La Chronique Agora

Le temps d'investir dans le secteur pétrolier est-il venu ?

** Comme un boxeur qui aurait la mauvaise habitude de parfois baisser sa garde, l’Amérique a finalement reçu une bonne droite au visage. L’économie est tombée à la renverse, et les marchés financiers se penchent maintenant sur elle pour amorcer le compte à rebours de 10 secondes. Mais l’économie n’est pas encore K.O. Elle va se relever péniblement. Simplement, si elle veut rester debout, elle va devoir employer de nouvelles tactiques. L’ancienne tactique peu rigoureuse d’une consommation financée par l’emprunt ne fonctionnera plus.

La transition la plus importante opérée par l’économie américaine au cours des dernières décades a été de passer de la fabrication de choses tangibles à la fabrication d’emprunts. Les Américains ont abandonné les industries de manufacture, qui avaient pourtant propulsé l’économie, pour se consacrer à de simples activités financières. Ils sont devenus des experts de "l’origami financier." Les raisons précises de ce changement seront à débattre par les historiens. Mais à un moment au cours des années 90, le pourcentage de profits générés par les sociétés de la finance a dépassé celui de l’industrie.

Et le fossé n’a fait que se creuser depuis. Avant que la récente crise du crédit ne frappe, les profits du secteur financier représentaient près de la moitié de l’ensemble des profits des sociétés américaines. Seulement 10% provenaient du secteur industriel ! Pas plus loin qu’au cours des années 60, le ratio était inversé.

La dépendance excessive des Etats-Unis aux gadgets financiers, plutôt qu’au commerce traditionnel, a finalement exposé l’économie à un sérieux choc. Et ce choc est arrivé. Mais avec toutes les crises viennent des opportunités. Dans le cas de la crise actuelle, les investisseurs vont revenir à des choses plus simples et plus solides (du moins jusqu’à ce que la leçon soit oubliée).

Dans son nouveau livre Bad Money, Kevin Phillips explique qu’à un degré moindre, nous avons eu affaire à une crise identique dans les années 70. L’endettement lié aux emprunts immobiliers a doublé entre 1960 et 1970. Le marché s’est alors effondré, perdant 36% de sa valeur entre 1969 et 1970. Les fonds de couverture ont explosé. Les 28 plus importants fonds ont perdu 70% de leurs actifs, et près de 100 sociétés financières et de courtage ont disparu – soit par rachat, soit par faillite pure et simple. Cela ressemble beaucoup à ce qu’il se passe aujourd’hui, n’est-ce pas ?

** Dans les années 70, ont aussi eu lieu deux chocs pétroliers majeurs. Le premier entre 1973 et 1974, et le second entre 1979 et 1980. Pour l’instant, nous avons déjà essuyé un pic des prix du pétrole, si un second a lieu au cours des prochaines années, il pourrait faire passer les prix au-dessus de la barre des 200 $ le baril.

C’est parce que l’industrie globale du pétrole n’a pas réinvestit très activement pour développer de nouvelles productions. La négligence des Etats-Unis à "fabriquer des choses" est ici flagrante. Phillips explique que "les infrastructures pétrolières hors d’âge ne sont plus de les fantômes d’elles-mêmes. Les principales compagnies pétrolières sont de riches mais vieillissants mastodontes, sous pression pour maintenir leurs niveaux de production malgré de larges dépenses en exploration, et elles ne jouissent plus des accès aux champs de pétrole étrangers qu’elles contrôlaient auparavant."

Exxon Mobil, auparavant la plus grande compagnie pétrolière au monde, se place maintenant à la 25ème place pour le contrôle des réserves de pétrole. Aux 10 premières places se trouvent toutes les compagnies contrôlées par les Etats-Unis. Les 13 plus grandes compagnies nationales contrôlent les 4/5èmes des réserves pétrolières mondiales identifiées. Et elles ne les partagent pas facilement.

Nous ne sommes pas les seuls en compétition pour ces réserves pétrolières. La Chine est devenue un importateur net en 1993, et son appétit grandit chaque année. Elle est maintenant le deuxième plus grand consommateur de pétrole, juste derrière les Etats-Unis. La Chine importe plus de pétrole d’Arabie Saoudite que les Etats-Unis. Ce partenariat n’est pas surprenant compte tenu de la dynamique de la nouvelle route de la soie.

** La "nouvelle route de la soie" est un terme que j’utilise pour décrire l’explosion des échanges entre les pays du Moyen-Orient et la Chine. En matière d’énergie, beaucoup de contrats sont signés sur la nouvelle route de la soie. L’Arabie Saoudite et la Chine s’associent régulièrement comme de tout nouveaux amis. Sinopec, une compagnie pétrolière chinoise, a signé un accord pour explorer le quart du désert saoudien à la recherche de pétrole et de gaz. Saudi Aramco, la compagnie pétrolière géante, a investi 750 millions dans d’énormes installations en Chine.

La "nouvelle route birmane" – d’après la fameuse route traversant la Birmanie qui a reliée la Chine à l’Inde au cours de la Seconde Guerre mondiale – met en évidence l’explosion des échanges entre l’Inde et la Chine. Comme Phillips l’écrit, "la Chine a déjà construit de son côté une autoroute à six voies de la Kunming chinoise à l’état indien d’Assam… Les démographies de l’entente sino-indienne la rendront vraiment capitale." Oui, c’est ce que je dirais de ce qui renforce les liens entre deux milliards de gens.

En bref, voici où nous en sommes : l’économie américaine fait face à une crise dans son secteur le plus important – la finance. Le fait qu’elle ait négligé la fabrication de choses tangibles cause finalement des ravages, ce qui est particulièrement évident dans le secteur du gaz et du pétrole, mais aussi dans l’ensemble des infrastructures du spectre. Et le monde est moins tourné vers les Etats-Unis qu’il ne l’a été pendant longtemps. On le remarque aussi dans le secteur du gaz et du pétrole avec la rafale d’accords passés le long de la nouvelle route de la soie (et de son segment capital, la nouvelle route birmane.)

La distance entre la finance et l’industrie a atteint sa limite extrême. Il est temps de raccrocher les morceaux. Le temps est arrivé d’investir dans des compagnies qui fabriquent des choses utiles. Beaucoup de ces compagnies opèrent dans le secteur des industries pétrolières, et beaucoup sont extrêmement bon marché en ce moment. Je prévois qu’elles ne le resteront pas très longtemps.

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