La Chronique Agora

Le pétrole secoue Wall Street… et Thomas Hoenig secoue la Fed

Les vapeurs d’opium se sont dissipées, le rêve éveillé a brutalement pris fin mardi ! Quelqu’un a dû oublier de remettre le cachet de LSD quotidien dans le café du matin… Toujours est-il que Wall Street a brutalement atterri dans le monde réel en cette première séance du mois de mars. Elle démarrait pourtant sous les meilleurs auspices après un gain de 2,5% à 3% à l’issue du mois de février.

Les indices américains, anticipés en nette hausse mardi matin, ont rapidement viré au rouge de plus en plus vif. Le Dow Jones a abandonné au final 1,38%, à 12 058 points. Le S&P a décroché de 1,57%, et le Nasdaq a chuté de 1,6% à 2 737 points. L’évanouissement des illusions haussières s’est également traduit par une envolée de 15% du VIX au-delà des 21 (contre 18,35 la veille).

Avec un baril de pétrole repassé au-dessus des 98 $ dès mardi matin, certains continuaient de le croire en repli, vu l’acharnement avec lequel les médias avaient matraqué cette contre-vérité tout au long de la séance de lundi — et même encore bien après la clôture du NYMEX et des marchés américains (les places européennes ont gagné jusqu’à 0,95% une heure après l’ouverture).

Comme nous l’avions souligné hier, la détente des cours de l’or noir dont les commentateurs et les opérateurs se gargarisaient lundi n’avait jamais existé que dans leur imagination (rappelez-vous du titre de notre précédente Chronique).

Le WTI n’avait cédé au mieux que 0,5% à 0,7%, oscillant autour d’un cours pivot de 97,5 $, tandis que l’or continuait de grimper au-delà des 1 400 $. Et que penser de l’argent, qui établissait un nouveau record historique absolu à 34 $ ?

Un exemple que le métal jaune s’est empressé d’imiter mardi soir en pulvérisant son précédent plafond à 1 435 $.

▪ Des signaux aussi évidents de nervosité sous-jacente sur l’ensemble des marchés à terme de matières premières auraient dû mettre la puce à l’oreille des investisseurs quant à l’incohérence des justifications apportées à la hausse de Wall Street.

Est-il à ce point impossible de reconnaître — même avec une feinte candeur — que l’évolution des indices boursiers américains est téléguidée depuis la Fed ? A plus forte raison lorsqu’il s’agit d’entretenir envers et contre tout un climat psychologique favorable après six mois de hausse ininterrompue d’un indice comme le Nasdaq ou le Russell 2000.

La prétendue accalmie des tensions au Proche-Orient débouche donc sur une nouvelle flambée du baril pour le moins imprévue dans ces proportions. Il a grimpé de 3,75%, ce qui le propulse au-delà de la barre symbolique des 100 $, vers 100,5 $.

▪ Quelques retentissantes fausses notes auraient dû alerter les marchés dès les premières heures de la matinée.

D’abord, les autorités égyptiennes annonçaient que la réouverture de la Bourse du Caire était repoussée au dimanche 5 mars. Difficile d’établir formellement un lien de cause à effet, mais la Bourse de Riyad plongeait simultanément de 6,8%…ce qui portait à 17% la chute des actions en Arabie Saoudite depuis le 1er janvier.

Quelques heures plus tard, les agences de presse relataient des heurts à Téhéran entre les forces de sécurité et des manifestants. Ces derniers réclamaient la libération des deux leaders d’opposition Mir Hossein Moussavi et Mehdi Karoubi, placés en résidence surveillée depuis le week-end dernier.

L’opposition contre le Premier ministre koweïtien (Cheikh Nasser Mohammad al-Ahmad al-Sabah) se radicalise avec des appels à la révolte.

Les tensions persistent en Algérie et en Tunisie ; les appétits politiques des prétendants à un renversement des appareils politiques vacillants s’aiguisent.

En Libye, le colonel Mouammar Kadhafi s’accroche au pouvoir, mais ses adversaires reçoivent le soutien de plus en plus déterminé (voir musclé) des Etats-Unis. Moscou déclare le dictateur « mort politiquement », l’Europe rompt tout lien économique avec Tripoli et la communauté internationale a gelé la plupart des avoirs de la famille Kadhafi hors de son pays.

Plus au sud, la Côte d’Ivoire semble au bord de la guerre civile… Il va également falloir surveiller de près les pays d’Afrique de l’ouest — surtout ceux qui produisent du pétrole : la hausse des prix alimentaires y constitue un cocktail tout aussi détonnant qu’au Maghreb, sans compter des régimes dont la légitimité est fortement contestée.

▪ Comme si les incertitudes concernant le Proche-Orient ou l’Afrique ne suffisaient pas, Ben Bernanke estimait ce mardi devant la Commission bancaire du Sénat US que la hausse du pétrole — si elle s’avérait durable — pourrait avoir des répercussions négatives sur l’économie : « elle représente une menace tant pour la croissance économique que pour la stabilité des prix ».

Il n’envisage cependant pas de suspendre le déroulement de son « QE2 ». Rappelons que les économistes sont chaque jour plus nombreux à considérer qu’il constitue une part importante sinon déterminante de l’envolée spéculative des matières premières et de l’énergie.

Et ce n’est peut-être que le début d’une spirale infernale : de tout récents articles de presse et des études suggèrent que Ben Bernanke ne compte pas s’arrêter à un « QE2 » ni même à un « QE3 » !

Les Japonais injectent régulièrement de l’argent (en monétisant leur dette) dans leur économie depuis 15 ans, qui leur en fait grief ? Le yen a été délibérément affaibli face au dollar (puis face à l’euro) tout au long de ces 20 dernières années sans que l’inflation ne réapparaisse jamais dans l’Archipel… Pourquoi surgirait-elle aux Etats-Unis ?

Souvenez-vous également que la bulle des dot.com a été largement alimentée par le carry trade yen/dollar sans que la Banque centrale nippone soit jamais montrée du doigt. Pourquoi les marchés jetteraient-ils la pierre à « Ben la planche à billets », qui s’acharne à faire grimper les indices boursiers pour le bien de tous ?

Pourtant, derrière la façade d’optimisme et de confiance indéfectible dans l’infaillibilité de « Ben la fausse mornifle », certains opérateurs expriment des doutes officieux. Combien de temps la Fed va-t-elle pouvoir faire semblant de ne pas établir de lien entre sa politique monétaire non-conventionnelle et les excès spéculatifs qui s’emballent sur les matières premières et les denrées agricoles ?

Combien faudra-il d’émeutes de la faim, d’insurrections et de coups de semonce de la Chine concernant l’inflation avant que « Trillion Ben » change de cap ? Et si la Fed finissait par changer de cap(itaine) ?

Jamais des voix dissidentes ne s’étaient faites entendre aussi fortement depuis décembre dernier parmi ses membres.

Kevin Warsh, farouche opposant à la poursuite de l’assouplissement quantitatif, a démissionné début février. Et voilà maintenant que Thomas Hoenig (voir notre chronique de vendredi) affirme qu’il devient urgent d’envisager sa suspension ; il craint que la Fed se décrédibilise au sujet de l’inflation.

Pire, il affirme que les risques systémiques sont aujourd’hui encore plus élevés qu’ils l’étaient au cours des mois qui ont précédé la faillite de Bear Stearns ou Lehman.

Nous supposons qu’il dispose d’arguments aussi solides que les nôtres… Tout comme Madoff reprenant intégralement tous ceux que nous évoquions il y a 18 mois concernant la pyramide de Ponzi de la dette fédérale américaine !

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