** Entre la Société Générale, les baisses de points de la Fed et les secousses qui affectent les marchés ces derniers jours, le courrier afflue dans la boîte aux lettres de la Chronique Agora. Et je ne résiste pas au plaisir de vous livrer un — petit — florilège de ces messages, qui ne manquent jamais, au sein de l’équipe, de nous motiver à pousser plus loin notre raisonnement, à approfondir nos idées, et, au final, à nous remettre en question.
** Commençons avec J.L.M., qui nous donne son point de vue sur l’immobilier français, par opposition à l’immobilier américain qui continue de faire les gros titres :
"La vraie bombe à retardement, comme vous le prédisiez (un peu tôt peut-être), c’est l’équilibre économique mondial, via l’économie américaine", nous dit-il. "Et par rebond, c’est l’ensemble de la bourse. Le problème de l’immobilier aux Etats-Unis n’est qu’un effet artificiel produit par des gens malhonnêtes qui ont voulu camoufler les vrais problèmes des USA en faisant monter le PIB à travers un effet pervers de crédit trop facile".
Votre correspondante est bien de cet avis — la crise de l’immobilier ne concerne pas uniquement le logement américain. Comme le disait Simone Wapler dans L’Investisseur Or & Matières, "la machine financière fuit de partout et de larges taches visqueuses s’échappent sur le sol. Elles vont faire de nombreuses victimes de dérapages incontrôlés".
Revenons-en maintenant à J.L.M. : "Mais l’immobilier, en France, va bien, et bien mieux que l’économie américaine", continue-t-il. "Une maison à Port Grimaud se revend cette année à 17 000 euros du m2 (avec un anneau pour le bateau, il est vrai), soit 52 fois son prix d’achat il y a 40 ans : 180 000 francs. Les prix de l’immobilier ne baissent pas, et ceux de l’immobilier de luxe augmentent, ce qui n’était pas le cas en 1992".
Il est vrai que les Français ont une attitude différente de celle des Américains vis-à-vis de l’immobilier ; plus conservateurs, ils le considèrent en général comme un véritable placement plutôt que comme d’un instrument de spéculation. Mais pour combien de temps encore ?
** J.L., de son côté, insiste sur l’émergence de nouvelles puissances mondiales, qui pourraient selon lui contribuer à éviter une récession : "Merci pour votre message de ce jour. Mais où en sommes-nous aujourd’hui ? Les Etats-Unis sont un élément important de la consommation mondiale, mais désormais il y a devant eux la Chine, l’Inde, le Brésil, le Mexique, la Russie. Il est bien fini le temps où les USA étaient les maîtres du monde. […] D’autant que les Etats-Unis n’ont pas encore mis en route toute l’artillerie dont ils disposent pour contrer cette éventuelle récession, qui à mes yeux n’aura pas lieu. […] Il faudra bien un jour se réveiller, car les fonds émergents ont l’arme au pied pour acheter les fleurons des industries occidentales lorsqu’ils le décideront. Leurs excédents leur permettent de jouer dans la cour des grands, désormais. Alors faisons attention".
Entre danger et opportunités, c’est bel et bien la place qu’occupent les BRIC et autres marchés émergents pour l’instant. Bon nombre d’investisseurs les considèrent comme une porte de sortie aux économies et aux places boursières occidentales, à bout de souffle… et leur potentiel est effectivement ébouriffant, mais nous vous conseillerions néanmoins la prudence et la sélectivité sur ces marchés !
** Enfin, J.F.A. nous a fait l’honneur d’une longue lettre sur notre ligne éditoriale en général — je vous la livre dans son intégralité.
"Votre capacité d’analyse économique et financière n’est-elle pas amoindrie par ce qui ressemble à une obsession anti-américaine ? Votre site parle du déclin des Etats-Unis, de leurs nouveaux concurrents, du dollar qui n’est plus ce qu’il était, de la Chine (et n’oubliez pas l’Inde dont le régime politique est surement plus stable et l’avenir démographique mieux assuré) et d’autres qui montent ou qui remontent dans le monde".
"Mais ce n’est pas de déclin qu’il s’agit, comme il y a eu le déclin de Venise ou de Bruges, ou de l’Egypte antique. Au contraire. Les Etats-Unis d’Amérique demeurent une nation libre, relativement bien éduquée, productive, riche, etc. D’autres accèdent à leur tour à ce niveau de richesse et de liberté dont nous avions un quasi-monopole. Où est le problème ? N’est-ce pas plutôt un progrès ? Méfiez-vous des intellectuels français. Depuis 150 ans, ils haïssent les Etats-Unis, toujours pour la même raison. La France était jusque vers 1870 une super-puissance et en tous cas, nous étions au premier rang. Les Américains nous paraissaient des nouveaux riches et, surtout, protestants. En 1887, après la destruction en un quart d’heure de la flotte espagnole (guerre d’indépendance de Cuba), Anatole France se moquait déjà des nobles salons du faubourg St-Germain où ‘on pleurait la destruction des beaux vaisseaux espagnols, bénis par le pape, et coulés par ces marchands de cochons et de machines à coudre’ (in L’Anneau d’améthyste)".
"Aujourd’hui, on parle d’anti-impérialisme, une invention des communistes pour servir leur ‘grand frère’. Notre taille nous a fait perdre ce premier rang au profit de nations plus peuplées et également développées. Ca nous déprime, mais nous ne nous soignons pas bien. Notre vieille culture nationale, sinon franchouillarde, continue à condamner l’argent, le ‘profit’ (mot plus accusateur que bénéfice), le commerce, et à privilégier le service public, les statuts et les corporations. C’est un héritage du catholicisme unique et obligatoire pendant des siècles. L’Eglise romaine a toujours condamné le progrès et le prêt à intérêt, dans les mêmes termes que l’université Al Azar au Caire. Et notre forme nationale de socialisme sur ce point lui a succédé sans changement. C’est là un handicap culturel. Alors l’obsession anti-américaine fait penser aux récriminations de femmes qui furent belles, jeunes , riches ; qui sont aujourd’hui vieilles et fauchées, et qui se réjouissent des problèmes des jeunes gens… au lieu d’accueillir les nouveaux riches avec simplicité, et de se former à l’internet et aux cartes de crédit pour rester au niveau".
"Heureusement, à leur différence, nous pouvons rester jeunes. En adoptant les techniques modernes au lieu de continuer à préférer nos carrioles à cheval qui, au moins, consomment notre carburant national (l’avoine, citation du Général Gamelin en 1939 pour justifier son refus des divisions motorisées et sa préférence pour l’artillerie hippomobile) !"
"Une récession américaine en cours ? Ca arrive tous les cinq/sept ans. Ce n’est pas la fin du monde. Elle sera soignée comme toujours par de l’inflation, la fermeture des banques les plus faibles, une dévaluation du dollar, et des investissements boursiers sur des PER revenus vers huit. Et de nouveaux horizons économiques pour investir, tels que les économies d’énergie, la santé et d’autres que nous verrons venir sans l’avoir prévu comme l’informatique dans les années 1980".
"Méfions-nous de nos ‘intellectuels’ et de nos hauts fonctionnaires qui monopolisent les emplois de direction dans nos entreprises financières et de l’énergie. Ils prétendent donner des leçons au monde à l’abri de leur statut, et sans avoir vécu la vie des entreprises". Ce monde est un peu meilleur et surement pas pire que celui de nos parents. Mais il exige, comme toujours, de se remettre en cause".
Sur notre anti-américanisme apparent, je dirais juste que "qui aime bien châtie bien"… et ce ne sont pas nos nombreux rédacteurs américains qui me contrediront. Pour le reste, chacun son opinion ! Je partage l’avis de J.F.A sur quelques points — notamment sur la forme de suffisance bien française vis-à-vis du reste du monde — mais je pense que la crise qui se prépare risque fort de ne pas être comme toutes les autres… et qu’il faudra plus que quelques interventions des banques centrales pour la résoudre.
Je vous laisse sur la conclusion de cette longue lettre, d’une sagesse assez convaincante : "ce monde est un peu meilleur et sûrement pas pire que celui de nos parents. Mais il exige, comme toujours, de se remettre en cause".
En vous souhaitant un excellent week-end.