** Les journaux américains parlent des "premières pertes d’emploi en quatre ans" et de la venue d’un ralentissement économique… ou d’une récession. Les sondages effectués auprès d’économistes mettent les probabilités de récession à 40% ou 50% — pour ce que ça vaut.
* Mais les choses les plus importantes sont toujours celles dont on ne parle pas. On n’en parle pas parce qu’elles sont trop difficiles à comprendre ou trop laides pour être regardées en face.
* Le thème principal du 20ème siècle, c’était l’ascension de la politique… ou peut-être devrions-nous dire de l’idéologie. Les idées politiques mettaient les gens dans un tel état qu’ils en avaient quasiment la bave aux lèvres, prêts à mordre quiconque se trouvait en travers de leur chemin. Les journalistes racontaient ce que faisaient les national-socialistes en Allemagne… ce que les bolcheviques tramaient en Russie… les khmers rouges au Cambodge… ou le Sentier Lumineux au Pérou. Aux Etats-Unis, c’était le New Deal, par exemple, qui excitait les électeurs. Mais quasiment personne ne s’apercevait de l’essentiel… c’est-à-dire du fait que le monde entier s’était tourné dans la même direction — vers la politique elle-même.
* Puis le monde s’est tourné une nouvelle fois — vers l’argent. Les politiciens n’avaient pas amélioré les choses ; au contraire, on aurait dit qu’ils avaient aggravé la situation. Subtilement, sans réaliser qu’ils le faisaient, sans que les journaux n’en parlent, les gens commencèrent à regarder ailleurs. "Le gouvernement n’est pas la réponse", déclara Ronald Reagan. Alors quoi ? L’argent. Les véritables solutions aux problèmes du monde devaient être des solutions financières. Qu’est-ce qui causait la croissance économique ? Comment augmenter les investissements étrangers ? Comment sortir les pauvres de la planète de leur misère ? Ronald Reagan et Margaret Thatcher ouvrirent la voie, parlant de "solutions de marché", de la manière dont la libre entreprise pouvait rendre les gens riches… et comment on pouvait libérer les entrepreneurs de manière à ce qu’ils créent de la richesse pour tout le monde. Le Wall Street Journal devint le journal américain tirant au plus grand nombre d’exemplaires.
* Les pays pauvres eurent de nouveaux conseillers. Che Guevara était mort, place à Jeffrey Sachs. Warren Buffett attirait plus les foules que Lénine — et était cité plus souvent que Karl Marx.
* Mais le monde continue de tourner. Et les vieux grincheux sont de retour. Barney Frank a écrit un article pour le Financial Times, expliquant que le système du "laisser-faire" a échoué. Robert Reich a suivi, gémissant que les riches étaient devenus trop riches. Et quasiment tous les politiques — des deux côtés de l’Atlantique — promettent une législation plus sévère pour le secteur financier.
* Les ronchons sont des idiots, c’est vrai. Mais ils ont raison sur un point : le capitalisme de Reagan était un échec. Des faits fort déplaisants apparaissent. Nous en parlons depuis plusieurs années dans nos Chroniques. Tout le monde les connaît. Mais ils sont si désagréables et si contraires à tout ce que les gens en sont venus à croire qu’on les ignore.
* Le capitalisme produit de la richesse ; il rend les gens plus riches que n’importe quel autre système. Nous définissons le capitalisme comme un état naturel… où les gens sont libres de mener leurs affaires selon les règles habituelles et consensuelles dans un système de marché évolué et vernaculaire. Plus vous le bidouillez, moins il fonctionne correctement.
* Les années Reagan ont apporté un nouveau respect pour le capitalisme aux Etats-Unis… comme en témoignaient les taux d’impositions plus bas et des réglementations allégées. Toutes choses étant égales par ailleurs, les gens auraient dû s’enrichir plus vite — surtout que les Etats-Unis venaient d’humilier leur seul ennemi substantiel, l’Union soviétique, et avaient intégré les nouvelles technologies de l’information avant tous leurs rivaux commerciaux. Les Américains auraient dû devenir plus riches plus rapidement qu’à tout autre moment de leur histoire. Ils étaient en tête pour tout ce qui concernait le capitalisme, la technologie, l’innovation, la sophistication financière, l’éducation et l’efficacité sur les marchés. Mais en pratique, l’Américain moyen s’appauvrissait. Selon les chiffres cités par Robert Reich, ancien secrétaire au Travail US — qui devrait donc savoir de quoi il parle — l’Américain lambda gagne aujourd’hui, au taux horaire, 12% de moins qu’au début des années 70 — un fait masqué par des heures de travail plus longues, plus de conjoints qui travaillent et des dettes à ne plus savoir qu’en faire.
** A présent, on apprend peu à peu que le boom de ces cinq dernières années était une fraude.
* "Le boom était un krach pour les gens ordinaires", dit un article du Washington Post. Les gens ordinaires n’ont pas avancé durant le boom ; ils ont pris du retard.
* Que signifie "être riche" ? Soit on gagne plus… soit on possède plus. Les Américains ne gagnent pas plus. Possèdent-ils plus ? Nous n’en savons rien. Nous n’avons pas vu de comparaisons. Probablement pas, cependant… puisque les niveaux de dette per capita ont doublé ces huit dernières années.
* Comment cela s’est-il produit ? Comment est-il possible que durant la plus grande explosion d’activité économique de toute l’histoire de l’humanité, les meneurs économiques ont été laissés de côté ?
* Les candidats à la présidentielle US ne savent pas quoi dire. Ils promettent de "ramener le rêve américain" mais n’ont pas la moindre idée de ce qui lui est arrivé… ou de ce qui l’a rendu possible au départ. Les démocrates proposent des impôts plus élevés pour "les riches", et plus de réglementations à Wall Street. Les républicains proposent plus de distribution d’argent… plus de dépenses… et sous-entendent vaguement qu’en matière d’argent, ils savent ce qu’ils font.
* Mais personne ne sait vraiment quoi que ce soit.
* A la Chronique Agora, cependant, nous avons au moins une théorie. Elle n’est pas très bonne… mais c’est le mieux que nous puissions faire. Nous vous l’exposerons dès demain…