La Chronique Agora

L'économie en tant que machine

** Nous sommes peut-être des cyniques, des moqueurs et des sceptiques, à la Chronique Agora, mais nous ne sommes pas des nihilistes. Nous avons des convictions. Et des sentiments, aussi. Si si, c’est vrai.

* Voici notre point de vue : les marchés financiers font partie de la vie publique. En conséquent, ils suivent les règles de tous les spectacles publics. C’est-à-dire qu’ils sont en partie rationnels et raisonnables… en partie incompréhensibles… et en partie purement sots. On ne sait jamais à quelle partie on a affaire.

* Mais les marchés sont également moraux, et non mécaniques. En d’autres termes, ils suivent des règles morales, comme par exemple… Tu achèteras au plus bas et revendras au plus haut… Tu épargneras ton argent… Tu ne spéculeras point si tu ne sais pas exactement ce que tu fais.

* Passez outre à ces commandements… et vous voilà en chemin pour l’enfer monétaire. Inutile de bidouiller la machine. On ne peut pas la "réparer". C’est comme ça que ça fonctionne. Les péchés financiers sont punis, d’une manière ou d’une autre.

* Les leçons morales, en revanche — par opposition à la connaissance mécanique — sont cycliques, plutôt que cumulatives. Une génération apprend. La suivante oublie. Voilà pourquoi les principales tendances boursières suivent en général de grands cycles très longs — qui durent approximativement une génération. En 1929, par exemple, les actions ont atteint un sommet générationnel. Elles ne se sont pas remises avant 1954 — 25 ans plus tard. Elles ont touché un nouveau plus haut en 1966… puis ont décliné jusqu’en 1982. Elles n’ont pas atteint de nouveau pic majeur avant 2000 – 34 années plus tard.

* Nous savons tous ce qui s’est passé depuis. Le marché a essayé de corriger en 2001-2002, mais les autorités ne l’ont pas laissé faire. Elles ont gonflé la plus grosse bulle de crédit et de spéculation de toute l’histoire…

* … une bulle qui vient d’exploser.

* Et maintenant ? Eh bien, on peut s’attendre à une longue période de regrets, de réorganisation et de repentir. Il faut du temps pour réparer les erreurs. Il faut du temps pour apprendre. Il faut du temps pour corriger les fautes d’un marché haussier de 25 ans.

* Si le véritable sommet du cycle de marché haussier s’est produit en 2000, nous verrons probablement le prochain sommet aux environs de 2025. En attendant, il nous faut traverser une vallée bien sombre.

** Mais attendez… il y a plus.

* Parce qu’alors que l’économie reconnaît ses erreurs à contrecoeur… entame une cure de désintoxication… fait amende honorable… reconstruit les bilans… et promet de ne plus jamais faire de telles stupidités…

* … nos dirigeants font tout ce qu’ils peuvent pour entraver le processus d’apprentissage.

* "Voici 800 milliards de dollars" — telle est la dernière tentation. "Sortez, prenez du bon temps".

* "Sauvetage, deuxième partie", décrivait l’International Herald Tribune. Le plan en lui-même a deux caractéristiques. Dans la première, les autorités dépenseront 200 milliards de dollars pour racheter des prêts faits aux consommateurs et aux petites entreprises. Dans la seconde, 600 milliards supplémentaires seront offerts au secteur des prêts hypothécaires.

* Parallèlement, les Européens ne veulent pas prendre de retard :

* "Mercredi dernier, la Commission européenne a poussé les gouvernement de l’Union européenne à lutter ensemble contre le ralentissement économique avec 200 milliards d’euros de dépenses et de baisses d’impôts pour stimuler la croissance ainsi que la confiance des consommateurs et des entreprises".

* "S’il est entièrement mis en place, ce ‘Plan de reprise économique européenne’ sur deux ans verrait les 27 gouvernements de l’Union dépenser 1,5% du produit intérieur brut du bloc pour freiner le ralentissement qui a déjà fait basculer certains pays européens dans la récession".

* Mais ne nous laissons pas distraire par les détails. Les marchés sont en train de donner une bonne leçon aux investisseurs. Les autorités n’apprécient pas. Elles veulent que les gens pensent que l’économie est un système mécanique… qu’il leur suffit de trouver les bons boulons à visser… et les bons leviers à tirer.

* Puisque la "machine" ralentit visiblement, ces benêts pensent qu’ils peuvent la redémarrer. Il suffit d’ajouter du carburant !

* Bien entendu, comme on a pu le constater en 2001-2007, les autorités peuvent parfaitement influer sur l’économie. Leur théorie de "l’économie en tant que machine" semble souvent fonctionner. En fait, quasiment tout le monde pense que ça va marcher. On se dispute juste sur la vis à resserrer… et qui actionnera le tournevis.

* Selon les Keynésiens, on doit tourner le bouton marqué "politique budgétaire". Lorsque les dépenses privées ralentissent, il suffit de les remplacer par des dépenses gouvernementales. Simple, non ? Mais lorsque les autorités ont actionné ce bouton — un peu trop fort, il faut l’admettre — dans les années 60 et 70, cela n’a pas semblé fonctionner. Au lieu de cela, il y a eu de la stagflation.

* Milton Friedman a donc désigné le levier marqué "politique monétaire". "Tirez donc là-dessus", a-t-il dit. Grâce à ça, l’économie aura toujours la bonne quantité de crédit au bon prix. Margaret Thatcher et Ronald Reagan ont donc tous deux tiré sur le levier de la politique monétaire. Alan Greenspan ne jurait que par lui. Il l’a agrippé si fort durant la récession de 2001-2002 que le manche a failli casser. Milton Friedman était encore en vie à l’époque, et approuvait en fait l’oeuvre de Greenspan, déclarant qu’il avait "épargné à l’économie une récession pire encore", ou quelque chose de ce genre.

* A présent, la machine est à nouveau en panne. Elle fonctionne à l’envers ; le troisième trimestre montrait un déclin absolu de la production américaine — et ça s’accélère dans la mauvaise direction ! A présent, les autorités, terrifiées, "font feu de tout bois". Ce qui signifie qu’elles utilisent à la fois Keynes et Friedman, et tous les autres outils sur lesquels elles mettent la main.

* Mais le véritable problème est le suivant : la théorie de "l’économie en tant que machine" est bien trop simple. "Aucune théorie", déclarait le philosophe Godel, "n’est jamais complète". Dans le domaine de la science, chacune d’entre elles est une marche, une étape vers une théorie plus aboutie et plus complète. Même celles qui vous emmènent dans la mauvaise direction sont utiles — du moins en science. Elles sont éliminées… et rejetées… pour qu’on puisse prendre un autre chemin.

* Dans l’économie, aucune théorie n’est jamais rejetée. Elles sont simplement recyclées à mesure que les conditions de marché changent. "Les marchés font l’opinion", disent les vétérans. Durant un boom, tout le monde veut les théories de l’économie de marché. "Laissez faire le marché… il se débrouillera tout seul", disent-ils. Mais durant un krach, un autre cri se fait entendre : "à l’aide !"

* Pour l’instant, la correction de M. le Marché domine encore l’économie. D’une manière ou d’une autre, elle durera encore de nombreuses années. Cependant, les autorités resserrent les boulons et actionnent les leviers. Keynes est à la mode… pour l’instant. Mais Friedman est encore là. A eux tous, ils devraient pouvoir commettre des dommages spectaculaires.

* Il reste beaucoup de place pour des surprises… et plus de sottises de la part des autorités. A un moment ou à un autre, nous supposons qu’elles cèderont à l’appel de la planche à billets. Selon certains signes, cela a déjà été le cas. C’est à ce moment-là qu’on verra vraiment du mouvement.

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