La Chronique Agora

L'économie, un homme qui marche

▪ Nous avons reçu il y a quelques jours un courrier tout à fait intéressant de Pascal B., qui réagissait au point de vue de Bill sur l’économie allemande.

"Ainsi, les performances de l’économie allemande s’expliquent par des efforts pour être plus compétitifs… que ses concurrentes. Autrement dit, ce que vous semblez présenter comme la bonne formule pour remettre l’économie en marche aboutirait si cela été mis en oeuvre à des efforts de compétitivités analogues des économies rivales… qui ainsi verraient leurs performances s’améliorer. Oui mais, si toutes les économies se lancent dans ce genre d’ajustement compétitif en environnement concurrentiel, les gains réalisés par les uns s’annihilent mutuellement puisque tout le monde est censé gagner en compétitivité ! Donc pour faire de nouveau la différence, il va falloir redoubler d’efforts (comprendre : accroître les sacrifices demandés à la population active en comprimant les salaires et en réduisant les diverses prestations sociales qui alourdissent les charges). Dans ce schéma déflationniste, il est toujours possible de progresser aussi longtemps que le zéro absolu socialement supportable n’est pas atteint ! On voit bien qu’il s’agit là aussi d’une de ces bulles (compétitives) que vous dénoncez par ailleurs"…

Il est vrai que les performances de l’Allemagne font couler beaucoup d’encre — notamment au sein des Publications Agora. Isabelle Mouilleseaux, notamment, abordait le sujet jeudi dans son Edito Matières Premières & Devises  :

"L’essentiel de la création de richesse [allemande] vient des exportations (plus de 50% du PIB)", nous expliquait-elle. "Le Made in Germany fait vendre, encore et toujours… Les Allemands ont l’exportation dans le sang, croyez-moi. Et le repli de l’euro contre le dollar depuis le printemps a permis au pays de regagner des parts de marchés en renforçant sa compétitivité. Les exportations s’envolent de 29% sur un an !"

Isabelle a d’ailleurs une autre explication quant au succès de l’Allemagne — une explication qui tient en deux mots : pour la découvrir, il suffit de lire la suite de son article.

▪ Mais revenons-en à notre lecteur, et à son idée de bulle compétitive — que je trouve tout à fait pertinente… et pas forcément en contradiction avec le point de vue de Bill.

Parce qu’après tout, ce sont toutes les bulles qui sont néfastes, quelles qu’elles soient. Immobilier, dot.com, obligations du Trésor US, concurrence, bulbes de tulipes… Dès l’instant où le marché cesse de s’appuyer sur l’économie telle qu’elle devrait être, dès qu’il accélère et s’exacerbe jusqu’à n’avoir plus en tête que le profit — et même pas le profit (qui est après tout le but principal de toute entreprise ou économie fonctionnant correctement, et qui peut ainsi fournir aux gens qu’elle emploie un moyen de vivre), mais l’avidité pure… Dès cet instant, on entre dans une bulle.

On quitte un fonctionnement normal (recherche de compétitivité, réduction des coûts, améliorations techniques, etc.) pour entrer dans une logique de "zéro absolu socialement supportable", pour reprendre le terme employé par notre lecteur.

Je pense qu’une économie fonctionne comme un homme qui marche. Après tout, la marche n’est jamais qu’une succession de déséquilibres — le corps s’incline vers l’avant, on se met en position précaire, on penche… et puis le pied resté en arrière prend le relais, permettant ainsi d’avancer — jusqu’au prochain pas, et au prochain déséquilibre. Essayez d’accélérer le mouvement, et vous vous retrouvez à courir… ce qui est parfait, jusqu’à ce que vous accélériez encore plus… et encore plus… et encore plus… l’essoufflement arrive, puis l’épuisement du système, les palpitations cardiaques, les crampes, le point de côté (sans parler de la possibilité de s’étaler purement et simplement au moindre obstacle se présentant sur votre chemin).

Il en va de même, à mon avis, pour les économies. Marcher — aller de petit déséquilibre en petit déséquilibre, c’est normal. Courir, très bien aussi… selon l’état général de santé, bien entendu. C’est ainsi qu’on avance. Un secteur connaît une ascension… puis atteint son sommet… et décline, laissant la place à un autre. Une puissance domine le monde pendant une période, connaît son apogée… avant de céder devant un autre pays aux dents longues.

Mais si l’on pousse ces mouvements à l’extrême, si l’on cherche à les contrarier… c’est l’essoufflement, la bulle — et la chute.

J’ajouterais que dans de nombreux cas, un contre-mouvement se produit. Pas forcément plaisant, ni sain — mais avant d’en arriver au zéro absolu, il se passe des choses. Manifestations, révolutions, renversement de l’ordre établi…

Et les réactions peuvent aussi être plus subtiles. Regardez ce qui se passe en ce moment : tandis qu’en Occident la pression à la baisse s’accentue sur les salaires et les acquis sociaux, en Chine et dans les pays émergents, c’est le contraire qui se produit. Les salaires grimpent, les employés réclament de meilleures conditions de travail et de vie, etc.

Ma parole, on dirait les symptômes d’une… Grande Correction, non ?

Meilleures salutations,

Françoise Garteiser

La Chronique Agora

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile