La Chronique Agora

Le Peak in government selon Martin Armstrong

▪ En matière de « prévisions », on entend tellement tout et son contraire qu’on est souvent contraint de réprimer un sourire en coin. Les entités publiques du type gouvernements (1) et banques centrales (voir ici à partir de 8’10) (2) sont régulièrement à côté de la plaque en matière de prévisions macroéconomique, ce qui n’a en soit rien de très étonnant. Pour ce qui est de déceler les grandes tendances, il semble logique de prêter une attention plus marquée aux commentateurs issus du secteur privé. Cependant, le fait que certains d’entre eux annoncent non seulement des objectifs chiffrés mais également un calendrier très précis a de quoi laisser songeur. Et pourtant, la « planète finance » regorge de commentateurs très suivis pour leurs « prévisions », voire leurs « prédictions », comme on dit sur les sites en mal de sensations.    

Si vous êtes abonnés à la lettre La Stratégie de Simone Wapler, vous avez certainement déjà aperçu le nom de Martin Armstrong dans vos alertes e-mail. Le 16 septembre est sorti sur les écrans de cinéma français le film-documentaire L’Oracle (The Forecaster en VO), qui retrace la vie de ce personnage haut en couleurs. Je profite de l’occasion pour revenir brièvement sur le parcours de celui qui passe aux yeux de certains pour un excentrique (du fait par exemple de billets aussi étonnants que celui-ci…) voire pour un escroc, alors que d’autres voient en lui un génie. Cet évènement coïncide d’ailleurs avec une annonce majeure du dirigeant d’Armstrong Economics, ou plutôt l’une des prévisions de son modèle, puisque c’est de cela dont il s’agit.

▪ Martin Armstrong en bref
Martin Armstrong dispose d’une (assez courte) page Wikipedia. Si vous ne connaissez pas le personnage, vous y apprendrez que cet homme plusieurs fois primé dans les années 1980 par des magazines financiers en tant qu’économiste et que gérant de fond d’investissement (cf. cet article du New Yorker) a passé sept ans en prison pour outrage au tribunal suite au refus de remettre certains actifs entre les mains de la justice. En 2006, il a plaidé coupable au chef d’accusation de complot en vue de commettre notamment des fraudes sur valeurs mobilières et a été condamné à purger une peine de cinq ans, avant de retrouver la liberté en septembre 2011.

Certaines personnes pensent que ce sont les actualités qui gouvernent les marchés, Martin Armstrong pense que ce sont les cycles. L’ancien dirigeant de Princeton Economics a développé, entre autres modèles, l’Economic Confidence Model, un modèle mathématique basé sur les cycles économiques (Armstrong aurait réuni la base de données la plus exhaustive au monde) et sur le nombre pi, « une sorte de rejeton gnostique de l’analyse technique », pour reprendre les mots de Nick Paumgarten dans l’article du New Yorker sus-cité.

Ce modèle lui permet d’émettre des prévisions à long terme toujours assez précisément datées mais pas toujours chiffrées (si l’axe des abscisses est toujours gradué sur ses graphiques, ce n’est en revanche pas le cas de l’axe des ordonnées). Certains observent par ailleurs que certaines de ses prévisions à court-terme chiffrées et datées ont connu de substantielles variations sur des intervalles de temps réduits.

Plus récemment, les travaux d’Armstrong ont abouti à la création de Socrate, qu’Armstrong décrit comme un « système d’intelligence artificielle » qui reposerait « sur le savoir collectif de la race humaine » et qui apprendrait « de manière cognitive les causes derrière les tendances réelles des hausses et des baisses des marchés et des économies, ainsi que des Empires, des Nations et des Cités-Etat ». Vous l’aurez compris, il s’agirait « d’une réalisation unique dans le monde de la finance ».
 
▪ Un film-documentaire qui vise à réhabiliter un homme controversé
The Forecaster est un film-documentaire à sens unique visant clairement à réhabiliter Martin Armstrong vis-à-vis de sa condamnation judiciaire, en présentant sa version des faits. Extrait du synopsis : « au début des années 1980, Martin Armstrong a fondé sa société de prospective et de conseil financiers — Princeton Economics. Ses analyses étaient très recherchées, par le monde entier. A mesure que sa réputation s’est renforcée, des banquiers new-yorkais de premier plan l’ont invité à rejoindre ‘le club’, pour les aider à mieux manipuler le marché mondial. Martin a refusé leurs invitations à plusieurs reprises. Plus tard cette même année (en 1999), le FBI a pris d’assaut ses bureaux, confisquant son modèle informatique, et l’accusant d’être à l’origine d’une arnaque à la Ponzi, s’élevant à trois milliards de dollars. S’agissait-il d’une tentative pour le faire taire et l’empêcher de dénoncer publiquement la véritable arnaque à la Ponzi, que sont les dettes s’accumulant dans le monde entier depuis des décennies ? […] ».

Dans ce débat (traduit en français) en date du 13 septembre 2015, un bref résumé de l’affaire peut être entendu entre les minutes 10 et 12. Au final, c’est complot contre complot.

A noter que les deux premières scènes de The Forecaster relèvent de registres foncièrement opposés : on observe d’abord un marabout retracer la vie d’Armstrong dans un appartement de Bangkok, avant de voir un extrait TV dans lequel une journaliste américaine rappelle que « Jim Rogers fait l’éloge de Martin Armstrong pour sa connaissance de l’Histoire et pour perspicacité » et que « son site fait plus de 200 000 visites par mois ». Le décor est posé : avec Armstrong, on doit recourir à sa raison… et un peu au-delà !

Quoi qu’il en soit du modèle d’Armstrong et de la culpabilité ou non de l’intéressé (la polémique se poursuit bien sûr sur les forums), il n’en reste pas moins que certaines de ses prévisions se sont révélées justes (Armstrong avance que certaines d’entre elles auraient été publiquement annoncées lors d’une conférence de 1998) et que sa vision de l’économie et des marchés est suivie de près par nombre d’intervenants. Autant donc avoir sa thèse à l’esprit.

▪ Le Peak in government
 « Nous savons tous que quelque chose ne va pas. Vous ne pouvez pas emprunter éternellement sans aucune intention de rembourser quoi que ce soit. […] Les problèmes commencent lorsqu’il y a plus de personnes à qui vous devez payer des intérêts que de personnes que vous pouvez taxer. […] historiquement, ces systèmes finissent toujours par s’effondrer ». (The Forecaster, vers 9′)

« Rien ne change. L’Histoire se répète parce que les passions des hommes restent les mêmes. Les politiciens étaient corrompus hier comme ils le sont aujourd’hui ». (The Forecaster, vers 55′)

Comme les Etats ne peuvent pas vendre leur dette publique directement sur les marchés, ils travaillent en collusion avec les banques, le rapport de force étant clairement en faveur de ces dernières. Le système de la dette publique est antisocial puisque 70% du service de la dette finirait dans les poches des banquiers. Nous ne sommes pas en démocratie : il suffit de jeter un coup d’oeil sur la composition de la Troïka pour constater qu’aucun de ses membres n’a été élu. L’ascension de Donald Trump dans la course à l’investiture républicaine en vue de l’élection présidentielle du 8 novembre 2016 face aux politiciens de carrière à la sauce Hillary Clinton ou Jeb Bush atteste également de cet état de fait.

Il faudrait interdire juridiquement aux Etats de se financer par la dette. Les taux d’intérêts seraient alors beaucoup plus stables et ne pourraient pas être utilisés pour manipuler les intervenants économiques, et les banques retrouveraient leur juste place. (vers 49′ dans le débat)

Dans les très grandes lignes, le scénario d’Armstrong (qu’il aurait annoncé dès 1985) ou plutôt celui de son modèle, comme il aime à le rappeler, est le suivant : le 1er octobre 2015 (« 2015.75 » sur ses graphiques) marque le sommet de la confiance du public dans les gouvernements. Lorsque cette confiance commencera à décliner, les choses évolueront alors très rapidement, et ce de manière d’autant plus violente que nous nous situerions à un plus bas historique de 5 000 ans en termes de taux d’intérêt (les gouvernements cherchant par ailleurs à imposer des taux négatifs). Un krach des marchés obligataires doit donc s’ensuivre (N.B. : et non un krach des marchés actions, comme cela est souvent rapporté à tort). Octobre 2015 ne constitue que le point de départ à cet égard.

C’est en 2017 que la Fed devrait augmenter les taux afin que les Etats-Unis parviennent à régler leurs problèmes intérieurs (« la plupart des fonds de pension américains vont traverser une crise majeure au cours des deux prochaines années et risquent la faillite », déclare Armstrong — à ce sujet, voir mon article de la semaine passée). Cela entraînera la hausse du dollar qui nuira aux pays endettés dans cette devise, ce qui précipitera in fine la fin du statut du dollar en tant que monnaie de réserve (à partir de 1’17 »00 dans le débat).

Tous les pays ne tomberont pas en même temps mais l’un pays après l’autre, comme des dominos. L’Europe et le Japon tomberont les premiers, les capitaux se réfugieront alors aux Etats-Unis car leurs marchés ont la capacité de les accueillir, avant qu’eux-mêmes ne finissent aussi par tomber (1’06 dans le débat).

Pour Armstrong, les forces de la nature ainsi que la nature humaine font qu’il est impossible de s’extraire de l’inéluctabilité des cycles (à partir de 35′ dans le débat). Pourquoi les cycles suivent-ils le chiffre pi ? « Je ne sais pas », répond le prévisionniste. « Après tout, c’était le chiffre magique associé à l’oscillation d’un pendule, au principe d’incertitude d’Heisenberg et à la grande pyramide de Gizeh. Pourquoi pas également aux données relatives aux marchés financiers », commente Nick Paumgarten. La suite de Fibonacci se retrouve bien à de multiples endroits dans la nature, aurait-il pu poursuivre.

▪ Les recommandations d’Armstrong pour se protéger face à l’explosion à venir de la bulle des dettes souveraines
Autrefois, l’immobilier était une classe d’actif pertinente, mais les gouvernements augmenteront les taxes sur la détention de biens immobiliers. L’or risque d’être confisqué, il faut donc concentrer ses achats sur les pièces à valeur numismatique pour prétexter de leur collection en cas de confiscation (à partir de 1’19 »00 dans le débat). Lorsque les marchés obligataires vacilleront, le big money basculera vers les actifs privés. A un moment donné, on verra les marchés actions fleurir à nouveau (flight to quality). « Le Dow Jones subira d’abord une petite correction, mais doublera probablement après avoir touché son point bas ».

« Lorsque les gens perdent confiance dans le gouvernement, comme c’est arrivé lors de l’épisode d’hyperinflation allemand, tout monte, pas juste l’or : l’immobilier, les oeuvres d’art, les articles de collection, toutes les choses de ce genre (à partir de 1’33 »00 dans le débat).

Pour ce qui est de l’or, « il aura son quart d’heure de gloire » (Armstrong pense qu’il plafonnera à 5 000 $ l’once), mais il doit auparavant chuter beaucoup plus bas que son cours actuel. Méfiez-vous des gold bugs qui commentent le cours du métal uniquement sous l’angle de la « suppression » de son cours au travers des produits dérivés et qui proclament la reprise du marché haussier à chaque hausse de 20 $, a fortiori s’ils commercialisent eux-mêmes des métaux précieux.

▪ En définitive
Si vous croyez aux prévisions datées et chiffrées, alors vous pouvez spéculer en faisant du trading. Si ce n’est pas le cas et que vous agissez dans une perspective d’investissement, alors peut-être serait-il sage de prendre ou de conserver une assurance sous forme d’or physique (mon livre sur le sujet)… ce qui ne vous empêche pas de lire ou d’écouter Martin Armstrong, qui interviendra le 3 octobre dans le cadre d’une conférence TEDx.

Meilleures salutations,

Nicolas Perrin
Pour la Chronique Agora

(1) Olivier Berruyer montrait dans un billet de septembre 2013 que « sur les 12 dernières années, la croissance moyenne a été de 1%, et l’erreur moyenne du gouvernement a été de +1% : depuis 12 ans, la prévision du gouvernement a ainsi été en moyenne du double de la croissance réelle ! »
(2) Charles Gave rappelait le 21 septembre sur BFM Business que « ça fait grosso modo six ans que vous avez chaque fois en début d’année des prévisions par la Fed sur la croissance cette année et l‘année prochaine. Chaque année, ils nous annoncent que le décollage est imminent, qu’on va passer à 4% de croissance. Chaque année, nous terminons entre 2 et 2,2% […] Ca fait six ans que a Fed se plante de 50% dans toutes ses prévisions chaque année ».

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