La Chronique Agora

Le marché va-t-il encore partir en tonneau cet été ?

** Wall Street avait très mal entamé la séance de vendredi. Les investisseurs, qui n’étaient pas au mieux psychologiquement depuis la publication des trimestriels d’Alcoa et le profit warning de Chevron-Texaco la veille, ont été douchés par la forte rechute de l’indice de confiance des ménages américains début juillet.

Le Dow Jones lâchait rapidement 1% avant de retrouver du soutien au contact du palier des 8 100 points, un premier test ayant eu lieu mercredi dernier. Le Nasdaq perdait 0,75% de son côté, mais il a lentement inversé la vapeur et clôturait en hausse de 0,2%. Contrairement au scénario observé sur les places européennes quelque heures auparavant, le Dow a sensiblement réduit sa perte en fin de séance à -0,45%, et le S&P 500 s’effritait de seulement 0,4%.

Même si les indices américains alignent une quatrième semaine de repli consécutive, les pertes hebdomadaires ressortent moitié moins lourdes que sur le Vieux Continent. Le S&P 500 lâche en effet 2,2% sur la semaine, tandis que dans le même temps, l’Eurofirst 300 dégringole de plus de 4% et le CAC 40 de 4,6%, sa plus sévère correction observée depuis la première semaine du mois de mars.

** Paris en terminait sous les 3 000 points pour la première fois depuis le 21 avril dernier, dans des volumes d’échanges de plus en plus étroits : il ne s’est échangé que 1,8 milliard d’euros contre 1,89 milliard d’euros la veille et 2,3 milliards mercredi.

Le courant vendeur, qui ne tarit pas depuis le 2 juillet denier, a été alimenté par des allègements de précaution. De nombreux gérants partaient en congé en cette veille de long pont du 14 juillet, et même si la Bourse de Paris reste ouverte, les donneurs d’ordre seront largement absents.

La période estivale se solde traditionnellement par une réduction de la taille des portefeuilles, une stratégie qui s’avéra fort judicieuse aux mois de juillet 2007 et 2008 (mais également de 2001 et 2002 de sinistre mémoire).
 
** La vague de prises de bénéfices actuelle semble couler de source après une envolée de 30% à 40% des indices américains. Wall Street ne sait plus très bien s’il faut crever immédiatement l’abcès d’une hausse sans substance… ou continuer de laisser croire que les effets des plans de relance gouvernementaux, quoique toujours discrets à l’heure actuelle, vont se manifester plus clairement cet automne.

Les bourses risquent de se retrouver privées de carburant (des dizaines de milliards de liquidités vont être remboursés par une dizaine de grandes banques au TARP) et de leur conviction de façade dans un printemps économique dont les bourgeons se dessèchent à vue d’oeil. Mais cela n’empêche pas certains stratèges de miser sur un été "en pente douce" qui verra les indices boursiers consolider à l’horizontale.

Des configurations en "tête/épaules" baissières dignes de figurer dans les manuels d’analyse technique se dessinent sur le S&P, le CAC 40, l’Euro-Stoxx 50, le SSE de Shanghai ou le BSE à Bombay. Pourtant, la thèse que devraient gober les épargnants, c’est qu’une fois penchée à 5,3°, la Tour de Pise boursière, consciente du danger qui la guette, va s’immobiliser spontanément au lieu de passer le cap fatidique des 5,56° d’inclinaison qui entraînerait son effondrement définitif.

** Mais à quoi les marchés devraient-ils de genre de miracle ? Barack Obama affirmait vendredi que la reprise est loin d’être assurée et qu’il ne faut surtout pas relâcher les efforts visant à soutenir l’économie.

Warren Buffett se dit d’ailleurs favorable à la mise en oeuvre d’un nouveau plan de relance à base de stimulants fiscaux… mais cela signifierait plus de déficits à court terme et aucune certitude que la consommation des ménages redémarre.

De même, la possibilité de refinancer un bien immobilier ayant perdu 25% de sa valeur (c’est le cas de pratiquement tous les acheteurs ayant emprunté depuis l’été 2006) au lieu de 5% jusqu’à présent ne constitue qu’un emplâtre sur une jambe de bois : le rythme des saisies/ventes aux enchères continue de s’accélérer aux Etats-Unis.

Wall Street ne se fait plus guère d’illusions ; la meilleure preuve en est que les bonnes nouvelles sont systématiquement ignorées depuis un mois. Les investisseurs ont donc ignoré la contraction du déficit commercial américain au mois de mai — à 26 milliards de dollars contre 28,8 milliards en avril… un chiffre d’ailleurs révisé en partant d’une estimation initiale de 29,2 milliards.

Mais l’interprétation que nous ne cessions de marteler depuis le mois d’avril est désormais partagée par la plupart des stratèges : moins d’importations sur fond de quasi-stagnation des exportations, c’est peut-être le signe qui confirme l’essoufflement de la reprise qui se dessinait au début du second semestre 2009 outre-Atlantique.

** Les spécialistes des marchés pétroliers se sont déjà fait une religion. Le prix du baril de brut américain a enfoncé la barrière des 60 $ pour clôturer la semaine vers 59,75 $, après avoir reculé jusque vers 58,9 $. Cela représente 20% de baisse en 10 jours — le même scénario qu’en juillet 2008, lorsque le WTI avait replongé de 150 $ jusque vers 120 $, entre le 14 et le 29 juillet.

Toute confirmation d’un accès de faiblesse conjoncturel pourrait provoquer la rupture définitive de supports tels que 8 100 sur le Dow Jones ou 3 000 points sur le CAC 40… et même des 58,5 $ sur le pétrole (qualité WTI, contrat septembre). Mais gare à la fausse sortie baissière car cela paraît presque trop facile !

Nous doutons fort que les très nombreuses "têtes/épaules" évoquées précédemment puissent se dérouler comme de simples cas d’école où les vendeurs pourraient enfoncer les supports graphiques en rang par deux… sans que la "main invisible" n’ait besoin d’émettre le moindre claquement de doigts pour leur indiquer qu’ils ont l’autorisation de se défouler jusqu’à la rentrée.

Philippe Béchade,
Paris

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