Par Emmanuel Gentilhomme (*)
L’un des plus chers des métaux précieux fait tout pour le rester. Grand frère de la famille nombreuse des métaux platinoïdes, le platine vient de toucher un nouveau record historique. Lundi 29 octobre, l’once troy s’est négociée jusqu’à 1 469 $, soit un record absolu et une hausse de plus de 30% par rapport au premier janvier. C’est mieux encore que l’or (+24%) ou l’argent (+12%).
Commençons par jeter un coup d’oeil à la "Bible" des amateurs de métaux platinoïdes : le bulletin Platinum 2007 — qui traite de l’année 2006 — publié en mai dernier par le fondeur-affineur britannique Johnson Matthey. Vous allez voir, c’est très instructif.
Les joailliers très sensibles au prix
A tort ou à raison, la joaillerie n’est que le deuxième usage que le monde moderne fait du platine. En 2006, cela représentait 1,6 million d’onces (M oz), soit 23% de la demande totale.
La demande de platine de nos amis bijoutiers est inversement corrélée, comme disent les économistes austères, à la hausse des prix. La preuve : en 2002, l’orfèvrerie absorbait 2,8 M oz de platine (43% de la demande totale de cette année-là), soit bien plus qu’aujourd’hui.
Bref, ces quatre dernières années, la demande joaillière de platine recule constamment, en valeur absolue et en proportion.
Une demande en hausse de 62% en quatre ans
Etant donné la hausse du prix du platine, c’est qu’un autre demandeur se montre de plus en plus pressant. C’est le rôle que joue l’industrie automobile.
Encore quelques chiffres : voilà une composante de la demande qui représentait 4,2 M oz en 2006, soit presque les deux tiers de la demande totale.
Alors qu’en 2002 elle n’était que de 2,5 M oz, soit une hausse de 62% en quatre ans ! Vous rendez-vous compte de la progression de la demande…
Accros ?
Les rois de l’automobile ne peuvent plus se passer de platine. En raison de ses propriétés catalytiques, ce métal contribue à rendre moins nocifs les gaz qui s’échappent des véhicules, alors que les normes antipollution sont de plus en plus sévères.
Bref, il y a du platine dans les pots d’échappements. Et de plus en plus de pots d’échappements…
Pas de stock. L’ajustement se fait par le prix !
"Fort bien", nous objecterez-vous depuis le fauteuil d’où vous lisez ces lignes. "Mais cela explique-t-il les cours du jour ?"
Eh bien, il se trouve qu’il n’existe pas de stocks de platine : la production automobile se fait à flux tendus. En conséquence, il n’existe qu’une seule variable d’ajustement en cas de troubles sur ce marché où la demande ne manque pas : le prix.
Ecoutons ce que nous apprend l’analyste Wolfgang Wrzesniok-Rossbach, qui par bonheur s’exprime en anglais dans l’édition du 26 octobre du bulletin d’Heareus, un fondeur et affineur de métaux précieux basé en Allemagne.
Il parle "des nouvelles de plus en plus désastreuses du côté de l’offre", tout spécialement du côté des "producteurs d’Afrique du Sud".
Pour mémoire, en matière de platine quelques mineurs"sud-af ‘" concentrent la quasi-totalité de la production : AngloPlatinum (surnom : AngloPlat), filiale d’AngloAmerican (contrôlée par les Oppenheimer) ; Impala Platinum (ou Implats), Lonmin et Northam Platinum. A eux quatre, ils ont produit plus de 5 M oz en 2006, sur une production totale de 6,8 M oz. En somme, quatre sociétés d’un même pays contrôlent 75% de la production mondiale de platine.
Qui dit concentration des acteurs dit concentration des risques
L’ami Wolfgang indique que "ces deux dernières semaines, des accidents dans les mines de Northam et d’AngloPlat ont conduit à la fermeture temporaire des mines".
"Et aujourd’hui, cette liste s’est allongée d’Impala", indique-t-il. Bilan : quatre mineurs ont été tués, ce qui a entraîné des grèves de quelques jours revendiquant des mesures de sécurité.
Quelques jours qui ont suffi à propulser le métal à des cours record. D’autant que Wolfgang et son nom compliqué nous incitent à ne pas oublier les récents "problèmes techniques" des raffineries de Lonmin, ou les coupures de courant qui ont affecté celles d’AngloPlat…
Un rêve inaccessible…
M. Wrzesniok-Rossbach termine en indiquant qu’une augmentation de 30% à 50% de la production des mines sud-africaines dans "les prochaines années" n’est plus "un rêve inaccessible". Les minières ont donc anticipé une demande forte et continue : tant mieux !
Mais il tempère immédiatement son propos : en attendant, "l’on serait heureux si l’industrie sud-africaine parvenait à atteindre à moyen terme ses objectifs de production 2006". Voilà qui promet encore de beaux jours au cours du platine
Meilleures salutations,
Emmanuel Gentilhomme
Pour la Chronique Agora
(*) Journaliste et rédacteur financier, Emmanuel Gentilhomme a déjà collaboré à plusieurs reprises avec le Journal des Finances et la Société Générale. Il suit de près les marchés boursiers européens et étrangers, mais s’intéresse également à la macro-économie et à tous les domaines de l’investissement — et notamment aux ressources naturelles.
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