La Chronique Agora

Le phénix se fait plumer

** Chaque année, la presse et les traders nous resservent le mythe du rally avant la trêve des confiseurs. Une sorte de rituel de saison, annonciateur d’un bonus en espèces sonnantes — et surtout trébuchantes — bien mérité (mais par qui donc ?), alors que selon les calculs de Jacques Attali, 10% du PIB mondial sont partis en fumée avec la crise des subprimes.

En additionnant la débâcle des dérivés de crédit et la décrue des prix immobiliers, ce sont des milliers de milliards de dollars de richesse virtuelle qui ont été carbonisés. Mais depuis février dernier, ils ne cessent de renaître boursièrement de leurs cendres à Wall Street, alors que le Dow Jones fait régulièrement la navette entre 12 750 et 14 000 points.

Le phénix américain produit un vol irrégulier, preuve qu’il a reçu un méchant coup de plomb dans l’aile. Mais à chaque fois, il parvient à retrouver quelques puissants courants ascendants qui entretiennent l’illusion qu’il pourrait rejoindre le firmament indiciel — que beaucoup d’experts situent aux environs des 15 000 points sur le Dow Jones.

Depuis neuf mois, le pauvre CAC 40 ne parvient au mieux qu’à battre des ailes comme un oisillon maladroit. Quand il parvient parfois à s’arracher du sol pour se rapprocher des premières branches, il n’échappe pas assez longtemps à l’attraction terrestre pour pouvoir s’y poser et tenter de rejoindre le nid situé au-delà de la cote des 6 000 points.

La dernière semaine qui précède le vendredi des « Quatre Sorcières » est réputée pour ses vertus régénératrices. De vieux indices tout déplumés peuvent parfois se croire redevenus des aigles l’espace de quelques séances… mais la démonstration se termine parfois par l’amorce d’une belle vrille et pas mal de casse à l’atterrissage.

** Les indices américains ont visiblement connu quelques difficultés au moment d’effectuer leurs premiers battements d’ailes ce lundi. Les vents ont brusquement tourné à 180° — et au lieu de décoller à la verticale, les indices américains se sont retrouvés plaqués au sol dès la mi-séance par une véritable bourrasque de déprime, mêlant chute des indices d’activité industrielle dans la région de New York et grêle de mauvaises performances dans le secteur immobilier dans pratiquement toutes les régions enquêtées par la NAHB.

Le Dow Jones a plongé de 1,3%, le Nasdaq s’est fait littéralement aplatir de 2,3% avec plus de 90% de titres en repli et des pertes cumulées qui dépassent les 4% — ce qui efface l’intégralité des gains accumulés dans un climat d’allégresse surréaliste du 6 au 11 décembre dernier.

Quelques heures auparavant, le CAC 40 ne s’en était pas mieux tiré, chutant de 1,6% dans des volumes relativement étoffés pour un lundi : six milliards d’euros, soit presque 25% de plus que vendredi.

L’indice phare est parvenu in extremis à préserver le seuil des 5 500 points (à 5 515) après avoir touché un point bas de 5 499 points après une heure de cotation.

Paris s’inscrivait dans une mouvance de repli général — 1,65% pour l’Euro Stoxx 50 –, qui s’impose depuis le 12 décembre et qui n’a connu qu’un bref répit avec l’éphémère sursaut de mercredi dernier. Aux interrogations concernant les retombées du subprime et la croissance en 2008 s’ajoutent à présent les inquiétudes relatives aux pressions inflationnistes, redevenues menaçantes cet automne de part et d’autre de l’Atlantique.

La pression baissière qui s’était un peu relâchée en début d’après-midi s’est de nouveau renforcée entre 15h00 et 17h30, alors que Wall Street poursuivait sa consolidation. A mi-séance, le Nasdaq s’est inscrit en repli de 1,2% et a menacé d’enfoncer les 2 600 points, le Dow Jones a reculé de 0,7% à 13 250 points.

Hier, aucun réconfort n’est venu du côté des statistiques économiques. Le baromètre de l’institut ZEW (moral des milieux d’affaires allemands) a dévissé de cinq points à 37,2 — au plus bas depuis janvier 1993 — et l’activité de l’industrie dans l’état de New York a plongé de 17 points pour s’établir à 10,3 ce mois-ci (contre 27,4 en novembre).

** A Paris, les financières ont collectivement reculé de 2,5% car Citigroup abaisse ses prévisions sur l’ensemble du secteur aux Etats-Unis pour 2008. Les analystes de la première banque du pays ne prennent probablement pas grand risque : les instituts de notation s’empressent de dégrader la notation de toutes celles qui s’avisent de consolider des structures hors bilan (captives) qui menacent de s’effondrer. Et Citigroup vient justement de réintégrer pour 49 milliards de dollars de SIV dans son périmètre, c’est-à-dire l’équivalent de plusieurs Crédit Lyonnais.

Le problème, c’est que le super CDR (Consortium De Réalisation de feu l’ex-Lyonnais) à l’américaine ne rencontre pas le vif succès escompté, mais suscite le scepticisme des banques. A l’origine, il fut question d’un super conduit de 70 milliards de dollars, puis l’enthousiasme gagnant, des montants de 100 milliards (et plus !) furent évoqués.

Mais bientôt, il apparut que de nombreux détenteurs de dérivés de crédit tels que des hedge funds renâclaient à voir leurs actifs — même dévalués — confiés à ce genre de structure pour une durée indéterminée et des résultats aléatoires.

Les ambitions ont été revues à la baisse et le super-conduit a vu son périmètre potentiel se réduire à 30 malheureux milliards de dollars, c’est-à-dire à la taille d’un gros fond de private equity de type Cerberus ou Blackstone. Autant essayer de vider l’East River avec un gobelet à café !

** De tels fonds, qui se vantaient de pouvoir racheter la planète entière — et ses satellites les plus proches –, se montrent beaucoup plus discrets ces derniers temps. Les voici réduits à l’impuissance depuis le milieu de l’été du fait du gel du marché des dérivés de crédit ; des méga-opérations à effet de levier du genre LBO sont à ranger au rayon des souvenirs de type « les années folles ». Les dernières en date ont lamentablement échoué, faute de capitaux disponibles…

Mais les génies du Monopoly capitalistique planétaire ne perdent pas espoir. Ils parient que la Fed et la Maison-Blanche — sous l’impulsion salvatrice de leur grand maître Hank Paulson — vont continuer de puiser dans leur chapeau magique de miraculeux expédients, qui se renouvellent à l’image d’une « génération spontanée ». Tout cela, jusqu’à ce que les conditions propices de confiance et de sur-liquidité que nous connaissions 12 mois auparavant soient restaurées.

Alors que les 14 000 points semblaient immédiatement accessibles pour le Dow Jones une semaine auparavant, le principal enjeu consiste maintenant à défendre les 13 000 points. Et cela nous arrangerait effectivement que Wall Street ne dégringole pas vers 12 750 points d’ici le 21 décembre : la Chronique Agora s’accorde en effet un petit répit entre Noël et Nouvel An, la semaine prochaine…

Philippe Béchade,
Paris

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