La Chronique Agora

"Le plan de relance de Gordon Brown est tout simplement grotesque"

** Peut-être commencez-vous à vous lasser du feuilleton qui met aux prises le Congrès US et les grands constructeurs automobiles de Detroit ou d’Auburn Hills (pour Chrysler/Dodge/Plymouth) ?

Vous n’êtes manifestement pas les seuls puisque Wall Street, après trois séances de molle consolidation sous les 9 000 points, enclenche brutalement la marche arrière dans le sillage de Ford (-9%, sous les 3 $) et de General Motors (-14%, sous les 4 $).

Nous ne sommes apparemment pas les seuls à considérer que les 15 milliards de dollars qui seront en principe débloqués en faveur des "Big Three" — si le Sénat ne fait pas capoter l’opération — ne seront pas suffisants (loin s’en faut) pour garantir la survie du secteur automobile américain.

Les investisseurs commencent également à réaliser qu’avec des taux à 0,005% sur des T-Bills à trois mois, un rendement de 0,95% sur des T-Notes à deux ans et 2,63% sur des T-Bonds à 10 ans, les banques ne vont pas réaliser des marges mirobolantes sur les sommes qui leur sont confiées en dépôt ou sur les prêts qu’elles pourraient consentir — si jamais sonnait l’heure du dégel dans le secteur immobilier.

Pour ceux qui connaissent un peu les cycles climatiques dans les régions polaires en ces temps de réchauffement planétaire et de contraction de la calotte glacière, il n’y a jamais très loin du dégel à la débâcle — remarquez, nous y sommes déjà !

** C’est donc en grande partie le secteur financier qui a plombé le Dow Jones — il abandonne 2,4% — et le S&P. L’indice chute en effet de 2,8% avec des replis de 11,6% sur Wachovia (malgré le rachat par Wells Fargo), de 10,5% sur JP Morgan, Merrill Lynch et Bank of America, de 8% sur Citigroup, et de 6,5% sur AMEX — et je m’arrête là car la liste serait trop longue.

Le revirement de tendance a été assez spectaculaire à Wall Street puisque les principaux indices évoluaient en territoire positif au moment de la clôture des places européennes. Le Dow a ainsi gagné une cinquantaine de points.

Certains opérateurs ont dû pressentir qu’il n’en serait pas ainsi à la clôture ; c’est peut-être ce qui explique le soudain décrochage des indices à Paris au cours des ultimes minutes de transactions. Le CAC 40 a chuté de 0,43% en clôture à 17h35 contre un gain de 0,1% vers 17h25.

** Nous ne croyons pas au hasard — et si nous prétendons le contraire, c’est juste pour vous faire sourire. Nous avions commencé à redouter une correction lorsque le CAC 40 a effectué hier vers 16h30 un nouveau test d’une précision stupéfiante du zénith des 3 342,7 points inscrit mardi peu avant la clôture.

Paris a pourtant failli aligner (comme Londres ou Milan) une quatrième séance de hausse consécutive mais le CAC 40 a fini par se ranger derrière le gros du peloton formé par les indices paneuropéens. Ils évoluaient en effet majoritairement en baisse, à l’image de Francfort qui perdait 0,78% alors qu’Angela Merkel approuve — enfin — un plan de relance de 200 milliards d’euros en Europe.

L’aurait-on avertie que la consommation allemande effectuait une descente en piqué tandis que l’industrie automobile se préparait à deux années horribles ? C’est en tout cas ce qui ressort d’une étude publiée par une des plus grandes banques germanique… qui doit avoir sa petite idée sur les conditions d’accès au crédit pour les potentiels acheteurs d’un véhicule neuf.

** Allez, pour vous faire sourire un petit peu et vous prouver que seuls les imbéciles et la BCE ne changent jamais d’avis, nous vous livrons cette petite perle, fraîchement extraite des coulisses du pouvoir allemand. Lors de l’une de ces dernières déclarations, Peer Steinbruck, le ministre des finances allemand, a déclaré : "le plan de relance keynésien de Gordon Brown est tout simplement lamentable et grotesque". Tiens ! Prend ça dans ta face d’Ecossais, comme diraient mes cousines canadiennes !

Quel bonheur de constater que nos dirigeants européens savent résister à la pression de l’opinion publique — par nature anxieuse, versatile et ignorante — qui les presse d’accorder leurs violons afin d’éviter une crise économique majeure et une explosion du chômage qui ne semble préoccuper que Barack Obama et les gérants qui font la tendance à Wall Street.

** Cela ne s’arrange pas sur le front de l’emploi début décembre aux Etats-Unis. Les demandes d’indemnisation pour cause de licenciements enregistrent une hausse brutale de 53 000 (à 573 000), au plus haut depuis novembre 1982. En outre, la moyenne hebdomadaire progresse vivement (+14 250) à 540 500.

La direction de Bank of America fait savoir que 30 000 à 35 000 postes pourraient être supprimés — cela signifie qu’elle pense que ce sera plutôt 50 000 — d’ici deux ans.

Quand Wall Street s’enrhume, préparez vos mouchoirs en Europe : la fin de la semaine risque d’être un peu moins euphorique que les premières 48 heures.

Les acheteurs ont déjà commencé à se retirer vers les vestiaires où il fait nettement plus chaud que sur le floor (la grande salle où cotent les plus grosses blue chips américaines). Le marché parisien apparaît également bien moins actif depuis mercredi avec à peine trois milliards d’euros négociés ce jeudi, contre 3,3 milliards d’euros la veille.

Il serait vraiment très surprenant que le CAC 40 parvienne à déborder la résistance des 3 340 points d’ici ce soir et encore plus improbable de voir le Dow Jones refranchir les 9 000 points — ce qui suppose un rebond spectaculaire de 5%.

** Nombreux sont nos lecteurs qui nous font parvenir leur sentiment sur la crise actuelle et qui sollicitent nos pronostics pour 2009. Nous mettons un point d’honneur à leur répondre individuellement par mail… et nous ne manquons pas d’y faire allusion dans nos Chroniques, lorsque les questions qui nous sont posées reflètent une forme de communion de pensée.

Ainsi, les demandes concernant l’attitude à adopter (en Bourse) d’ici le 31 décembre 2008 se multiplient. Voici ce que nous avons répondu : l’extraction des moins-values devrait conduire les valeurs les plus déprimées cette année à rechuter avant le 19 décembre prochain.

Mais de nombreux cours sont tellement bas que des gérants disposant de beaucoup de liquidités pourraient ramasser sans attendre des valeurs à vil prix… et absorber les "achetés/vendus" fiscaux.

Il est difficile de trancher, il faut surveiller le CAC 40 et opter pour une approche haussière au-dessus de 3 340 points et baissière sous 3 260 points.

Vous estimez que dans ces conditions, nous naviguons à vue : c’est en partie exact car si nous avions un scénario aussi précis que lors de l’éclatement de la crise — nous avancions alors en territoire connu –, nous serions de véritables prophètes du XXIe siècle !

Nous anticipons cependant un net rebond des indices d’ici janvier prochain, avant une rechute plus profonde des indices courant 2009. Une chute qui risque même d’être très profonde si les banques ne jouent pas le jeu et continuent à ne prêter qu’aux riches, c’est-à-dire à ceux qui sont sortis avant l’explosion du système financier. Nous espérons que vous faites au moins partie de ceux qui ont vendu à temps… ou même un peu trop tôt.

** Dernière minute : nous avions évoqué la possibilité de voir le Sénat US faire capoter le plan de sauvetage de l’industrie automobile américaine… Eh bien les ultralibéraux du parti républicain ont réussi leur coup ! Les discussions repartent pratiquement à zéro et les marchés asiatiques étaient victimes ce vendredi matin d’une grosse crevaison. Hong Kong dévisse de 5,7%, Tokyo replonge de 5,5%, Shanghai de 4,7%, Séoul de 4,4%, Taiwan et Singapour de 3,8% et Bombay de 2,8%.

Heureusement, le Congrès US dispose du week-end pour installer une roue de secours…

Philippe Béchade,
Paris

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