La Chronique Agora

Le capitalisme est-il la panacée universelle ?

[Françoise Garteiser se promène au pays du soleil levant… En attendant son retour, le 12 novembre, voici un "classique" tiré des archives de la Chronique Agora et signé Bill Bonner]

** Le capitalisme est la panacée universelle, en fin de compte. Il guérit les symptômes de l’affluence comme de la pauvreté.

Nous écrivons ces lignes à Manchester, une coïncidence… parce que c’est à Manchester, selon la légende, que la révolution industrielle a commencé. Des outils modernes, un flux d’argent constant et du carburant fossile ont été rassemblés, créant une telle poussée qu’elle permit à l’humanité de sortir de l’ornière du Moyen-Age et de prendre son envol. Des économistes écossais peu dépensiers — en particulier Adam Smith et Adam Ferguson — ont vu ce qui se passait et noté la leçon morale : en renonçant aux satisfactions de la consommation courante, l’épargne pouvait être investie dans des usines, des machines et de nouvelles découvertes augmentant la production de la main d’oeuvre.

Grâce à ces nouveaux outils, un travailleur pouvait produire plus de choses dans le même laps de temps. Et toutes ces choses ne tardaient pas à le rendre riche. Selon MeasuringWealth.com, durant la deuxième moitié du 18ème siècle, le travailleur britannique moyen gagnait environ 60 livres par an. A l’époque, il ne fallait que 5,25 livres sterling pour acheter une once d’or, si bien qu’il gagnait l’équivalent de 14 onces d’or, ce qui vaut environ 6 622 livres sterling aux cours actuels. Un siècle plus tard, en 1971 pour être exact, ses revenus avaient grimpé pour atteindre l’équivalent de 49 onces d’or par an — soit environ 23 000 livres sterling aux prix actuels.

(Si vous avez la bosse des maths, vous êtes déjà en train de vous poser des questions. Le salaire moyen en Grande-Bretagne aujourd’hui est de 23 177 livres. En termes d’or, les salaires ont stagné ces 37 dernières années).

Mais quelles que soient les merveilles créées par James Watt et les citoyens du coeur industriel du Royaume-Uni, leurs descendants d’Amérique en ont généré une nouvelle : au beau milieu du plus grand boom financier et technologique de l’histoire, ils se sont débrouillés pour réduire la valeur de leur propre travail.

Oui, cher lecteur, aujourd’hui, nous détournons notre regard des pauvres, des faibles et des masses qui en rang serrés luttent pour s’offrir leur riz quotidien… et nous nous concentrons plutôt sur les gens qui luttent pour assurer leurs remboursements de carte de crédit. Voici un groupe de gens si gâtés par la Nature qu’ils étouffent. Et leur richesse aussi est mise à mal.

Les Etats-Unis ont de riches terres agricoles, de la côte Est à la côte Ouest. Pourtant, le pays est un importateur net de nourriture. En fait, il est importateur net de tout ce qui peut être transporté. Chaque jour qui passe, les USA reçoivent l’équivalent de deux milliards de dollars de plus de ces objets transportables qu’ils n’en exportent.

Avant l’administration Nixon, de tels déséquilibres ne pouvaient perdurer trop longtemps ; mais quelles qu’aient été les bénédictions divines déversées sur les Etats-Unis — montagnes majestueuses ou champs dorés décrits par l’hymne national — elles n’étaient rien par rapport aux privilèges accordés par le système monétaire post-1971.

On récolte ce qu’on a semé, déclare la Bible. Mais entre 1997 et 2007, les Américains ont pu récolter sans semer. Ils pouvaient consommer sans rien gagner. Ils pouvaient investir sans épargner, et dépenser autant qu’ils le voulaient sans se trouver à court d’argent. Ils étaient les gens les plus veinards de la terre — ils avaient la devise de réserve mondiale… et l’accès à tout le crédit planétaire.

Le miracle qui a fondamentalement altéré le système monétaire mondial s’est produit le 15 août 1971 lorsque Richard Nixon a "fermé la fenêtre de l’or" du Trésor US. Avant cela, les devises de tous les pays étaient ancrées à l’or. Les gouvernements soldaient leurs comptes en métal jaune ; dans la mesure où chaque unité de monnaie papier représentait une option sur l’or contenu dans le trésor national, cela forçait les autorités à surveiller leurs émissions de monnaie. Mais après août 1971, le système monétaire mondial leva l’ancre et prit le large. A présent, il flotte sur une mer de papier monnaie — et personne ne sait ce qui se cache sous la surface sombre de l’océan.

Le commerçant chinois qui vendait des gadgets et des babioles aux Américains prodigues ne pouvait pas utiliser des dollars pour payer ses salaires. Il lui fallait de la devise locale. Il échangeait donc ses dollars contre des yuans. Et où la Banque centrale chinoise obtenait-elle assez de yuans pour racheter des milliers de milliards de dollars ? Elle devait les créer. Dans le monde entier, à mesure que le stock de dollars mondial grimpait… il en allait de même pour les réserves de devises locales. Et ensuite, que faire avec ces dollars ? Avant 1971, les banques centrales les auraient présentées au Trésor US et reçu une once d’or pour 41 dollars papier. Afin de protéger l’or national, les banquiers centraux auraient fermé le bar et éteint les lumières. Les taux auraient grimpé ; les étrangers auraient été encouragés à garder leurs dollars (plutôt que de les échanger contre de l’or) ; les Américains auraient été découragés de dépenser leurs dollars — ce qui aurait étouffé les dépenses de consommation US et ramené les comptes courants dans le vert.

Mais en 2001, les autorités financières américaines, menées par Alan Greenspan, se crurent confrontées à une crise. Elles paniquèrent — et donnèrent encore plus de mou monétaire aux Américains. Sans rien pour l’arrêter, la masse de liquidités et de crédit grimpa à un rythme encore plus rapide. Et c’est ainsi que les Américains se passèrent leur bonne fortune au cou comme un noeud coulant. Au lieu de mettre en pratique la vertu qui les avait rendus riches — épargner de l’argent, construire de nouvelles usines et apprendre de nouvelles techniques — ils empruntèrent plus lourdement qu’auparavant.

A présent, leurs maisons sont saisies et les factures pleuvent. Pire, leur actif le plus important — leur temps — se dévalue en même temps que le dollar. Selon nos sources, le travailleur américain moyen de la fin du 19ème siècle gagnait déjà considérablement plus qu’un Anglais — 25 onces d’or par an, plutôt que 14. Il devint aussi bien plus riche à mesure que la Révolution industrielle avançait. En 1971, il gagnait l’équivalent de 82 onces d’or, soit 76 000 $ aujourd’hui. Mais il oublia ensuite sa leçon. Il cessa d’épargner… son revenu chuta… et son dollar aussi. Si l’on ajuste son salaire horaire moyen à l’inflation des prix à la consommation, il gagne un peu moins aujourd’hui que sous l’administration Carter. Et si l’on ajuste son salaire à l’évolution de l’euro, on découvre que l’Américain moyen gagne moins que le Français moyen. Enfin, si l’on ajuste son salaire à l’or, on voit qu’il a perdu un demi-siècle de progrès salariaux. Aujourd’hui, il ne gagne que l’équivalent de 40 onces d’or — soit environ 38 000 $ seulement.

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