La Chronique Agora

Le "syndrome hollandais" frapperait-il a nouveau ? (2)

Par Emmanuel Gentilhomme (*)

Les quatre symptômes du "mal hollandais"
Première étape
La production gazière néerlandaise dépasse largement les besoins nationaux. La plupart du gaz est donc vendu à des clients étrangers qui doivent acheter des florins pour s’acquitter des factures. Vous vous en doutez, les volumes de gaz sont si importants que ces opérations pèsent lourdement sur le marché des changes. Propulsé par une demande aussi soudaine que persistante, le florin grimpe rapidement contre les autres devises. L’industrie néerlandaise d’exportation voit immédiatement sa compétitivité internationale se détériorer.

Deuxième épisode
Il se tient à l’intérieur des frontières : le pouvoir d’achat des Hollandais s’envole en termes relatifs, grâce à la nouvelle parité du florin. Les importations explosent et la balance commerciale, déjà mal engagée, vire au rouge. Du coup, les prix commencent à présenter de sérieux signes d’inflation. Et comme, pour les Hollandais, il devient plus intéressant d’acheter un téléviseur Thomson ou Telefunken qu’un téléviseur Philips, les entreprises locales subissent un second coup de bambou.

Troisième épisode
Aux Pays-Bas, tout le monde veut travailler dans le gaz, le secteur en pleine croissance par excellence. Comme la productivité y augmente rapidement, les salaires aussi. Face à une désaffection de la main d’oeuvre, le secteur manufacturier réagit en augmentant lui aussi les rémunérations pour retenir ses salariés. Et l’inflation se porte de mieux en mieux.

Bouquet final
Comme l’énergie est devenue le secteur d’activité le plus rentable des Pays-Bas, il concentre les investissements productifs, achevant ainsi de déglinguer l’économie nationale. Inflation forte, tissu productif déstructuré, chômage en hausse, moral en baisse, la Hollande est dans un triste état à la fin des années 70.

Et voilà comment est né The Dutch Disease
En novembre 1977, l’hebdomadaire britannique The Economist titre l’un de ses articles The Dutch Disease (le mal hollandais), une expression qui fera florès lorsque le mal en question sera théorisé par les économistes américains Corden et Neary, en 1982.

L’économie néerlandaise a tant souffert de sa soudaine "richesse" que son cas est devenu emblématique. Attention : nous ne disons pas que l’arrivée de rentes conduit systématiquement au désastre. Si le Royaume-Uni des années 80 présente des symptômes similaires, la Norvège constitue un bon contre-exemple. Ceci dit, la réorientation du capital et du travail d’un secteur d’activité à un autre est forcément douloureuse surtout que, à l’époque, ni les entreprises, ni le marché du travail néerlandais n’étaient suffisamment souples pour absorber un tel choc.

Circonstances aggravantes
Facteur aggravant, l’Etat hollandais n’a pas su réagir face à ce changement structurel. Les réserves de changes gazières de la Hollande ont été redistribuées sous forme des dépenses publiques les plus élevées de l’Ouest, dont beaucoup de baisses d’impôts. La meilleure manière de soutenir l’inflation sans envisager "l’après-gaz"…

Un syndrome plus que jamais d’actualité !
Et c’est toute l’actualité du phénomène, cher lecteur ! On peut même parler de suractualité, vu les cours historiques atteints aujourd’hui par les matières premières. Avec tout cet argent, les états rentiers peuvent faire bien des choses, à commencer par de la redistribution pure et simple.

Politiquement, la tentation est forte, mais nous avons vu que ce n’est pas franchement l’idée du siècle. D’autant que cette manne financière découle de ressources qui se tariront un jour.

Ils peuvent faire bien mieux, comme préparer l’avenir avec des investissements publics "structurants" : éducation, santé, infrastructures, sans oublier l’effort de recherche, ce puissant soutien pour une industrie pénalisée par les changes.

Suite et fin dès demain…

Meilleures salutations,

Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora

(*) Emmanuel Gentilhomme est journaliste et rédacteur financier. Il a collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macroéconomie et à tous les domaines de l’investissement.

Il participe régulièrement à l‘Edito Matières Premières.

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