La Chronique Agora

Le Dow Jones revient à 13 000 points… et la Grèce devient un pays mort-vivant

▪ Impossible d’y échapper mardi. Il fallait être spéléologue au fond d’un gouffre ou réparer une plate-forme pétrolière par 300 mètres sous les eaux du golfe du Mexique pour ne pas être averti par toutes les chaînes de télé américaines : le Dow Jones a renoué avec les 13 000 points. Même les chaînes pour enfants ont interrompu leurs programmes (j’exagère à peine !) pour permettre à chaque citoyen américain — notamment ceux qui ont moins de quatre ans — de vivre en direct ce moment historique.

Chaque jour qui passe se conclut par un nouveau record annuel des indices américains et cela alimente un très fort sentiment d’invulnérabilité des marchés.

Tout est fait pour entretenir l’illusion qu’en restant acheteur « ça gagne à tous les coups »…

Et ça marche !

▪ Les marchés se sentent invulnérables
A Paris, les opérateurs pressentent que les 3 500 sont à portée de main… et pourquoi pas les 3 522 points. Il s’agit là du fameux gap de rupture à la baisse qui reste béant depuis le 2 août dernier.

Mais tout cela, c’est à la condition d’ignorer — ou de tenir pour nulle et non avenue — la vertigineuse tension des oscillateurs techniques en données hebdomadaires. Il n’y a aucune raison de redouter une inversion de la vapeur avant d’afficher un bon 30% depuis le 23 septembre dernier.

Tiens, ce serait sympa de tester cet objectif demain ! Nous serons justement le jeudi 23 février : ce sera comme si la crise des dettes souveraines ainsi que les abaissements de notations de la quasi-totalité des pays de l’Eurozone n’avaient jamais existé !

Après tout, il n’y aucune raison de ne pas imiter Wall Street qui effaçait ce mardi les derniers stigmates de la crise des subprime de 2008/2009 et de l’effondrement de la Grèce.

▪ Un Dow Jones au zénith alors que rien ne va mieux
Le Dow Jones s’est donc hissé au contact des 13 000, comme prévu depuis dimanche matin d’après la cotation des futures américaines à Dubaï et Tel-Aviv et l’annonce de l’abaissement des réserves obligatoires des établissements de crédit chinois.

C’était cousu de fil blanc… Toutes les chaînes d’information américaines s’étaient branchées sur le floor à Wall Street dès 15h30 pour l’inscription imminente des 13 000 points — un score qui n’avait plus été affiché en séance depuis les 2 et 19 mai 2008.

Cela a duré une vingtaine de secondes vers 17h25 — histoire d’encourager les acheteurs à ramener les indices à l’équilibre en Europe. Ensuite le Dow est redescendu vers 12 990 avant d’y revenir à 17h GMT. De cette façon, la performance cadre bien avec la Une des journaux télévisés de midi. Pour finir, le Dow Jones est revenu bravement re-tester les 13 000 pour terminer en beauté le journal de 13h.

Cela renvoie les marchés à cette double question que nous posons régulièrement depuis le 2 février — depuis que le Nasdaq a retracé son zénith du 29 avril 2011. Cela va-t-il mieux aujourd’hui qu’avant la faillite de Lehman ? Cela ira-t-il mieux que les marchés américains l’anticipaient au printemps 2011, avant la faillite de la Grèce ?

Vous souvenez-vous des projections de bénéfices actualisés sur les trois ou cinq prochaines années du printemps 2008 ? A l’époque, déjà, l’argument du cycle de baisse des taux amorcée en janvier par la Fed rendait les actions « bon marché ».

Nous en avons gardé le souvenir très précis : une croissance de 25% par an des profits jusqu’en 2012 (nous y sommes) était l’hypothèse de travail la plus couramment admise.

Les marchés ont commencé à douter à la mi-juillet 2008. Non point parce que Bear Stearns avait déjà fait faillite et avait été racheté en catastrophe par J.P. Morgan dès le 15 mars (impossible d’oublier cette date, c’est celle de mon anniversaire)… mais parce que le constat d’une flambée du baril vers 145 $ sur le NYMEX avait commencé à faire douter les économistes de la pérennité de la croissance mondiale.

Ils étaient encore peu nombreux à l’époque à comprendre que la prétendue ruée spéculative sur l’or noir des initiés n’était pas due à l’anticipation d’une explosion de la demande chinoise — à quelques semaines des Jeux de Pékin. Non, cette spéculation était due à un arbitrage massif des créances hypothécaires en faveur d’actifs tangibles par de grandes banques d’affaires comme Goldman Sachs, J.P. Morgan et même Lehman Brothers. Pas de chance encore une fois : les cours se sont effondrés de 50% en deux mois, ce qui a précipité la chute de la firme de Richard Fuld.

Depuis cette date, des milliers de milliards de dollars, et désormais des milliers de milliards d’euros ont été déversés dans le système financier. Les banques centrales injectent en moyenne 1,5 $ (ou 1,5 euro) pour obtenir péniblement 0,5 $ (ou euro) de PIB supplémentaire.

Les marchés s’ébahissent pourtant des époustouflants progrès de l’économie américaine. La confiance est de retour, nous assistons à l’éclosion d’une génération spontanée de traders, de gérants, de stratèges, d’économistes (à 50 000 $ l’heure de conférence) qui viennent nous expliquer que plus les cours montent, plus ils découvrent d’actions bon marché.

Les mêmes vous expliquaient il y a six mois que l’euro ne passerait la fin de l’année 2011. Leur hypothèse se basait sur la masse de mauvaises dettes circulant de par le monde, l’incapacité des Etats-Unis à réduire leurs déficits, l’abaissement de la notation des emprunts émis par les PIIGS à junk bond. La crise du surendettement global des agents économiques et des Etats rentrait ainsi dans sa phase II… dite de la désintégration finale.

▪ LTRO, accord sur la Grèce : quelques nuages roses pour les marchés…
Quelques mois plus tard, les Standard & Poor’s, Moody’s et autres Fitch ne passent pas une semaine sans découper à la tronçonneuse la notation des banques (par bottes de 12 et parfois même de 100) des pays du Vieux Continent. Tous les experts viennent nous expliquer que par la magie du LTRO de la BCE, tout risque systémique est écarté, et à plus forte raison maintenant que l’accord sur le refinancement de la Grèce est conclu. Ce dernier a vu le jour au bout d’un marathon (c’est de circonstance !) de 13 heures de négociations houleuses.

▪ … Qui pourraient bien virer vite au gris
Alors que les faiseurs d’opinion nous abreuvent de ce genre de fables, nous découvrions que les experts du FMI ont calculé que sur la base du plan approuvé la nuit passée, l’endettement de la Grèce a très peu de chances de se contracter de 160% vers 120,3% d’ici 2020. Cela représente sept ans et demi de souffrance et d’austérité pour les Grecs. En réalité, l’endettement risque bien de rester supérieur à 160%, voire pire si la récession perdure au-delà de fin 2014.

D’ici-là, des centaines de milliers de jeunes auront fui leur pays et tenteront de trouver du travail en Europe. La vague massive de départ à destination des Etats-Unis et de l’Australie risque de se tarir faute de débouchés. Il ne restera sur place que les Grecs les moins bien formés et les retraités. Aucun pays ne s’est jamais redressé avec une hémorragie de ses forces vives, sur fond de vieillissement de la population.

La tragédie grecque s’achève par la naissance d’un pays zombie !

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