La Chronique Agora

Le progrès, une notion surfaite

** "Rien de ce que la technologie promet ne fonctionne comme prévu", nous disait un participant au dîner d’hier soir. "Où en est-on avec les ‘bureaux sans papier’ ? Toute l’idée de progrès est une fraude. La vie ne fonctionne pas vraiment comme ça. Si l’on en croit le laïcisme, chaque pas est un pas en avant. Mais ce n’est pas vrai ; la moitié du temps, on recule. Chaque génération et chaque personne doit trouver son chemin — à nouveau".

* Son chemin vers le paradis, peut-être. Mais on ne peut pas nier le progrès technologique. Toutes les nouvelles générations se tiennent sur les épaules de celles qui les ont précédées.

* Nous avons pensé aux avions. Voilà une invention qui a fait une différence. Et quel succès ! A peine une génération après le premier vol habité, à Kitty Hawk, en Caroline du Nord, que le ciel de Londres était plein d’avions — qui larguaient des bombes. Voilà ce qu’on appelle du progrès…

* Et internet, alors ? C’était censé nous permettre de rester à la maison pour travailler. Mais aujourd’hui, nous utilisons internet pour planifier nos voyages et acheter nos billets d’avion.

* Hier, après de longues conversations par e-mail, votre correspondant a pris l’avion et est retourné en Irlande. Nous avons quitté Londres au matin. Nous y sommes revenu le soir même. En avion, bien entendu — partout où nous allons, nous laissons une empreinte géologique de la taille du Sasquatch.

* Plus l’être humain en a, plus il en veut. S’il peut communiquer par internet… ou par avion… il fera les deux. La révolution internet était supposée réduire la demande de carburants fossiles. L’homme avait enfin conquis la distance. Plus besoin de faire la navette au bureau… ou de se rendre de l’autre côté du globe. Vous pouviez tenir votre réunion, et faire votre travail, sans jamais quitter votre domicile.

* Mais que s’est-il passé ? A présent, les gens travaillent depuis la maison… et le bureau ! Ils voyagent encore. Ils veulent tout — des maisons plus grandes, plus de choses, plus de vacances… et ils veulent aussi travailler plus dur.

* Travailler… travailler… travailler… consommer… consommer… consommer…

** Mais aux Etats-Unis, quelque chose a mal tourné avec ce modèle. Au cours du dernier quart de siècle, les gens ont travaillé plus dur que jamais. Qu’est-ce que cela leur a rapporté ? Rien. Personne ne l’a réalisé, mais on a atteint une ère de déclin de l’utilité marginale du travail.

* Oui, cher lecteur… les lois et principes fondamentaux de l’économie ont des applications s’étendant au-delà de ce que leurs découvreurs avaient prévu. Nous savons que le principe s’applique à l’investissement ; on ne peut consacrer qu’une certaine somme d’argent à un projet par exemple — au-delà, le rendement baisse. Imaginez que vous construisez un hôtel, par exemple. Vous construisez quelques chambres ; peut-être aurez-vous un taux d’occupation de 100%. Vous ajoutez donc de plus en plus de pièces. Mais le nombre de gens ayant besoin de chambres d’hôtels est limité… si bien que le taux d’occupation — et votre rendement — chute. "Déclin de l’utilité marginale", comme l’appellent les économistes.

* Eh bien, personne n’a jamais pensé que cette règle s’appliquait à la sueur du front d’une nation entière. Mais depuis les années 70, le citoyen américain moyen travaille de plus en plus d’heures… tout en obtenant moins de bénéfices réels. Si on les torture assez, on peut faire dire n’importe quoi aux chiffres. De toute façon, ils mentent comme ils respirent ; ne leur faites pas confiance. Mais à l’occasion, ils vous disent des choses intéressantes. Actuellement, ils montrent que le rendement du travail a baissé.

* Ce petit fait est aussi bienvenu qu’un homme atteint de la grippe dans un avion bondé. Les gens tournent le dos. Que peuvent-ils faire d’autre ?

* Selon la théorie, le capitalisme moderne — en particulier dans sa version américaine dynamique… c’est-à-dire servi avec abondance de gadgets et de nouvelles technologies — est censé nous rendre riches. Les gens en sont si intimement persuadés qu’ils ignorent les preuves figurant dans leurs propres comptes. Ils y croient si fort qu’ils élisent des candidats qui leur en donnent plus. Ils y croient si fort, en fait, qu’ils dépensent leur future richesse avant même de l’avoir gagnée. Ils sont victimes de leurs théories, cher lecteur.

* Le capitalisme — du moins tel que nous le définissons — est simplement un système dans lequel on permet aux individus de posséder des choses et de décider entre eux ce qu’ils en font. Cela n’apporte pas nécessairement ce que les gens veulent. Mais en général, ils finissent par avoir ce qu’ils méritent.

* Et c’est bien là le problème, évidemment. Les classes moyennes ne vont pas aimer ce qu’elles méritent.

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