La Chronique Agora

Le point d'interrogation des obligations américaines

▪ Dans une phrase célèbre, Warren Buffett dit que les gens ne gagnent pas d’argent en pariant contre l’économie américaine. Il y a deux ans environ, nous avons décidé de tenter notre chance malgré tout.

"Nous vendons les Etats-Unis à découvert", avons-nous annoncé, bien en sécurité dans nos bureaux anglais. "Vendez leurs actions. Vendez leurs obligations. Vendez leur devise. Vendez leur immobilier. Vendez leurs dettes. Vendez tout".

Nous voyions un empire surendetté, prêt à craquer. Mais nous nous permettions aussi d’être paresseux. Plutôt que de disséquer la structure de la plus grande économie au monde, nous avons décidé de vendre tout l’ensemble.

L’enfer s’est déchaîné en septembre 2008. Depuis, les actions américaines ont baissé d’environ un tiers. L’immobilier également. Le chômage a doublé. Les prix à la consommation baissent à leur rythme le plus rapide depuis les années 50. Et l’économie connaît sa pire récession depuis la Seconde Guerre mondiale.

Dans le même temps, la richesse per capita des Américains est passée à 172 000 $ en septembre, contre 212 000 $ deux ans auparavant. Et un rapport des Nations Unies montre que la qualité de vie aux Etats-Unis a chuté elle aussi… De cinquième sur la liste en 2000, elle n’était plus que 13ème en 2007. Elle est sans doute désormais sous la 20ème place.

Buffett a perdu des milliards en pariant sur l’économie américaine tandis que nos positions aurifères ont joliment grimpé ; l’or était l’actif majeur le plus profitable de ces 10 dernières années.

Vous voyez, nous avions raison : mieux valait vendre les Etats-Unis il y a deux ans.

▪ A présent, c’est le dollar qui chute. Il a perdu 12% au cours des six derniers mois — gigantesque pour une devise majeure.

"L’Asie tente de ralentir la chute du dollar", titrait vendredi le Financial Times.

A l’heure où nous écrivons, 1,47 $ n’achètent qu’un seul euro. Il y a 10 ans, on pouvait avoir un euro pour moins d’un dollar. La chute du billet vert rend les importations plus chères, disent les analystes… augmentant le coût de la vie. On ne s’en rendrait pas compte en marchant dans les rues de Miami ou Las Vegas. On peut avoir une maison à 50% de son prix d’il y a trois ans.

Selon les critères européens, les Etats-Unis sont bon marché. Sont-ils sur le point de devenir encore moins chers ?

▪ Nous nous sommes pourtant trompé sur une chose lorsque nous avons émis notre recommandation de "vendre les Etats-Unis" il y a deux ans : la dette américaine. Les bons du Trésor US ont résisté à la tendance baissière générale des choses portant l’insigne américain. Les obligations n’ont pas baissé ; elles ont grimpé.

Les ménages privés en achètent pour leurs retraites. Les banques les achètent pour des profits sans risques. Les spéculateurs les achètent en anticipation de la déflation.

David Rosenberg :

"La grande nouvelle [jeudi] était la nouvelle baisse massive (12 milliards de dollars) de la dette de consommation américaine en cours en août — le consensus s’attendait à une contraction de huit milliards de dollars. Il s’agissait du septième mois consécutif de réduction de la dette. En d’autres termes, le raz-de-marée de l’effondrement du crédit continue sans donner signe de ralentir, ce qui est la principale raison pour laquelle les rendements obligataires sont toujours dans une tendance de baisse fondamentale".

"Sur l’année passée, les consommateurs américains ont réduit leur dette du chiffre record de 113 milliards de dollars (ce chiffre ne comprend pas les prêts hypothécaires). C’est un changement épique dans l’attitude des ménages envers le crédit et les dépenses discrétionnaires".

▪ Les Américains épargnent. Et ils achètent des bons du Trésor américain. Mais leur argent est-il en sécurité ? Acheter de la dette américaine maintenant, est-ce une bonne idée ?

Mercredi dernier, la Lettonie a essayé de lever une petite quantité de fonds. Elle a offert l’équivalent de 17 milliards de dollars de bons à six mois. Quelles sont les probabilités de voir la Lettonie faire faillite d’ici Pâques ? Nous n’en savons rien, mais les investisseurs ont jugé que le risque n’en valait pas la peine. Non seulement les enchères ont échoué, mais aucune offre n’a été faite.

Voilà ce qui arrive quand les prêteurs perdent foi dans le gouvernement. Ils refusent de lui prêter de l’argent — sinon à des taux élevés. Mais les taux élevés fonctionnent comme un noeud coulant autour du cou d’un voleur de bétail. Ils bloquent le flux d’oxygène vital — sans parler de lui briser le cou.

▪ Notez que le gouvernement fédéral américain fonctionne encore comme un empire au sommet de sa puissance. Le Pentagone continue d’aller chercher la bagarre un peu partout dans le monde — ce qui lui coûte des milliers de milliards de dollars. Les fonctionnaires américains deviennent plus nombreux et plus riches — avec deux fois les revenus annuels du secteur privé. Et l’administration Obama — apparemment inconsciente que le total des dettes non-financées et des obligations du gouvernement fédéral ont grimpé à près de 120 milliers de milliards de dollars — réfléchit à de nouvelles manières de dépenser de l’argent.

Il est tout à fait remarquable de voir que les investisseurs continuent de prêter de l’argent au gouvernement américain — en demandant seulement 4% de rendement annuel sur un prêt à 30 ans. Quant à l’argent à 91 jours, ils le donnent presque gratuitement aux autorités américaines ; il ne propose qu’un rendement de 0,066%.

Ce sera sûrement un point d’interrogation pour les historiens financiers du siècle prochain. C’est en tout cas un point d’interrogation pour nous.

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