La Chronique Agora

Le CAC 40 au paradis… fiscal ?

** Les investisseurs se demandaient il y a tout juste une semaine si espérer un rebond avait encore un sens. Ils sont encore très inquiets au sujet de la santé de l’économie — mais ils peuvent à présent imaginer que les marchés commencent à entrevoir une embellie.

Cela dit, les indices boursiers ne sont pas encore sortis de leur tendance baissière. Cependant, ceux qui sont restés vendeurs ont vécu de bien mauvais moments et ont dû passer un week-end inconfortable.

Paris aligne quatre journées de hausse consécutive et ne laissera pas de gap béant au-dessus des 2 697 points. Cela signifie qu’une cinquième séance de hausse est possible ce lundi, aucune zone de rupture n’étant susceptible d’exercer une force de rappel sous 2 700 points.

L’ambiance sur les marchés s’est nettement réchauffée depuis lundi dernier : les craintes concernant la faillite, la nationalisation ou des augmentations de capital massives concernant les banques et les compagnies d’assurances faisaient régner un froid polaire de Wall Street à Tokyo en passant par Londres et Paris… Le climat s’apparentait presque à l’instauration d’une ère glaciaire figeant le paysage boursier dans sa configuration la plus négative, avec des volumes d’échanges se tarissant comme le débit d’une rivière en Sibérie en fin d’automne.

** C’est le moment qu’ont choisi les dirigeants de Citigroup (Vikram Pandit) et Bank of America (Ken Lewis) pour affirmer que la solidité financière de leurs établissements respectifs était optimale et que la rentabilité était au rendez-vous en janvier et février, de telle sorte que le recours à certaines lignes de crédit rendues disponibles dans le cadre du TARP ne s’imposait pas et qu’aucune initiative dans ce sens n’était à l’étude dans un avenir prévisible.

Bank of America et Citigroup ont pratiquement doublé de valeur en cinq séances ; Wells Fargo (stable vendredi) a gagné plus de 50% en ligne droite. Des performances du même ordre ont également été observées en Europe, sur des titres comme Dexia à Paris ou Wolseley à Londres, par exemple.

La perspective d’un abandon de l’application uniforme de la règle du mark to market (valorisation "au prix marché" en temps réel) pourrait entraîner une évolution majeure et positive dans la perception du bilan et des ratios de solvabilité des institutions financières détenant des créances immobilières peu liquides. Ainsi, elles resteraient décotées mais plus "sans valeur" comme c’est le cas depuis 18 mois.
 
** Soutenu par BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale, le CAC 40 s’est adjugé un gain de 6,45% sur la semaine. Il clôture au-delà des 2 700 points sans toutefois parvenir à transformer complètement l’essai : le gain résiduel s’élève à +0,42%, à comparer avec une avance qui dépassait +2,75% à l’heure du déjeuner vendredi.
 
L’avance des valeurs française s’est nettement étiolée avec les débuts hésitants de Wall Street puis l’alourdissement des technologiques (le Nasdaq perdait -1,1% vers 18h, il ne cédait plus que 0,4% à mi-séance).

La Bourse de Londres a réalisé la meilleure performance vendredi (+1,35%) dans le sillage du redressement des valeurs bancaires (Barclays, Lloyds, RBOS, Standard Chartered gagnaient 3,5% en moyenne). Madrid a repris 1% mais Francfort terminait inchangé (-0,05%) alors que l’industrie allemande a enregistré une chute d’activité sans précédent de 7,5% en début d’année (les carnets de commande à l’export se contractent de 20%).

** Le spectre de la dépression économique rôde toujours sur l’économie mondiale. Le Japon devrait annoncer la mise en oeuvre d’un troisième plan de relance d’un montant de 200 milliards d’euros qui s’ajouteront aux 300 milliards d’euros déjà investis dans le soutien à la consommation et à l’industrie nippone ces quatre derniers mois : la Bourse de Tokyo s’est envolée de 5,15% vendredi matin et Hong Kong a suivi le mouvement avec +3,8%.

Cela peut expliquer en grande partie le climat d’euphorie qui régnait en début de journée en Europe, au lendemain d’une hausse de 4% des valeurs américaines… lesquelles ont toutefois marqué un peu le pas à la veille du week-end.

Les chiffres économiques américains du jour n’étaient apparemment pas en cause puisque la balance commerciale a continué de se redresser aux Etats-Unis, le déficit se réduisant de 9,7% à 36 milliards de dollars — contre 56,2 milliards il y a un an à la même date. Les importations se sont réduites de 6,7% et les exportations de 5,7% : on constate que ces deux baisses respectives sont du même ordre que la contraction du PIB américain au quatrième trimestre.

L’indice de confiance du consommateur mesuré par l’université du Michigan s’est redressé "à la marge" à 56,3 contre 56,6 points en février. Le point bas de 55,3 points, qui date de novembre, a bien failli être retracé… mais s’il ne l’a pas fait sur les écrans, le test des plus bas historiques était dans toutes les têtes.

Ces statistiques n’ont eu qu’une incidence mineure sur les cours. Le tassement des indices s’expliquait principalement par des ventes de précaution et des prises de bénéfices sur des titres ayant gagné parfois plus de 30% à 40% en une poignée de séances. Beaucoup d’investisseurs restent convaincus de la persistance d’un risque de poursuite du syndrome "un pas en avant, deux pas en arrière" qui ruine toutes les amorces de rebond indiciel depuis la mi-juillet 2008.

** Parmi les épées de Damoclès qui pesaient sur les plus grandes entreprises financières cotées, il y a avait le risque de contrepartie avec l’assureur AIG, qui cumule 180 milliards de dollars de pertes.

La direction d’American International Group a enfin dévoilé, en accord avec la Réserve fédérale, le nom des principaux "partenaires"… et la liste est sans surprise puisque l’on y retrouve les principales banques européennes. Pour la France, sont concernés Société Générale, Calyon (groupe Crédit Agricole) et BNP Paribas. Chez nos voisins du Vieux Continent, les noms Deutsche Bank, UBS, Royal Bank of Scotland, Banco Santander, Danske Bank ont été dévoilés.

Aux Etats-Unis, l’implication de Goldman Sachs, Merrill Lynch et Bank of America étaient un secret de Polichinelle… et nous sommes surpris de ne pas voir Citigroup — dans tous les mauvais coups depuis 18 mois — figurer en tête de liste.

** Pour ceux que l’opacité des transactions financières intrigue ou inquiète, le G20 a promis de se pencher sur la question à l’issue de la réunion préparatoire du sommet du 2 avril qui se tenait ce samedi à Londres. Parmi les dossiers prioritaires, il y a un projet de régulation des fonds spéculatifs et des hedge funds, une mise sous surveillance des agences de notation financière et quelques timides propositions de renforcement des régulations bancaires.
 
Et puis il y a LE dossier qui déchaîne les passions et commence à ébranler l’assise politique de nombreux gouvernements à travers la planète : les paradis fiscaux. Ils seraient au nombre de 70 à 75 de par le monde, selon l’OMC… contre cinq seulement en 1939.

Nous ne sommes pas convaincu qu’il faille s’attendre à une coopération sans faille des multinationales avec les gouvernements des grands pays industrialisés du G20 : les sociétés composant le seul CAC 40 totalisent près de 1 470 filiales dans des paradis fiscaux, soit 16% de leurs filiales étrangères.

Les banques sont sans surprise les plus engagées dans les paradis fiscaux, pour cause d’optimisation fiscale du patrimoine de clients fortunés. La BNP Paribas arrive en tête de liste avec près de 190 filiales (presque autant que de drapeaux flottant en face de l’ONU), devant Crédit Agricole et son total de 115.

Parmi les non-bancaires, LVMH affiche un très honorable score de 140. Nous n’allons pas vous accabler de chiffres, mais des sociétés comme Schneider, Danone, PPR, France Télécom, Pernod-Ricard ou Capgemini sont également bien classées.

Il ne s’agit pas d’associer un peu trop facilement paradis fiscaux et activités répréhensibles… mais l’évasion fiscale n’a — officiellement — plus la cote. Le discours officiel consistant à stigmatiser les pays "non-coopératifs" (qui feraient partie d’une liste noire de l’OCDE) rencontre un vif succès auprès de l’opinion publique mondiale.

Mais les pays montrés d’un doigt accusateur par les Etats-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou la France ont beau jeu de rétorquer que leurs coffres seraient vides… s’il n’y avait un nombre encore plus grand d’"enfers fiscaux" ou même d’enfers tout court pour des opposants politiques, des journalistes trop curieux, des écrivains trop critiques dans des Etats qui affichent les meilleures relations avec les démocraties infligeant des leçons de morale mentionnées il y a quelques lignes.

Philippe Béchade,
Paris

Recevez la Chronique Agora directement dans votre boîte mail

Quitter la version mobile