La Chronique Agora

Le grand bluff de la reprise déjà mené 5 à 0

▪ Les milieux financiers sont tellement convaincus de la réalité de leur scénario de reprise en "V" qu’ils commencent à spéculer sur le timing d’un durcissement de la politique monétaire de la Fed. Bien instruite des erreurs du passé, elle devrait donner un violent coup de barre à tribord après avoir abaissé — pour la dernière fois — son taux directeur de 50 points en début d’année.

Certain experts estiment que Ben Bernanke et ses collègues ne devraient pas faire dans la demi-mesure et y aller d’un bon +0,75 points afin de porter le prime rate à 1%… Cela resterait historiquement bas et comparable à la situation qui prévalait en 2003/2004.

L’hypothèse de travail, c’est le rétablissement d’une croissance économique supérieure à 3% en rythme séquentiel au quatrième trimestre 2009, prolongée par une nouvelle accélération à 3,5% ou plus au second semestre 2010, après une pause en début d’année prochaine pour cause de rechute d’activité dans le secteur automobile.

La Fed n’a donc pas intérêt à se laisser prendre de vitesse. Elle doit recommencer à éponger les liquidités — comme si l’économie réelle était sur le point d’en être submergée. Elle doit aussi clarifier au plus vite ses intentions au cas où les marchés auraient vu juste… et il n’est même plus permis d’en douter depuis que la rumeur d’un rehaussement des prévisions du FMI a commencé à circuler fin septembre.

Pour emprunter une image au monde du football (le seul dans lequel l’argent continue effectivement de couler à flot), c’est un peu comme si une équipe menée 5-0 à la mi-temps, avec quatre joueurs expulsés (Lehman, Washington Mutual, IndyMac, Bear Stearns) héritait d’un penalty de 750 milliards de dollars généreusement sifflé par Henry Paulson… et commençait à se demander comment monnayer son inéluctable victoire auprès des sponsors.

N’étant plus mené que 5-1, la rencontre a en effet complètement changé de physionomie. L’inscription de quatre buts supplémentaires pour accéder aux prolongations ne fait aucun doute : sept joueurs surmotivés ne sauraient manquer de remonter au score face à une équipe qui joue "trop facile" et néglige la compassion du corps arbitral pour les outsiders.

Les investisseurs portant le maillot à l’effigie de la reprise en "V" se ruent donc à l’attaque. Le gardien de but a lui aussi quitté ses cages et se précipite vers les 18 mètres adverses. Le ballon (la bulle de liquidités) circule allègrement dans la moitié de terrain occupée par les adversaires portant le maillot reprise en "L", soulevant les cris enthousiaste des supporters (gérants de gros hedge funds comme petits porteurs).

Mais les "L" n’ont aucun mal à se regrouper devant leur surface de réparation pour constituer un rideau défensif impénétrable. Les "V" sont à la merci de la moindre imprécision dans une passe : en cas d’interception, le ballon ira se loger en moins de 10 secondes dans leurs buts vides. A 6-1, l’affaire risquerait d’apparaître de nouveau plus compliquée !

L’arbitre soutient ouvertement le camp des "V" : ces derniers viennent perdre la balle à la régulière mais ils héritent d’un coup franc bien placé pour une "main" imaginaire des "L". C’est normal, il faut maintenir le suspense coûte que coûte, quitte à user d’expédients un peu grotesques, pour scotcher les spectateurs devant leurs écrans avant l’envoi des spots publicitaires de la fin de match.

▪ C’est ainsi que Wall Street, bien que plombé par un très mauvais indice PMI dans la région de Chicago et des chiffres relatifs au marché de l’emploi décevants, parvenait à effacer ses 1,5% de pertes initiales pour grimper de 0,1% à la mi-séance.

Mais comme nous l’écrivions la veille, il eut été fort surprenant que la dernière séance du trimestre le plus tonitruant des 70 dernières années se termine par une rechute des actions.

La remontée des valeurs françaises au cours de la dernière heure (entre 3 763 et 3 795 points sur le CAC 40) a devancé celle de leurs homologues américains. Fidèles à un scénario bien huilé, les indices US ont entamé leur remontée de façon étrangement linéaire après une heure de cotations, ce qui semble traduire une parfaite orchestration du mouvement haussier

Les premiers chiffres américains du jour (PIB et emploi) publiés ce mercredi s’étaient neutralisés. Cependant, le recul inattendu de l’indice PMI manufacturier de Chicago — qui a rechuté de 50 vers 46,1 — a clairement fait la différence vers 16h.

Les économistes avaient coutume de se désintéresser de ce PMI "local" mais il a acquis ce derniers mois un statut de bon précurseur de l’activité industrielle aux Etats-Unis. Les principaux constructeurs automobiles sont implantés dans cette région qui est devenue l’épicentre des de la reprise estivale — à condition d’occulter la débandade irréversible du secteur immobilier.

▪ Les marchés avaient mal réagi en début de journée en découvrant l’enquête du cabinet ADP. Le secteur privé a encore détruit 254 000 emplois aux Etats-Unis en septembre, contre 277 000 au mois d’août (l’estimation précédente étant de -298 000). Si le rythme de la dégradation ralentit depuis le mois de juin, la rentrée ne s’est pas soldée par un net rebond des embauches comme beaucoup le prévoyaient.

Puisqu’il fallait bien trouver n’importe quel prétexte pour justifier le rebond de Wall Street, la seule possibilité résidait dans la révision en hausse du PIB des Etats-Unis par le département du Commerce.  Selon son estimation définitive, il n’aurait finalement baissé que de 0,7% (en rythme annualisé), alors que l’estimation précédente faisait état d’une baisse de 1% — et le consensus tablait sur -1,2% contre -6,4% au premier trimestre.

La baisse des investissements des entreprises, de la consommation des ménages et des exportations se poursuit mais ces facteurs négatifs sont partiellement compensés par le recul des importations de pétrole et l’augmentation des dépenses publiques.

Nous n’allons pas nous étendre sur le bidouillage des chiffres de l’inflation ni sur la comptabilisation de l’effet stocks, car nous avons déjà démontré à quel point ils nous plongent dans la fiction statistique.

La règle devenue constante depuis la fin des années 90 consiste à tordre les aiguilles du baromètre lorsque la météo fait mine de se dégrader… ou à le placer dans une boite étanche dotée d’une pompe (à liquidités) qui permet de faire remonter la pression.

Est-ce le signe précurseur d’une embellie durable ? Les banques centrales sont-elle dupes ?

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