la dynamique offre/demande.

Et s’il y a bien un truc que je sais, c’est ça !

 

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