La Chronique Agora

Le Monopoly de la Fed va nous ramener à la case départ !

▪ Wall Street semble reparti du bon pied depuis lundi. Les indices américains alignent une troisième séance de hausse consécutive — sauf le Dow Jones qui s’effrite de 0,18%. Cela ne fait toutefois que ramener les actions américaines vers le sommet du corridor de consolidation quasi horizontal qui les emprisonne depuis le 16 novembre.

Le Dow Jones, par exemple, n’a pas enregistré de fluctuations supérieures à 1,7% en valeur absolue depuis plus de trois semaines. Au-delà de l’arrimage au dollar, les interventions permanentes pour interdire l’émergence de la moindre vague de consolidation alors que les actions sont surévaluées de 20% à 25% selon les estimations des experts de Pimco, Kantor Fitzgerald ou Meredith Whitney (et même de certains stratèges de la Société Générale) ne sont pas le fruit du hasard.

Des indices boursiers sous contrôle qui accélèrent brutalement à la hausse en quelques séances… et qui ensuite ne vont nulle part durant des semaines, c’est du pain béni pour les vendeurs de volatilité !

Les soudaines montées en flèche indicielles font grimper le delta des produits dérivés à maturité courte — les vendeurs d’options d’achat se font proprement « déchirer ». Ensuite, dès que le mouvement perd de sa vélocité, les initiateurs du mouvement commencent à « shorter » l’ensemble des produits dérivés à effet de levier afin d’encaisser du cash : il suffit de maintenir le sous-jacent au sein d’un étroit canal… et recommencer le mois suivant.

C’est un gigantesque jeu de dupes qui ne reste profitable que parce que les marchés, dirigés par la liquidité, sont totalement déconnectés du monde réel.

▪ C’est une sorte de Monopoly où la banque centrale (la Fed) décide chaque matin s’il faut injecter les 20 milliards de dollars qui permettent de faire flamber les prix… ou s’abstenir afin que les joueurs fassent tranquillement un tour du circuit en se contentant d’encaisser leurs loyers.

Les 20 milliards en question sont naturellement attribués de manière totalement discrétionnaire. L’économie réelle ne reçoit jamais un centime ; il faut qu’elle se débrouille avec ses propres moyens, qu’elle sollicite le contribuable quand les caisses sont vides.

Une fois re-cavée, il lui faut souvent moins d’une demi-douzaine de coups de dés pour se faire ratisser. « Retour à la case départ : vous devez verser 2 000 milliards pour continuer  » !

Lorsque le pion de l’économie réelle tombe sur la case « chance », vous pouvez être certain que la carte du dessus du paquet indique « impôts : vous devez payer un supplément de 150 milliards de dollars chaque mois pour combler les déficits »… ou « erreur des banques d’affaire en votre défaveur : vous devez injecter 200 milliards dans AIG »… ou encore « votre société hypothécaire Fannie Mae fait faillite : vous devez avancer 500 milliards, sinon tous vos électeurs perdent leur maison ».

L’une des dernières cartes imprimées tout spécialement pour le Monopoly version 2009 s’intitule : « Dubaï est collé avec 80 milliards de dollars d’investissements immobiliers écrasés par un soleil de plomb : provisionnez au plus vite 40 milliards ou achetez 200 tonnes d’or auprès du FMI ».

Les concepteurs du jeu réfléchissent sur l’opportunité d’introduire des nouveautés encore plus croustillantes dans la version 2010. Ils songent notamment à : « la bulle spéculative généralisée explose à Shanghai, vos T-Bonds américains perdent 20% de leur valeur, les taux d’intérêt de la Fed passent de 0,13% à 4% en quelques semaines ».

Pour compenser, il sera possible de tirer la carte « vous avez acheté 200 tonnes d’or fin 2009 : bravo, vous avez doublé votre mise en six mois et vous encaissez immédiatement 7,5 milliards de dollars de plus-values ».

▪ Pour l’heure, l’once d’or vient de pulvériser un nouveau record absolu à 1 200 $/once — mais l’envolée du « baromètre de la peur » ne trouble pas Wall Street. Les indices américains entraînent à la hausse l’ensemble des bourses mondiales dans leur sillage — et même Tokyo depuis le 1er décembre.

Cependant, le secteur bancaire américain ne participe pas à la vague d’euphorie des dernières 48 heures. Par ailleurs, les volumes d’échanges sur le S&P ou le Nasdaq ne cessent de se contracter depuis début novembre, en totale contradiction avec une tendance qui demeure obstinément bullish.

A Paris non plus, les volumes ne sont pas à la hauteur de l’optimisme apparent reflété par le CAC 40 : tout juste 2,9 milliards d’euros ont été négociés ce mercredi.

L’indice phare n’a effectué qu’une brève — même si elle fut vigoureuse — incursion au-delà des 3 800 points, à une heure de la clôture. Il s’est hissé jusque vers 3 811 points, son meilleur score depuis le 25 novembre dernier… mais la journée s’est achevée sur un gain de 0,5%, à 3 795,9 points, grâce à un nouveau coup de pouce de +0,15% au moment du fixing.

Le chiffre du jour est passé pratiquement inaperçu dans la courbe du CAC 40. L’enquête mensuelle d’ADP révèle que les entreprises américaines ont détruit 169 000 emplois en novembre au lieu de 150 000 anticipés. Le total d’emplois détruits depuis le début de la récession en décembre 2007 dépasse les 7,4 millions !

C’est le 24ème mois de contraction du marché du travail selon ADP. Il s’accompagne également d’une baisse régulière des salaires à l’embauche (sauf à Wall Street). Seul signe rassurant, 1,2 million de postes proposés n’ont pas trouvé preneur en novembre : il existe donc un petit réservoir d’emplois à pourvoir… mais 25 millions de chômeurs se les disputent — cela fait 20 personnes par emploi disponible.

Après une banqueroute au Monopoly, une partie de « chaise musicale » (la chaise est volontairement conjuguée au singulier) devrait détendre nos amis américains !

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